PORTRAIT – A l’occasion de la journée mondiale de l’accident vasculaire cérébral (AVC), ce jeudi 29 octobre, Mathieu Mélo, Isérois qui a subi un AVC ischémique à 27 ans, a accepté de raconter son parcours du combattant. Rencontre deux ans et demi après cette attaque cérébrale, alors qu’il s’apprête à reprendre progressivement une activité professionnelle.
« Je n’aimerais pas être l’adversaire qui aurait à m’affronter », s’est toujours dit Mathieu Mélo. Le 18 février 2013, un adversaire inattendu l’a pourtant terrassé de l’intérieur en quelques heures. Son nom ? L’accident vasculaire cérébral (AVC). C’est la consternation pour ce jeune homme de 27 ans, sportif, en bonne santé, sans conduite à risques ni antécédents familiaux.
« Un caillot a bouché ma carotide droite »
Grasse matinée ce lundi-là, quand l’ennemi a silencieusement commencé l’exécution de son funeste dessein dans le corps de Mathieu Mélo. « Un caillot a bouché ma carotide droite. Le sang s’est arrêté d’irriguer une partie du cerveau », précise-t-il. Bien qu’endormi, il se souvient très bien de cette sensation : « Mon bras gauche ne m’appartenait déjà plus. Il était devenu celui d’une amie ». Une sensation d’autant plus incongrue que le jeune homme, célibataire, vivait alors seul.
« Je disparaissais dans un doux rêve ». Mais c’était sans compter sur son hémisphère droit, qui ne dormait apparemment que d’un œil. Soudain réveillé vers 13 heures par une envie pressante, Mathieu Mélo se lève et retrouve assez vite l’usage de son bras gauche. Pourquoi s’inquiéter ? Se livrant à son rite favori, il se sert un jus de pomme, sans s’alarmer. « On ne se rend pas compte qu’on est en train de faire un AVC », précise-t-il en souriant.
Après quelques pas, il s’écroule sur le carrelage froid du studio, perdant cette fois-ci l’usage à la fois de sa jambe et de son bras du côté gauche. « C’est comme si j’avais été foudroyé par un éclair. »
« J’avais toute ma tête et j’ai pu téléphoner »
Malgré le dramatique de la situation, il ne perd pas le sens de la dérision : « J’ai le souvenir d’avoir regardé Woody, ma figurine de Toy Story et d’avoir pensé : “tu ne peux pas venir m’aider ?” » Car il n’a qu’une obsession en tête : aller aux toilettes.
Rassemblant toutes ses forces, sur un pied, il y parvient de rage. « Je l’ai fait et debout ! », dit-il fièrement. Ce n’est qu’après s’être passé de l’eau sur le visage qu’il décide enfin d’appeler ses parents.
« J’ai eu de la chance. J’avais toute ma tête et j’ai pu téléphoner. » Le temps qu’un médecin-urgentiste du 15 établisse avec lui un premier diagnostic par téléphone, puis que les pompiers le prennent en charge et le conduisent au CHU de Grenoble, il était déjà 18 heures… Ainsi, durant quatre heures, l’ennemi a pu poursuivre son œuvre.
« Par chance, l’AVC est resté localisé. La cicatrice qui me reste aujourd’hui dans le cerveau n’est pas plus grosse qu’une balle de tir mais, en termes de séquelles, c’était une grosse attaque », précise-t-il.
Mordu de gastronomie
À Voiron, en cette fin du mois d’octobre, à l’interphone de la résidence avec parc arboré, c’est d’une voix accorte qu’il répond : « Oui bonjour, je descends ! » Très rapidement, il arrive. Grand, mince, l’allure sportive. Seul son bras gauche semble un peu inerte, ce qui peut paraître étonnant deux ans et demi seulement après son accident.
L’ascenseur s’arrête au troisième, où se trouve son studio avec vue sur les arbres en contrebas. Il a préparé quelques meringues posées sur la table basse et une crème de marron. Rien de surprenant de la part de ce mordu de gastronomie depuis l’âge de 12 ans.
