DÉCRYPTAGE – « Médiation d’initiative citoyenne », « atelier d’initiative citoyenne » et « dispositif d’interpellation et de votation citoyennes » nouvelle formule sont désormais accessibles aux Grenoblois. L’intention de la majorité d’Éric Piolle, derrière cela ? Prendre mieux en compte les propositions, remarques et critiques des citoyens. De leur côté, les oppositions l’accusent de créer une usine à gaz ne s’adressant qu’aux initiés. Quant à la nouvelle formule, à peine modifiée, du dispositif d’interpellation et de votation citoyennes, est-elle si intouchable sur le plan juridique que le prétend la Ville ?

Mobilisation du collectif contre la fermeture de 3 bibliothèques en 2016 devant la maire de Grenoble. DR
Courriers, appels téléphoniques, pétitions, manifestations, mobilisations sur le parvis de l’hôtel de ville, tribunes dans la presse… La Ville de Grenoble, ses services et ses élus sont très régulièrement interpellés par les citoyens. Pour mieux prendre en compte les demandes, réclamations et propositions des citoyens, Grenoble a voté en conseil municipal, le lundi 14 juin 2021, trois nouveaux dispositifs de participation citoyenne : la médiation d’initiative citoyenne, l’atelier d’initiative citoyenne et une version modifiée du dispositif d’interpellation et de votation citoyennes. Dispositif dont la première version, rappelons-le, avait été annulée par le tribunal administratif en 2018.

Annabelle Bretton, coprésidente du groupe Grenoble en commun, samedi 25 juillet 2020. © Joël Kermabon – Place Gre’net
L’adjointe à la démocratie ouverte Annabelle Bretton voit dans cette évolution une nouvelle avancée pour la démocratie locale : « Grâce aux expérimentations passées, nous sommes en mesure aujourd’hui de proposer des dispositifs encore plus ambitieux, en particulier dans la mise en place d’un cadre serein pour assurer les conditions d’un débat constructif à partir d’interpellations sur des sujets conflictuels (…) »
« Au cœur de ces dispositifs, c’est davantage la délibération que la participation »
À quoi vont servir ces nouveaux dispositifs ? La médiation d’initiative citoyenne va permettre à des citoyens de travailler, pendant deux mois, avec des élus et des services pour trouver un terrain d’entente. Si des citoyens veulent aborder un sujet plus épineux, l’atelier d’initiative citoyenne, sorte de jury citoyen déjà expérimenté à Grenoble, est plus indiqué. Il débouche sur des préconisations présentées et reprises en partie ou totalement dans une délibération votée en conseil municipal.
Enfin, le dispositif d’interpellation et de votation citoyennes conduit, lui, à la votation de l’ensemble des résidents grenoblois de plus de 16 ans. Une votation précédée, comme il se doit, de débats contradictoires pour informer la population. Par contre, il ne devrait plus y avoir d’intervention des pétitionnaires dans le conseil municipal, à l’instar du précédent dispositif. La votation sera organisée, une fois par an, en même temps que le vote du budget participatif.
Dans les trois dispositifs, la demande sera recevable, insiste la Ville, à condition qu’elle soit portée par au moins deux habitants âgés de plus de 16 ans, qu’elle concerne l’intérêt collectif, ne soit pas discriminante, et relève d’une compétence communale. « Ce qui est au cœur de ces trois dispositifs, c’est davantage la délibération que la participation, c’est-à-dire le processus au cours duquel des membres de la collectivité communiquent entre eux en équité dans l’accès au débat avant de parvenir à une décision », précise doctement Pascal Clouaire, conseiller municipal, délégué à l’innovation, mais aussi ex-adjoint à la démocratie locale.
Des dispositifs faciles d’accès selon Annabelle Bretton
Pour activer ces trois dispositifs, un même mode opératoire. Les citoyens devront recueillir un nombre suffisant de signatures. Il en faudra 50, à collecter en un mois, pour obtenir une médiation d’initiative citoyenne ; 1000 en trois mois pour la mise en place d’un atelier d’initiative citoyenne ; et 8000 soutiens soit 5% de la population, à rassembler en douze mois, pour activer le dispositif d’interpellation et de votation citoyenne. Un seuil nettement plus haut que dans l’ancien dispositif, où 2000 signatures suffisaient.
« Ces dispositifs ont des seuils bas, considère néanmoins l’adjointe Annabelle Bretton. Ils ont été conçus pour être accessibles à tous, à des parents d’élèves, à des voisins, des usagers d’un lieu et ne sont pas réservés seulement à des acteurs organisés ou des professionnels de la participation citoyenne », poursuit-elle.

