FOCUS – Le Musée de Grenoble présente jusqu’au 3 juillet 2022 sa nouvelle exposition temporaire baptisée « En roue libre ». Un parcours bordé de pièces de sa collection d’art contemporain, où se mélangent les formes, les esthétiques, les matériaux et les sensibilités. Le tout autour de thèmes définis par des intitulés résolument ludiques. Ce qui n’empêche en rien d’aborder certaines œuvres plus difficiles d’accès que d’autres.
Un article sur une exposition d’art contemporain sans visuels d’œuvres exposées ? C’est, hélas, ce à quoi nous contraignent les règles édictées par l’ADAGP, organisme qui veille aux droits d’auteur des artistes. Celle-ci impose en effet, entre autres, une limite de définition des images de 400×400 pixels. Une restriction archaïque, à laquelle nous ne pouvons techniquement nous plier, sauf à proposer des images d’une qualité très médiocre. Seul point positif, peut-être : que cela incite d’autant plus les lecteurs à visiter l’exposition du Musée de Grenoble.
Grand écart pour le Musée de Grenoble. Au mois de mars, son directeur présentait un nouveau venu : un tableau signé Reynaud Levieux et daté de 1670. Moins d’un mois plus tard, c’est à une exposition temporaire dédiée à l’art contemporain que les visiteurs sont conviés jusqu’au 3 juillet 2022. Mais il est vrai, comme le rappelle Guy Tosatto, que le Musée de Grenoble « est avant tout célèbre pour sa collection d’art moderne et contemporain ».
Le titre de l’exposition ? « En roue libre ». Une référence au détail de “pneu géant”, intitulé Grand Prix, de Peter Stämpfli, qui ouvre l’exposition. Mais aussi, sinon surtout, à la volonté de composer « un parcours extrêmement libre, en laissant libre cours à notre subjectivité, à notre spontanéité. Et imaginer des associations entre des artistes et des œuvres qui n’ont parfois pas grand chose à voir ensemble », explique Guy Tosatto.
« Partager le plaisir avec le public »
Imaginée durant le premier confinement de mars 2020, En roue libre trahit-elle le besoin d’évasion de celles et ceux qui ont travaillé dessus ? Une chose est certaine, Guy Tosatto et Sophie Bernard, conservatrice en chef en charge de l’art moderne et contemporain, ont voulu « se faire plaisir et partager ce plaisir avec le public ». Jusque dans les intitulés des salles de l’exposition, « ludiques, ironiques, presque joyeux ».
L’art contemporain pourtant peut s’avérer mordant, voire dérangeant. Une personnage pendu au plafond surplombe les visiteurs (Hanging Figure, Juan Muñoz), une femme se fait assaillir par de (très) jeunes hommes (Roberte et les collégiens, Pierre Klossowski)… et les célèbres Gilbert & George se représentent au pied d’un arbre, sur un vitrail en passe d’être noyé par une mare de sang dégoulinante (Blooded)…
Les formes et les matériaux eux-mêmes peuvent surprendre. Meubles incongrus, puits ou guitares empilées… L’art contemporain s’émancipe des mouvements et des écoles et permet aux artistes d’affirmer leur individualité, rappelle Sophie Bernard. Rien d’étonnant à ce qu’ils investissent des champs nouveaux, quitte à dérouter. Ou, pour reprendre la métaphore, à laisser quelques visiteurs sur le bord de la route. Mais la voiture-balai n’est jamais loin.
Un renvoi vers la nature de ses propres perceptions
La profusion et la variété des œuvres proposées permet en effet toujours de se raccrocher à quelque chose de nouveau. Peut-être même à apprendre sur soi, ou la perception que l’on se fait de sa réalité. À se demander, par exemple, pourquoi ces étagères penchées sur lesquelles des bouteilles défient la gravité1Three Shelves, Wine Bottles, Tony Cragg parviennent à nous mettre mal à l’aise. Et plus encore quand cette sensation n’est pas partagée de tous..
En roue libre bat aussi en brèche quelques clichés, sur un art contemporain abscons, conceptuel, voire vide de sens. De salles en salles, la beauté n’est jamais loin, et la sensibilité des artistes se fait sentir souvent au-delà des formes. L’esthétique peut être impeccable ou tourmentée, évocatrice ou chirurgicale, mais jamais absente même lorsque l’artiste semble vouloir s’en dégager. Ou le faire croire, l’espace d’un instant.
Un art contemporain librement interprétable ?
Cette liberté laissée aux spectateurs fait-elle écho à celles des créateurs qui, émancipée des mouvements ou des écoles, livreraient des œuvres librement interprétables ? Ou, plus exactement, faut-il encore disposer d’un bagage culturel pour décrypter les artistes contemporains ? Guy Tosatto n’est pas loin de le penser : « Nous avons des formes qui sont des invitations à la subjectivité, la projection personnelle », explique-t-il.
Sophie Bernard, pour sa part, rappelle une phrase prononcée par Duchamp : « le tableau est autant fait par le regardeur que par l’artiste ». Et convient, tout comme Guy Tosatto, que l’art contemporain est moins “codé” que l’art classique, fait d’allégories et de références historiques ou bibliques, qui nécessitent souvent une mise en contexte pour être appréhendées.
Mais la conservatrice nuance ce postulat. « Il y a une liberté du regardeur et c’est une évidence. Malgré tout, l’art contemporain est truffé de citations et de références, et je pense que ça reste quelque chose qui nécessite d’être rendu accessible. Il faut aussi que le regardeur regarde bien ! », conclut-elle. Sans compter que l’art contemporain et ses références, par définition, perdent de leur contemporanéité à mesure que passent les générations…