« Les femmes sont de très bonnes cuisinières dans ma famille », explique-t-il. Lui a décidé très tôt d’embrasser la profession. Après avoir obtenu un BEP à l’école hôtelière Le clos d’or de Grenoble, puis un Bac pro à Challes-les-Eaux, il monte en grade et devient en six mois cuisinier chef de partie à l’auberge de Malatras de Tullins, aux côtés du chef Vincent Fortunato. « Au boulot, ça crie, ça gueule, il y a de la pression mais j’aime bien. »
« J’étais à moitié légume »
« La cuisine est un métier dur mais c’est à l’hôpital que j’ai dû faire le boulot le plus ardu de ma vie », assure-t-il. C’est lors des deux premières nuits d’hospitalisation qu’il a vraiment réalisé la gravité de la situation : « Les médecins m’avaient prévenu qu’ils devaient dissoudre le caillot tout doucement avec de l’héparine pour ne pas risquer l’hémorragie cérébrale qui aurait pu me tuer ».
Jusqu’au cinquième jour, son état s’est dégradé. Tout son côté gauche s’est paralysé. Son visage aussi : « J’étais à moitié légume ». Dévoré par l’angoisse ? « Non, en fait, j’ai accepté tout de suite ce qui m’arrivait. Et puis les médecins vous prescrivent immédiatement des antidépresseurs », ajoute-t-il, un peu narquois, tout en reconnaissant s’être demandé : « Pourquoi moi, alors que d’autres boivent à l’excès et fument ? Mais c’est très vite passé ».
La photographie pour se raccrocher à la vie
Quand il fermait les yeux, Mathieu Mélo pensait déjà à ce qu’il allait mettre en œuvre pour s’en sortir : le sport pour se rééduquer, la photographie pour se raccrocher à la vie. Une passion née en septembre 2006, tard le soir dans sa chambre d’adolescent.
« Devant moi, il y avait des crayons aux mines abîmées, cassées dans des vieilles trousses. J’ai voulu mettre de belles mines à tous ces crayons. En taillant loin dans le bois, ça faisait une petite fleur. Avec l’appareil photo de mes parents et deux lampes de chevet, j’ai réalisé ma toute première série de clichés sur des feuilles blanches. » Sur son lit d’hôpital, Mathieu avait donc hâte de se remettre à l’ouvrage au plus vite.
Mais le temps de chercher, en vain, la cause de son attaque et de suivre un traitement innovant par les cellules souches, le jeune homme a tout de même dû rester alité un mois et demi au CHU. De l’aveu même de l’intéressé qui n’est pas du genre à se plaindre, c’était très dur. Le personnel soignant n’a pas le temps de faire du sur-mesure dans le service neuro-vasculaire : « Moi, j’avais toute ma tête mais ce n’est pas le cas de tous les patients », explique-t-il. Pour autant, il voulait aller aux toilettes pour ne pas faire dans son lit. Il a râlé, comme il dit. « J’ai même refusé les soins d’une aide-soignante. Alors ils ont fini par céder. »
« Allez, montre-moi si tu es si fort que ça ! »
Soulagement quand, un mois et demi plus tard, transféré à l’hôpital de Tullins, Mathieu peut enfin débuter sa rééducation. Persuadé d’être doté d’une force à la fois physique et mentale exceptionnelle, il se met au défi : « Allez, montre-moi si tu es si fort que ça ! »
À l’hôpital, il y apprend à se débrouiller avec l’incontournable fauteuil roulant. « On s’entraîne à en sortir, à se coucher puis à revenir sur le fauteuil. C’est aussi ça, la rééducation. Après, si vous réussissez à progresser, tant mieux ! […] Le fauteuil c’est super ! On peut bouger, doubler les valides. Bon, je savais aussi que ça n’allait pas durer, que je remarcherais un jour. »
Son attente par rapport aux rééducateurs ? Qu’ils soient ses entraîneurs. Il réalise ainsi jusqu’à une heure de sport en plus par jour quand les kinés acceptent de le surveiller de loin.
Les psychologues ? Il en a rencontré une. « Elle m’a demandé d’écrire ce qui n’allait pas. Je lui ai répondu “je n’ai pas besoin d’écrire, ça se voit ce qui ne va pas”. » Leurs échanges en sont restés là.
