FOCUS – Traversés par les rayons X du Synchrotron européen de Grenoble (ESRF), des œufs fossilisés de dinosaures provenant d’un vaste site à fossiles de Patagonie vieux de 190 millions d’années se révèlent tous appartenir à l’espèce primitive Mussaurus patagonicus. Une preuve scientifique supplémentaire attestant que certains des premiers dinosaures vivaient en troupeaux, comportement « social » clé qui contribue à expliquer leur longévité. L’étude a été publiée dans la revue Scientific Reports, ce 21 octobre 2021.
Grâce au Synchrotron européen de Grenoble (ESRF), des œufs fossilisés vieux de 190 millions d’années1Début du Jurassique, retrouvés sur un lieu de nidification des dinosaures en Patagonie, ont révélé la présence d’embryons d’une seule et même espèce : celle de Mussaurus patagonicus. De quoi fournir à l’équipe scientifique internationale ayant découvert le site au début des années 2000 une preuve supplémentaire d’un comportement social. À savoir que ce dinosaure herbivore primitif de la famille des sauropodomorphes vivait en troupeaux organisés.
Cette découverte chez l’ancêtre des dinosaures géants à long cou est considérée comme une des clés de leur longévité. Et conduit à reculer la datation des comportements sociaux chez les dinosaures de plus de 40 millions d’années ! Des résultats publiés dans la revue Scientific Reports le 21 octobre 2021.
Un mode de vie en troupeau pour Mussaurus patagonicus ?
« Un site aussi bien préservé ne pouvait que nous fournir de nombreuses informations sur le mode de vie des dinosaures primitifs », explique Diego Pol, paléontologue à l’Institut Conicet en Argentine et co-découvreur du site.
Quelles sont les preuves d’une structure en troupeau bien organisée issues de l’étude des squelettes de Mussaurus ? « Les fossiles trouvés dans plusieurs couches rocheuses successives ont indiqué que les dinosaures étaient revenus au même endroit, sur plusieurs saisons, pour se reproduire », indiquent les scientifiques.
Et dans chaque couche, les squelettes de Mussaurus n’étaient pas dispersés au hasard, mais plutôt regroupés en fonction de leur âge2Pour déterminer l’âge des fossiles juvéniles, les scientifiques ont réalisé des études histologiques. Comme l’explique Diego Pol, « les os de ces dinosaures ont grandi selon des cycles annuels, tout comme les « lignes de vie » des arbres. Aussi, en comptant les anneaux de croissance, nous avons pu déduire l’âge des dinosaures. ». Ainsi, près des nids, les paléontologues ont trouvé des bébés dinosaures. Un peu plus loin, des jeunes d’un an regroupés les uns avec les autres. À l’instar de ce groupe de onze squelettes en position de repos, « suggérant que l’espèce Mussaurus avait formé des troupeaux de jeunes individus », précisent les chercheurs. S’y ajoute, dans une zone d’un kilomètre carré, l’association fréquente d’adultes et de jeunes par paires ou seuls. Restait encore à prouver que la centaine d’œufs fossiles retrouvée sur le site appartenait bien à Mussaurus patagonicus.
« Au total, nous avons passé quatre jours à scanner les œufs »
Diego Pol a transporté pas moins de trente œufs fossiles à l’ESRF afin de les examiner par tomographie aux rayons X. Une gageure que ce voyage ! En effet, « ce n’est pas tous les jours que des œufs de dinosaures voyagent entre deux continents », souligne Diego Pol.
Le synchrotron européen de Grenoble se présente comme l’ « outil parfait » pour étudier ce type d’échantillons très rares. De fait, « nous utilisons des rayons X à haute énergie pour pénétrer l’échantillon sans le détruire et avoir une image complète 3D de l’intérieur de l’œuf fossilisé », explique Vincent Fernández, paléontologue au Musée d’histoire naturelle de Londres, ancien scientifique à l’ESRF.
« Au total, nous avons passé quatre jours à scanner les œufs 24 heures sur 24 », explique Vincent Fernandez, « c’était certes fatiguant, mais les résultats étaient au rendez-vous, passionnants ! » Et pour cause. Certains œufs ont révélé la présence d’embryons fossilisés de la même espèce de dinosaures et pas n’importe laquelle : Mussaurus patagonicus ! C’était loin d’être gagné d’avance car « il est difficile de trouver des œufs fossiles, et encore plus de trouver des œufs fossiles avec des embryons à l’intérieur ». Tel que l’explique DiegoPol : « il faut des conditions très particulières pour leur fossilisation ».
« La preuve la plus ancienne de ce type de comportement social complexe »
Dans le passé, des études avaient déjà montré que certains dinosaures, notamment ceux de la période plus récente du Crétacé, vivaient en troupeaux. Toutefois, quand et comment ce comportement était-il apparu dans l’histoire évolutive des dinosaures ? Cette question majeure restait en suspens.
Après avoir comparé leurs résultats avec d’autres sites à fossiles en Afrique du Sud et en Chine, les chercheurs l’affirment : « Il s’agit de la preuve la plus ancienne de ce type de comportement social complexe en troupeau chez un dinosaure primitif, permettant de reculer la datation des comportements sociaux chez les dinosaures de plus de 40 millions d’années ». À savoir, au début du Jurassique.
« Aux regards de la longévité de la lignée des Mussaurus, cette étude nous laisse à penser que le fait d’être social et de protéger ses petits en troupeau pourrait expliquer pourquoi ces dinosaures […] étaient si communs sur tous les continents », conclut Diego Pol.