REPORTAGE VIDÉO – Plusieurs associations de défense des migrants ou sans-abris essentiellement approvisionnés en barquettes alimentaires demandent à l’État de leur installer des cuisines. Ceci afin qu’ils puissent préparer des repas à leur convenance. Les plats distribués ne correspondraient en effet pas à leurs habitudes alimentaires et ne seraient pas équilibrés. De quoi irriter fortement la direction départementale de la cohésion sociale en charge des lieux d’accueil.
Les repas livrés dans des barquettes aux personnes logées dans des centres d’hébergement d’urgence temporaires ne sont pas à leur goût. Ce qui entraînerait indirectement des problèmes de santé.
Voilà en tout cas ce qu’affirment des militants de plusieurs structures de défense des migrants et sans-abris1Collectif lutte hébergement, association Droit au logement, RESF 38, Village 2 santé, la Fédération Isère de la Ligue des droits de l’Homme.
Une vingtaine de militants se sont ainsi rassemblés, symboliquement pendant la semaine du goût, jeudi 15 octobre 2020, « pour rappeler que tout le monde devrait avoir le droit de manger selon ses goûts ».
Un rassemblement pour faire pression
C’est devant la direction départementale de la cohésion sociale (DDCS) rue Joseph-Chanrion à Grenoble qu’ils s’étaient donné rendez-vous. La DDCS est en effet en charge de la gestion des centres d’hébergement d’urgence ouverts pendant la trêve hivernale, ainsi que de l’approvisionnement en alimentation des personnes hébergées.
« On n’a absolument rien à reprocher au travail que fait la Banque alimentaire de l’Isère qui prépare ces repas », prend soin de préciser l’une des militantes, tandis qu’elle vient d’afficher sur les grilles de la DDCS des photos montrant des frigidaires bondés de barquettes alimentaires.
Pourtant, d’après les militants, le contenu de ces préparations ne conviendrait pas aux personnes hébergées, ce qui entraînerait des carences alimentaires. Selon leurs informations, des enfants auraient souffert « de sous-nutrition et de diabète ». Il y aurait également eu « des cas d’occlusion intestinale en raison de l’insuffisance de fibres ».
Viande non halal dans les barquettes, trop de pâtes, pas de fruits…
Pour l’occasion, les militants ont apporté une enceinte afin de faire entendre quelques témoignages audio recueillis auprès de personnes hébergées. La plupart se plaignent ainsi de ne pas pouvoir manger ce qu’ils voudraient. Sont notamment pointés le manque de variété dans le contenu des barquettes, ainsi que l’absence de légumes et de fruits frais.
Les pâtes seraient également trop souvent au menu, alors que certaines familles n’en mangent pas. Et la viande partirait à la poubelle, beaucoup de personnes mises à l’abri de confession musulmane ne mangeant que de la viande halal.
Pour contourner les barquettes, des familles chercheraient à cuisiner, par exemple dans le centre d’hébergement de Voreppe, qui dispose d’une petite cuisine avec quatre plaques. Mais comme les familles sont très nombreuses – 140 personnes au total –, elles n’y ont accès qu’une heure par semaine.
« Il faut leur permettre de cuisiner les produits à leur manière »
« Il faut livrer des colis alimentaires et permettre aux personnes de cuisiner les produits à leur manière », martèlent les militants. Qui exhortent la DDCS à tenir compte des doléances des personnes hébergées, d’ici le début de la trêve hivernale du 1er novembre. Une date qui marque l’ouverture des structures de mise à l’abri susceptibles d’accueillir les sans domicile fixe, les déboutés du droit d’asile et les migrants.
La livraison de colis alimentaires et l’équipement de cuisines ne coûterait d’ailleurs pas plus cher à l’État, estime Baptiste, membre du collectif lutte hébergement.
Barquettes alimentaires : la directrice de la DDCS veut « rétablir la vérité »
Interrogée, la directrice de DDCS, Corinne Gautherin, se montre très agacée par les récriminations des associations. « Je veux rétablir la vérité, déclare-t-elle. On est vigilants sur cette question de l’alimentaire. On ne cherche pas à avoir des difficultés. On tient à ce que les gens soient correctement nourris. »
S’agissant des carences alimentaires, elle ne voit pas comment cela pourrait arriver toutes les personnes étant suivies et connues. Sachant qu’en cas de régime alimentaire spécifique, la direction en est informée.
Le contenu des barquettes est en outre, d’après elle, très correct. « Je m’inscris en faux sur le fait que des personnes meurent de faim !, s’insurge-t-elle. On leur donne suffisamment de nourriture différente pour que ça corresponde aux besoins d’enfants, de femmes et d’hommes qui doivent manger équilibré. »
« On n’est pas là pour faire des ateliers cuisine »
La directrice assure par ailleurs que des produits frais, tels que des laitages et des fruits, sont bien distribués, ainsi que des petits déjeuners et du lait pour les bébés. Quant à l’installation de cuisine, il ne faudrait pas trop y compter selon elle.
« On est dans la mise à l’abri temporaire, rappelle-t-elle. On apporte à manger à ces personnes. On n’est pas là pour faire des ateliers cuisines. De plus, les conditions sanitaires sont très compliquées avec le Covid. »
En revanche, elle tient tout de même à dissiper tout malentendu : dans le parc d’hébergement d’urgence dit pérenne, comptant 1580 places, les personnes disposent bien de cuisines.
Pas sûr que cette fin de non-recevoir décourage les militants associatifs, qui estiment que le droit à l’alimentation relève des droits de l’Homme. Et ces derniers d’affirmer que, selon l’Organisation des nations unies, toute personne a le droit « d’avoir un accès régulier, permanent et libre, soit directement, soit au moyen d’achats monétaires, à une nourriture quantitativement et qualitativement adéquate et suffisante », et selon ses « traditions culturelles ».
Séverine Cattiaux
1 Collectif lutte hébergement, association Droit au logement, RESF 38, Village 2 santé, la Fédération Isère de la Ligue des droits de l’Homme