FOCUS – Le média isérois Le Sport dauphinois (LSD), qui diffuse gratuitement des matchs amateurs et émissions en direct sur Facebook, est bloqué et censuré depuis début décembre 2022. En cause, l’algorithme Facebook qui invoque une violation de la propriété intellectuelle et d’autres motifs ubuesques (« apologie de la violence » pour l’escrime). Après huit ans d’existence et sept jours de suspension, le compte de LSD est aujourd’hui menacé de fermeture définitive au prochain live retransmis. Ce qui entraînerait certainement la disparition du média – entièrement dépendant du réseau social – avec six emplois en jeu.
« On a réussi à survivre au Covid et on risque de mordre la poussière à cause d’un algorithme. » Hugo Galatioto, rédacteur en chef du Sport dauphinois (LSD), ne cache pas son amertume. Depuis début décembre 2022, le média isérois voit en effet ses contenus bloqués et supprimés par Facebook. Et si sa page est de nouveau active depuis ce mercredi 14 décembre, après sept jours de suspension, celle-ci est désormais sous la menace permanente d’une fermeture définitive, synonyme de disparition presque certaine pour l’entreprise.
Comment en est-on arrivé là ? Média professionnel – déclaré comme tel – existant depuis huit ans, Le Sport dauphinois compte aujourd’hui un rédacteur en chef, journaliste titulaire de la carte de presse depuis 2015, cinq autres collaborateurs et techniciens salariés, et une dizaine de pigistes (reporters et photographes). Après cinq ans de couverture « classique » de l’actualité sportive locale, le Covid l’a conduit à « changer de ligne éditoriale », raconte Hugo Galatioto.
Pour la troisième saison consécutive, Le Sport dauphinois retransmet ainsi en direct des émissions sur le sport local depuis son plateau TV et des matchs en multi-caméras, avec commentateurs et ralentis, à raison de deux à trois lives par week-end. « Les trois dernières années, nous avons diffusé 280 matchs en multi-caméras ou émissions en direct, principalement en Isère mais aussi en Savoie, Haute-Savoie et dans le Rhône », précise Hugo Galatioto.
Des matchs diffusés exclusivement sur Facebook, pour ses 43 500 abonnés
Rugby, handball, football, volley-ball, basket, hockey-sur-glace, escrime… Le média couvre un large spectre de disciplines mais avec une vraie spécificité : il ne suit « quasiment que du sport amateur », souligne son rédacteur en chef, qui vante « un modèle unique en France », sur le fond autant que sur la forme.
L’autre particularité en effet, c’est que « les matchs sont diffusés exclusivement sur Facebook ». Pourquoi ne pas avoir opté également pour d’autres plateformes de streaming ? Car « Facebook est le réseau social qui offre le plus de souplesse sur le sport amateur », explique le journaliste. « Sur YouTube ou Twitch, ça aurait été plus difficile de toucher les compagnes des joueurs, leur famille ou leurs collègues. »
« Sur tous nos lives, Facebook signalait une violation de la propriété intellectuelle alors qu’on n’utilise que nos propres images et photos, et des musiques libres de droit. »
Bien sûr, « être lié à un seul réseau social, c’est dangereux », concède-t-il. « Mais on n’a pas le choix. » Jusqu’alors, les faits lui avaient d’ailleurs donné raison. Le Sport dauphinois (une SAS et une holding), dont les revenus proviennent « à 100 % des sponsors et annonceurs privés, sans aucune subvention publique », possède aujourd’hui une base d’environ 43 500 abonnés. Et les matchs sont souvent « vus 10 à 12 000 fois ».
Sa page Facebook a ainsi accumulé, au fil des ans, quelque 150 000 photos, 3 ou 4 000 vidéos, 350 matchs diffusés… Mais Hugo Galatioto a maintenant « le stress de tout perdre ». Tout a commencé fin novembre, avec des alertes : « On s’est dit que l’algorithme avait été “alourdi” pour la Coupe du monde de foot1qui a débuté le 20 novembre. Sur tous nos lives, Facebook signalait une violation de la propriété intellectuelle alors qu’on n’utilise que nos propres images et photos, et des musiques libres de droit. »
Un live d’escrime considéré comme « apologie de la violence »
Puis, début décembre, lors d’un match de handball de Nationale 3 féminine à Saint-Égrève, la vidéo du média a été supprimée par Facebook. Toutes ses retransmissions en direct ont ensuite subi le même sort. Le tout sous des prétextes souvent totalement ubuesques, à l’image de la diffusion d’une compétition d’escrime, considérée comme « apologie de la violence » par l’algorithme.