« J’ai toujours eu de l’espoir »
Mathieu Mélo n’a jamais craqué. « Certains abandonnent la rééducation au bout de cinq mois. Moi, j’ai bien dû faire un an de sport intensif, si ce n’est plus. J’ai toujours eu de l’espoir ». D’ailleurs, quand il est sorti du centre de rééducation de Tullins, deux mois plus tard, le jeune convalescent n’a pas hésité à s’acheter un vélo d’appartement, un elliptique et un rameur. « J’ai continué de faire trente minutes de sport intensif tous les jours, en plus du kiné », précise-t-il. Un acharnement payant puisqu’il a récupéré presque l’intégralité de sa mobilité, sauf pour son bras gauche.
Une spasticité cérébrale l’empêche aujourd’hui de continuer avec autant d’acharnement mais, toujours optimiste, il espère encore progresser. N’a‑t-il pas réussi à domestiquer sa jambe gauche qui fauchait, loin des regards indiscrets, à la campagne, en compagnie d’un petit chat sauvage qui l’a suivi et qu’il a par la suite apprivoisé ?
Le rêve d’entreprendre
D’autres présences bienveillantes l’ont bien sûr accompagné durant toute sa convalescence : « mes parents, ma sœur et mon frère, bien sûr, mais aussi les amis qui sont restés et le monde de la gastronomie ». L’occasion de parler de son chef, Vincent Fortunato, qu’il admire, mais aussi de Paul Bocuse, deux hommes qui ont le sens des affaires.
« Si je n’avais pas eu cet accident, j’aurais continué ma carrière de cuisinier en espérant travailler dans de grosses brigades, dans des restos étoilés ».
Aujourd’hui, Mathieu rêve d’entreprendre, de monter un jour son propre établissement, où il pourrait mêler sa passion pour la cuisine et la photographie. Mais rien ne presse.
En attendant, il va reprendre le travail le 4 novembre prochain, heureux comme tout, à l’auberge de Malatras, trois jours par semaine.
« Avant l’accident, j’imaginais ma vie “métro, boulot, dodo”. » L’épreuve de l’AVC a balayé d’un revers de manche la banalité de l’existence telle qu’il se l’était imaginée. Encouragé par son frère, il a réuni ses œuvres photographiques, monté un site, publié deux livres, dont De l’AVC à la photographie, meilleure vente en France de l’éditeur Calvendo.
« Même le docteur Detante, mon neurochirurgien, a investi quand j’ai lancé un financement participatif pour mon livre », souligne Mathieu, touché par ce geste. La marque Bic s’est aussi intéressée à son travail. Il s’est réchauffé à la lumière de quelques expositions personnelles et ne compte pas s’arrêter là.
En pleine fleur de l’âge, Mathieu Mélo se trouve désormais à cet instant de grâce où le ciel se dégage à nouveau. L’appétit décuplé par l’épreuve, il s’engouffre avec confiance dans l’avenir, des rêves plein la toque et l’objectif.
Véronique Magnin
AVC : CE QU’IL FAUT SAVOIR
L’accident vasculaire cérébral survient lorsque la circulation sanguine vers ou dans le cerveau est interrompue à cause d’un vaisseau sanguin qui se bouche (AVC ischémique) ou qui éclate dans le cerveau (AVC hémorragique).
Conséquence : les cellules du cerveau ne sont plus alimentées ni en oxygène ni en nutriments dont elles ont besoin pour fonctionner normalement. Des neurones meurent.
Certains signes doivent faire penser à l’AVC :
Un engourdissement, une faiblesse ou paralysie brutale d’un bras, d’une jambe, du visage ou d’une moitié du corps dans le cas de l’hémiplégie.
Mais aussi des difficultés à parler, un trouble de la vision, des troubles de l’équilibre, de la coordination ou de la marche. Enfin, un mal de tête sévère et soudain, n’ayant aucune cause connue.
Même s’ils sont brefs, même s’ils régressent en quelques minutes, ces signes doivent alerter car ce peut être un accident ischémique transitoire (AIT) aussi appelé AVC d’alerte.
Que faire ?
Il faut agir le plus rapidement possible : une minute de perdue, c’est deux millions de neurones détruits.
➔ Appelez immédiatement le 15 !
Comment le prévenir ?
L’hypertension artérielle étant le principal facteur de risque des AVC, surveiller sa tension artérielle c’est préserver son cerveau.
Autres facteurs de risques : le tabagisme, l’hypercholestérolémie, le diabète, l’alcoolisme chronique et les contraceptifs oraux.