REPORTAGE – Les syndicats de l’Éducation nationale appelaient à manifester mardi 26 janvier partout en France. À Grenoble, le cortège a été rejoint par les étudiants et les lycéens. Les enseignants réclament une revalorisation salariale, des créations de postes et l’abandon des discussions du Grenelle de l’éducation. Les jeunes alertent sur leurs conditions d’études rendues compliquées depuis quasiment un an à cause des confinements et des cours en distanciel. La détresse est palpable et le malaise profond.
« Je suis présent aujourd’hui pour avoir plus de ressources et de moyens dans l’éducation, mais aussi pour une meilleure prise en compte des besoins des élèves et des enseignants », insiste Nicolas Cattié.
Ce professeur de maintenance industrielle au lycée Vaucanson arbore un masque rouge siglé CGT sur la place de Verdun ce mardi 26 janvier. Comme lui, plusieurs milliers de personnes ont répondu à l’appel des syndicats pour cette nouvelle journée de mobilisation.
En Isère, le mouvement a été initié par la CGT, mais aussi Solidaires, FSU, FO, PAS, et Snalc. Les organisations étudiantes sont également venues étoffer le cortège. Enseignants et élèves, dans le même bateau, subissent en effet la crise sanitaire et ses nombreuses conséquences.
Le cortège s’est élancé de la place de Verdun en direction de Chavant en passant par la rue Lesdiguères. Les manifestants sont ensuite passés devant l’hôtel de ville boulevard Jean-Pain, puis ils ont tourné à gauche au niveau de la rue des Dauphins pour terminer devant le rectorat de Grenoble.
Un manque de moyens dénoncé par les enseignants
Dans la foule, un autre masque se distingue : celui de Serge Paillard, secrétaire départemental de la FSU Isère portant les trois lettres de son syndicat. « On s’est tous rendu compte que l’école et les services publics c’était important », explique l’enseignant au lycée Pablo-Neruda de Saint-Martin-d’Hères.
Il dénonce un manque de moyens depuis plusieurs années dans l’Éducation nationale. Et souhaite, pour pallier ces carences, la création de postes d’enseignants qui permettrait d’avoir moins d’élèves par classe. Un atout en cette période de distanciation physique.
Les syndicats veulent également une revalorisation de leur rémunération. « Le retard sur les salaires date d’une vingtaine d’années, rapporte Serge Paillard. C’est à peu près 1% par an. Là, ce n’est plus possible ! » Le Grenelle de l’éducation est aussi dans le viseur des manifestants, qui souhaitent son abandon pur et simple.
Les enseignant accusent les réformes de dégrader encore leur quotidien. « On se retrouve avec des moyens dégressifs et un volume moyen hebdomadaire pour l’élève qui va diminuer », constate Nicolas Cattié. Qui prend pour exemple le cycle de la formation de ses élèves passé de quatre à deux ans avec la transformation de la voie professionnelle.
Jeunesse en distanciel, détresse réelle
Et ils sont nombreux, les jeunes, à battre le pavé sous le doux soleil hivernal. Dans la foule compacte, ils entonnent quelques slogans. « Macron t’es foutu, la jeunesse est dans la rue » ou encore « Tout le monde déteste le distanciel ».
La détresse grandit chez la plupart d’entre eux. Laya porte une petite pancarte où est dessiné un jeu de dames. Sauf que les pièces sont ensanglantées. On peut lire « Les échecs scolaires, ils jouent avec nos vies ».
L’étudiante en lettres modernes n’imaginait sans doute pas vivre une première année de fac dans ces conditions. « Jusque-là, j’avais seulement deux heures et demi de cours en distanciel par semaine. C’est pas suffisant pour réussir une année et aller jusqu’aux partiels », se désole-t-elle.
Laya n’a assisté à aucun cours en physique. Impossible, dans ces conditions, de nouer des relations avec des camarades de classe qu’elle ne connaît pas.
