REPORTAGE – Moquant à la manière d’un Michael Moore l’influent milliardaire Bernard Arnault, le film Merci Patron ! sort en salles ce mercredi 24 février au cinéma Le Club. Afin d’annoncer sa sortie, des Grenoblois lecteurs du journal satirique Fakir se sont improvisés colleurs d’affiches aux côtés de militants CGT, tous très remontés contre ce qu’ils identifient comme un acte de censure médiatique.
L’appel a été lancé depuis la page Facebook du journal satirique Fakir. « Lundi soir [22 février, ndlr] on organise un collage de l’affiche du film avec tous ceux qui désirent défendre la liberté d’expression. » Le film en question ? Merci Patron !, réalisé par François Ruffin, fondateur et rédacteur en chef de Fakir. Le message est quant à lui signé Patrick Bernard, de la CGT Métallurgie de Grenoble. Et c’est dans les locaux du syndicat, à la Bourse du travail de Grenoble, que quelques “Fakiriens” ont répondu à l’appel.
La raison de cette mobilisation ? Dans Merci Patron !, François Ruffin moque et attaque Bernard Arnault, propriétaire influent du groupe de luxe LVMH. Or le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) n’a pas jugé bon de soutenir financièrement la réalisation du film. Son réalisateur a également vu coup sur coup deux invitations dans les médias annulées. L’une sur Europe 1 (qui l’a depuis réinvité) et l’autre sur France Culture.
Une volonté de censure ? Les partisans du film en sont convaincus… et sonnent donc le rappel. « Ça a été très peu médiatisé », juge Patrick Bernard. « On a l’impression que beaucoup de médias sont tellement libéraux qu’ils en sont à refuser de laisser passer cela. La liberté d’expression dans un monde libéral, ce n’est pas tout à fait ce que l’on pourrait imaginer… »
Réunion de “Fakiriens”
Ce lundi soir, deux équipes se répartissent le travail d’affichage. Si les cégétistes ont l’habitude de ce genre d’opérations, c’est une première pour Florian et les deux Adrien venus leur prêter main-forte. Les trois jeunes gens ont répondu à l’appel suite au message posté sur Facebook.
Après de brèves présentations, une petite collation et quelques recommandations techniques, les voici dans un Kangoo de la CGT, direction les lieux d’affichage du centre-ville.
Adrien a 24 ans et travaille pour une association écologiste, quand son colocataire de 26 ans, Adrien également, compte parmi les salariés permanents d’un chantier d’insertion. Florian, 32 ans, occupe, pour sa part, un poste d’enseignant-chercheur. S’ils s’interrogent tous les trois sur les répercussions que peut avoir le film, ils apprécient le message qu’il porte et veulent le partager.
À l’image d’une partie de la gauche, ils ne se reconnaissent ni dans la politique gouvernementale, ni dans le parti communiste français, ni dans la personne d’un Jean-Luc Mélenchon.
« Il faudrait qu’il laisse la place assez vite. C’est un ancien sénateur socialiste, un tribun… » Ils s’interrogent également sur le succès du Front national, y compris au sein des classes populaires qu’un film comme Merci Patron ! défend avec ardeur. Mais ils n’ont pas d’autre réponse qu’une certaine perplexité.
« Nouvelle lutte des classes »
Pour une première, les colleurs d’affiche ne manquent pas de dextérité. À quelques exceptions près, ils privilégient les panneaux d’affichage officiels, tout en se demandant combien de temps les affiches seront visibles avant d’être recouvertes. La pluie n’arrange pas leurs affaires, mais ils sillonnent avec attention tout le centre-ville et s’appliquent à donner à la sortie du film la visibilité dont il a été, selon eux, privé.
L’esprit Fakir ? Peut-être. Ou simplement le désir de se fédérer autour d’un projet cinématographique qui échappe à certaines conventions et s’attaque à des puissants, souvent protégés par leur statut de grands annonceurs. Certains, comme sur le plateau du site d’information Arrêt sur Images (accès payant), veulent voir dans Merci Patron ! le début d’un mouvement sociétal d’importance. Le signe annonciateur d’une nouvelle lutte des classes.
Une chose est certaine : ceux qui défendent le film, quitte à consacrer leur soirée, sous une pluie battante, à rouler en ville – « à polluer aux frais de la CGT », dira Adrien –, ne sont ni des militants embrigadés, ni des révoltés sans cause. Juste des colleurs d’affiche en herbe qui ont envie de défendre un film, comme d’autres défendirent le film L’An 01 de Gébé voici quarante ans. Et qui s’accorderont le droit d’aller boire une bière lorsque la moitié du paquet d’affiches aura été collée.
Florent Mathieu
Le film Merci Patron ! sort en salles le mercredi 24 février 2016.
Sur l’agglomération grenobloise, seul le cinéma Le Club le programme jusqu’au 1er mars.
Liste complète des sorties en salle et projections-débats dans toute la France, à retrouver sur le site de Fakir.