FOCUS – Au moyen d’une neuroprothèse inédite, l’équipe de médecins et technologues de Clinatec a permis à un patient tétraplégique équipé d’un exosquelette de se mouvoir. L’annonce vient d’être officialisée par la publication, ce 3 octobre 2019 dans The Lancet Neurology, des résultats de l’étude clinique du projet Brain computer interface (BCI).
Le projet était sur les rails depuis plusieurs années au centre de recherche biomédicale Edmond J. Safra (Clinatec). « Un patient tétraplégique a pu se déplacer et contrôler ses deux membres supérieurs grâce à une neuroprothèse [dispositif se rattachant au cerveau, ndlr], qui recueille, transmet et décode en temps réel les signaux cérébraux pour contrôler un exosquelette ».
Telle est l’importante annonce validée ce 3 octobre 2019 par la publication dans The Lancet Neurology, des résultats de l’étude clinique du projet Brain computer interface (BCI) développé à Clinatec. Ce dont se réjouit Alim-Louis Benabid, professeur émérite à l’université Grenoble Alpes (UGA) et président du directoire de Clinatec. « Ces résultats valident la preuve de concept du pilotage d’un exosquelette quatre membres spécifique », précise le neurochirurgien. « Ce dispositif est une avancée importante pour l’autonomie des personnes handicapées ».
Une neuroprothèse unique au monde
La clé de voûte de ce dispositif ? L’interface cerveau-machine nommé Wimagine®, développé au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA). Cette neuroprothèse « unique au monde » est l’indispensable intermédiaire permettant au patient d’actionner par la pensée l’exosquelette à l’intérieur duquel il a pris place.
Ce dispositif, semi-invasif, a seulement besoin d’être posé sur le cerveau pour collecter au moyen de ses 64 électrodes d’indispensables signaux électriques. « La grande innovation de ce dispositif est de pouvoir mesurer de manière chronique en haute résolution l’activité électrique dans le cerveau correspondant à des intentions de mouvement du patient puis de les transmettre en temps réel et sans fil vers un ordinateur », expliquent les chercheurs.
Vient ensuite la phase de décodage des électrocorticogrammes collectés. Ces mesures de l’activité électrique enregistrée sur le cortex permettent de prédire le mouvement volontaire imaginé par le patient, telle la trajectoire de l’un des membres de l’exosquelette.
Des algorithmes très sophistiqués sont nécessaires à la réalisation de cette étape. Basés sur des méthodes d’intelligence artificielle (Machine learning) et des logiciels, ils donnent la possibilité de contrôler en temps réel les mouvements de l’exosquelette. De quoi permettre le déplacement du patient, tout en garantissant sa sécurité, notamment en bloquant d’éventuels mouvements inadéquats voire dangereux. Cette partie relative à la robotique a plus précisément mobilisé des ingénieurs chercheurs du CEA-List, institut dédié aux systèmes numériques intelligents.
Le jeune tétraplégique peut enchaîner plusieurs pas grâce à l’exosquelette
L’essai clinique autorisé par les autorités réglementaires a débuté en juin 2017 avec l’implantation de la neuroprothèse Wimagine® sur un tout premier patient. Thibault, le jeune tétraplégique volontaire âgé de 28 ans est atteint d’une lésion de la moelle épinière le privant de l’usage de ses quatre membres.
L’opération a été réalisée à Clinatec par le Pr Stephan Chabardes, neurochirurgien au CHU Grenoble Alpes (Chuga) et directeur médical du centre de recherche. Ce dernier a plus précisément posé deux neuroprothèses sur le dessus de la dure-mère, « de façon bilatérale au niveau des zones sensorimotrices supérieures du cerveau », précise-t-il.
Depuis, Thibault effectue différents types d’exercices d’entraînement. Ainsi, trois jours par semaine, depuis son domicile, il s’exerce au pilotage par la pensée de l’avatar de l’exosquelette. Et, une semaine par mois, il se rend à Clinatec pour travailler directement avec l’exosquelette.
Une chose est sûre, ses efforts sont aujourd’hui récompensés. « Équipé de l’exosquelette suspendu, il est capable d’enchaîner quelques pas », s’enthousiasment les chercheurs. Mais pas seulement. Il parvient aussi « à contrôler ses deux membres supérieurs dans trois dimensions, tout en ayant la maîtrise de la rotation de ses poignets, en position assise ou debout », se félicitent-ils.
Autant de perspectives encourageantes pour Thibault qui va poursuivre son implication dans ce protocole de recherche et participera activement aux futurs développements. Des évolutions que les chercheurs n’ont pas manqué d’anticiper.
« Nous réfléchissons déjà à de nouvelles applications »
« Nous réfléchissons déjà à de nouvelles applications pour faciliter le quotidien des personnes en situation de handicap moteur sévère », dévoile ainsi le Pr Benabid. À commencer par l’intégration de nouveaux effecteurs, comme par exemple un fauteuil roulant.
Au vu des progrès déjà réalisés par Thibault, l’équipe de Clinatec espère bien, à terme, relever le défi de la préhension d’objets au moyen d’un bras articulé. Pour autant, il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Ce nouveau challenge nécessite en effet la création d’algorithmes encore plus robustes et suffisamment précis pour permettre l’exécution de gestes complexes.
Quoi qu’il en soit, les chercheurs savourent pour l’heure ce premier résultat validé, qui, au-delà, de la prouesse technologique, est aussi une aventure humaine. « Participer à la réussite de ce projet, via un accompagnement médical dédié au patient a été très enrichissant », témoigne ainsi Stephan Chabardes.
Et, cerise sur le gâteau, une bonne surprise les attendait au bout du chemin. « Ces capteurs fonctionnent depuis plus de deux ans, fait exceptionnel au vu de la plasticité du cerveau qui rend la stabilité de l’information très difficile et complexe », s’étonnent-ils. Reste à conforter ces résultats en testant la reproductibilité de cette première expérience. Ainsi, les chercheurs vont inclure dans les essais cliniques trois autres patients tétraplégiques au cours des prochaines années.
Véronique Magnin