Signature de la pétition contre les démolitions à la Villeneuve, le 8 mars 2017. © Séverine Cattiaux – Place Gre’net
Il est vrai que pour remporter la votation, les pétitionnaires ne devront plus réunir « que » 16 000 voix majoritaires – soit l’équivalent de 10% de la population grenobloise –, au lieu des 20 000 auparavant. Ce faisant, la majorité conserve sa logique initiale. Il faut en effet se souvenir que la barrière des 20 000 voix correspondait au nombre de suffrages qui avaient permis à Éric Piolle d’accéder à la mairie en 2014. Le nouveau seuil se rapproche du score réalisé, de 16169 voix, au second tour des municipales de 2020.
La majorité complexifie la démocratie locale, critiquent les opposants
En total décalage avec l’enthousiasme des élus du groupe majoritaire Grenoble en commun, les oppositions n’ont pas été tendres vis-à-vis de ces nouveaux dispositifs. Pour Émilie Chalas (NR), ces derniers ont le tort de rendre plus « illisible » la démocratie participative à Grenoble. Et « noient » les acteurs historiques de la participation, tels que les unions de quartier et le conseil de développement à l’échelle métropolitaine.

A droite, Cécile Ceniatempo, aujourd’hui conseillère municipale de l’opposition Nasa. Intervention du collectif Touchez pas à nos bibliothèques, au conseil municipal du lundi 22 mai 2017, à la faveur du droit d’interpellation et de votation lancée par la Ville de Grenoble. © Séverine Cattiaux – Place Gre’net
La Ville veut en outre maintenir le dispositif d’interpellation et de votation citoyenne annulé par le tribunal administratif en 2018, s’indigne la conseillère municipale d’opposition, par ailleurs députée LREM. Il est pourtant en l’état, « mal barré », brocarde Émilie Chalas, puisque la municipalité persiste à vouloir faire voter les mineurs, alors que la Constitution ne le permet pas.
Pour Alain Carignon (OSCDC), ces dispositifs sont trop « sophistiqués » et vont exclure les « deux tiers des Grenoblois ». Pire, ils « institutionnalisent » la distance entre les élus et les Grenoblois, fustige encore l’ancien maire RPR de Grenoble.
S’inquiétant, pour sa part, de cette « superposition » des dispositifs qui ne toucheront pour autant pas les « sans-voix », Cécile Ceniatempo du groupe Nasa invite plutôt les élus de quartier à être davantage présents sur le terrain. Abondant dans ce sens, Anne Roche, conseillère municipale dans l’opposition, ex-colistière du groupe d”Alain Carignon, apprécierait que les élus répondent aux doléances des habitants qui s’expriment dans les réunions publiques.
La préfecture de l’Isère consultée sur la légalité des dispositifs
Nullement ébranlée par les critiques de ses opposants, Annabelle Bretton a réaffirmé, peu avant le vote de la délibération, sa confiance en la capacité des tous les Grenoblois à mobiliser ces outils.
Quant aux doutes portés par Émilie Chalas sur la légalité de la nouvelle version du dispositif d’interpellation et de votation citoyenne, l’adjointe les a rapidement balayés. Adossé au code des relations entre le public et l’administration de 2015, le dispositif d’interpellation et de votation citoyennes est désormais solide juridiquement, garantit Annabelle Bretton. Et celle-ci d’ajouter que la préfecture de l’Isère a également été consultée. Celle-là même qui avait porté un coup fatal à l’ancien dispositif.
Comme attendu, la délibération a été adoptée. Les groupes Nouveau Regard (NR), Nouvel Air socialistes et apparentés (Nasa) et la conseillère municipale Anne Roche se sont abstenus, tandis que le groupe d’opposition Société civile, divers droite et du centre (OSCDC) a voté « contre ».
« LE TERME DE « VOTATION » GÉNÈRE DE l’AMBIGUÏTÉ »
Maîtresse de conférence en droit public, Camille Morio apporte son éclairage sur le « nouveau » dispositif d’interpellation et de votation citoyennes de la Ville de Grenoble.« Par rapport à l’ancien dispositif, la Ville rattache son nouveau dispositif à l’article L‑131 – 1 du code des relations entre le public et l’administration et au cadre de la « consultation ouverte facultative ». Elle prend soin, aussi, dans la tournure de son règlement, de bien mettre en exergue, le caractère non décisoire de son dispositif… C’est ce qui avait posé problème, entre autres, pour le précédent dispositif (…) Malgré tout, elle continue à appeler son dispositif « votation », ce qui génère une certaine ambiguïté. Il serait plus rigoureux de parler d’une consultation citoyenne et d’être clair dans le message vis-à-vis des habitantes et habitants (…)
Sur le plan juridique, le risque demeure, en cas de contentieux, que le juge considère qu’il y a un détournement des règles très contraignantes du code général des collectivités territoriales. Pour éviter la censure, la ville devra veiller à se démarquer dans sa démarche des règles du référendum local par l’originalité de l’objet de la consultation et la portée de cette dernière.
Sur le papier, la frontière semble bien marquée. Ainsi, l’originalité de l’objet de la consultation est manifeste : on se trouve dans un dispositif graduel, global, comprenant certaines étapes, où les pétitionnaires sont associés au traitement de leur proposition. Sur la portée du vote, différentes modalités sont proposées, ce qui n’est pas prévu dans le cadre du référendum local. »