Depuis, les ennuis se succèdent. Le profil de journaliste d’Hugo Galatioto, avec 4 200 contacts, fruit « d’une dizaine d’années de réseautage », a ainsi été purement et simplement supprimé. En parallèle, la page de LSD a d’abord écopé d’un banissement de sept jours, avec un avertissement. « Depuis hier soir [mercredi 14 décembre], on a le droit de reposter mais on vit avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête car au prochain live diffusé, on risque la fermeture définitive », déplore le journaliste.
« Quand j’ai réussi à avoir quelqu’un, je suis tombé sur un “robot humain” »
Ce dernier a pourtant remué ciel et terre pour tenter de contacter Facebook – ou plus exactement sa maison-mère Meta. « Mais quand j’ai enfin réussi à avoir quelqu’un, je suis tombé sur un “robot humain”, sans doute dans un centre d’appels à l’étranger. Une personne qui me répondait avec des phrases toutes faites en me répétant la même chose que l’algorithme « , s’agace-t-il. « C’est le seul lien humain que j’ai eu avec Facebook. »
Une situation quasi kafkaïenne pour le rédacteur en chef, qui s’interroge sur les raisons du blocage. Problème lié au nom « LSD », qui renvoie à la célèbre drogue hallucinogène ? Contenus « trop professionnels » poussant le réseau social à croire à un « vol » de droits ? Hugo Galatioto a beau balayer toutes les hypothèses, il ne comprend toujours pas.
« Si on refait un live et que Facebook ferme notre page, on perd huit ans de travail sur notre communauté. Il faudrait repartir à zéro, on ne s’en remettrait pas. »
« Nous sommes un média professionnel et je suis journaliste encarté, donc je le vis comme une censure de notre travail », affirme-t-il. Mais outre la question éthique, c’est surtout l’avenir du Sport dauphinois qui est en jeu. « Si on refait un live et que Facebook ferme notre page, on perd huit ans de travail sur notre communauté », s’alarme-t-il. « Il faudrait repartir à zéro, on ne s’en remettrait pas. »
Les alternatives ne sont en effet pas légion. « Le week-end dernier, on a diffusé un match de rugby de Fédérale 2, qui a été hébergé sur la page du club de Voiron », indique Hugo Galatioto. « Et ce week-end, on crée une autre page Facebook. » Des solutions qui ne permettent cependant de toucher qu’une partie très réduite du public, selon lui. « On perd notre force », à savoir les abonnés de la page historique, qui ne recevront pas les notifications.
« Le 10 décembre, on devait sortir notre site web, développé spécifiquement pour récupérer en direct tous les contenus Facebook », ajoute par ailleurs le journaliste sportif. Une idée que le média isérois a dû abandonner – ou reporter – devant cette mise au ban imprévue.
« Ce qui nous arrive aujourd’hui peut arriver à n’importe quel média demain »
Quant aux recours possibles, ceux-ci sont très limités. Le rédacteur en chef a interpellé les députés. « Il y en a deux qui m’ont répondu en me promettant de faire remonter à Facebook mais ça risque de prendre beaucoup trop de temps », regrette-t-il. « Et si je vais en justice face à un Gafa, j’en ai au moins pour un ou deux ans de procédure. » Il a enfin tenté d’alerter la Commission de la carte d’identité des journalistes professionnels2l’organisme délivrant la carte de presse (CCIJP) mais n’a eu « ni retour ni soutien ».
Pourtant, le temps presse pour Le Sport dauphinois. « Si on n’y arrive pas rapidement, on ne passera pas l’année. On n’a pas de réserves financières », prévient Hugo Galatioto. Avant d’adresser un ultime conseil, sous forme d’avertissement, à ses confrères journalistes : « Ce qui nous arrive aujourd’hui peut arriver à n’importe quel média demain. Personne n’est à l’abri de voir tout son travail anéanti par un algorithme. »
3 réflexions sur « Isère : le média professionnel Le Sport dauphinois censuré et menacé de fermeture par un algorithme Facebook »
Bonjour,
Webmaster pour l’US Beaurepaire Handball, je viens de mettre en ligne une news pour annoncer la diffusion de nos matchs sur LSD. Dans celle-ci je cite (et redirige via un lien) votre média et votre article pour résumer la situation de LSD. Ils sont partenaires du club à plusieurs titres, et vont de nouveau diffuser certains de nos matchs.
Merci de me confirmer votre autorisation si vous le voulez bien. Dans le cas contraire je modifierai immédiatement.
Bien cordialement,
Bonjour, pas de problème, vous avez notre accord. Cordialement.
Culé l’arbitre moi aussi bloqué 3 fois cette année pour des motifs vraiment farfelus