Et la crise affecte ses revenus. « Mes bourses ne couvrent même pas mon loyer, rapporte-t-elle. Ma mère est en train de perdre son commerce à cause du Covid et doit se mettre dans des ennuis financiers chaque mois pour que je puisse continuer mes études. » Le malaise se lit dans ses yeux. Les offres d’emploi pour les étudiants sont désormais réduites à portion congrue. « Ça ne peut pas continuer comme ça », juge Laya, le visage soudainement éclairé par un sourire.
Dépression et isolement
À côté d’elle, une autre pancarte attire l’attention, avec des boîtes d’anti-dépresseurs collées : Xanax, Efexor et Risperdal. Et une question écrite au feutre noir : « Combien de preuves vous faudra-t-il ? » L’auteur de cette pancarte, étudiante originaire de Turquie en master à l’école d’architecture, a fait une demande d’entretien avec un psychologue lors du confinement. On lui a donné rendez-vous… quatre mois plus tard.
Les cours en distanciel et le manque d’interactions sociales ont pesé sur son moral. En détresse, elle a fait une tentative de suicide. Après cet acte, l’étudiante a finalement pu être reçue chez un professionnel. « Pour être écoutés, on est obligés d’aller aussi loin, je trouve ça terrible ! », estime-t-elle. Et ils sont nombreux à être en souffrance comme elle. Deux étudiants se sont même suicidés à Grenoble depuis décembre.
Des annonces présidentielles jugées « insuffisantes »
Pour sortir de cette situation de plus en plus dégradée, les organisations étudiantes exigent le retour des cours en présentiel, un plan national contre la précarité et l’embauche de psychologues et d’assistantes sociales.
Le président de la République a d’ores et déjà annoncé des aides pour les étudiants. Avec la mise en place de deux repas à un euro pour tous au Crous ainsi que l’instauration d’un chèque pour pouvoir consulter un psychologue. « C’est largement insuffisant », tance Hugo Prevost président de l’Union des étudiants de Grenoble (UEG). Également porte-parole de l’association Génération précarité qui organise des distributions alimentaires, il a constaté une hausse de la détresse.
« À un moment donné, les associations étudiantes peuvent mettre toute la bonne volonté du monde, tant que le gouvernement n’agit pas et ne met pas la main au portefeuille, ça [ne] sert pas à grand chose, insiste Hugo Prévost. C’est comme un pansement sur une jambe de bois ! »
Un retour progressif des étudiants sur les campus
Emmanuel Macron a également annoncé le retour des étudiants sur les campus. Un retour progressif, à raison d’un jour par semaine. Une annonce qui va dans le bon sens pour Hugo Prévost, mais qui reste « floue ». Les syndicats souhaitent des actes forts et concrets. L’UEG s’est associé à 33 autres organisations a interpellé en ce sens le gouvernement dans une tribune.
En attendant des mesures concrètes du gouvernement, la détresse s’amplifie. « On a peur de ne pas s’en sortir financièrement. On a peur de ne pas survivre psychologiquement à la crise. On a peur de ne pas réussir nos études. On a peur pour notre avenir et de ne pas en avoir tout simplement », résume Layla.
Tim Buisson
Un peu plus de 10% de grévistes dans l’académie de Grenoble, selon le rectorat
Les enseignants étaient nombreux à battre le pavé pour cette nouvelle journée de mobilisation, mardi 26 janvier. Des centaines.
Parmi ceux du premier et du second degré, 11,1% ont fait grève, selon le rectorat de Grenoble. À savoir, 15,3% dans l’enseignement secondaire, 7% dans le primaire et 6,32% parmi les autres personnels (administratifs, vie scolaire…). Des chiffres toutefois contestés par les syndicats qui estiment que 30 à 40 % des enseignants étaient grévistes.
La Ville de Grenoble avait pour sa part annulé la restauration dans ses cantines en raison d’un personnel insuffisant pour recevoir les enfants. Au total, dans l’Académie de Grenoble, 10,3% des personnels éducatifs se sont déclarés en grève pour cette mobilisation.