TRIBUNE LIBRE – Le 23 octobre 2020, après l’assassinat de Samuel Paty par un terroriste islamiste, Place Gre’net avait publié la tribune d’un proviseur de lycée isérois « classé difficile ». Ce dernier y dénonçait la lâcheté de sa hiérarchie et l’attitude coupable de l’Éducation nationale et son administration qui, en détournant le regard des problèmes des professeurs, fragilisait les équipes éducatives et sapait les valeurs de la République. Sans un changement profond, ce proviseur en colère redoutait un nouveau drame, qui a eu lieu, avec l’assassinat de l’enseignant Dominique Bernard à Arras, le 13 octobre 2023 perpétré par un ancien élève radicalisé. « Rien n’a changé en trois ans » se désole Abdellaziz Guesmi, qui a décidé de ne plus cacher son nom. L’ex-proviseur du lycée professionnel Roger-Deschaux de Sassenage a pris sa retraite en juin 2022. À sa demande, nous republions sa tribune.
« Le désarroi et la colère du président de la République face au meurtre de Monsieur Paty ne sont pas feints. Mais le président sait-il que ce sont nos nombreuses lâchetés et concessions qui ont entraîné la mort de Samuel Paty et que d’autres drames sont possibles ? Au-delà de la fin tragique de Samuel Paty, nous sommes nombreux à vivre quotidiennement des conflits de moindre intensité mais qui pourraient dégénérer en morts ou blessés.
« Il faut faire semblant que tout va bien, il faut taire les situations honteuses »
La politique de l’Éducation nationale, de « pas de vagues, ne pas attirer l’attention », entraîne des pressions inconsidérées sur les enseignants et sur leur hiérarchie directe, principaux ou proviseurs. Chacun adopte alors une stratégie de survie. Il faut faire semblant que tout va bien, il faut taire les situations honteuses. Les professeurs se retrouvent abandonnés face aux élèves et livrés à leur agressivité, surtout quand ils n’ont pas le soutien – ce qui est fréquent – de leur patron. Ce patron veut être muté sur un poste plus important, alors, silence dans les rangs.
Si vous soutenez vos personnels, on vous reprochera votre manque de loyauté, même si vous êtes reconnu comme étant « très attaché aux valeurs de la République ». La loyauté doit donc – selon eux – aller à la personne de votre chef et non pas à l’État ! La hiérarchie académique cherche souvent à vous réduire au silence et vous demande d’en faire autant avec vos enseignants. Dans sa bonté, le service de communication (si, si) vous alertera sur les risques à recevoir la presse.
« Le professeur est convoqué comme un malfrat »
Les obstacles mis par la Direction des services départementaux de l’Éducation nationale (DSDEN) et le rectorat pour sanctionner tel ou tel comportement déviant, sont nombreux. Avant de sanctionner un élève porteur d’arme (couteau, machette, tournevis…) ou qui insulte son professeur, vous devez d’abord chercher à le recaser dans un autre établissement !
Les parents feront appel de la sanction et vous serez convoqué au rectorat comme un malfrat, au même titre que l’élève exclu. L’élève est alors re-scolarisé dans les conditions les plus favorables qui annihilent le sens même de la sanction. Le message est limpide : arrêtez d’exclure, de sanctionner. Tenez, imaginez donc une collègue qui a été traitée par un élève de pu** et qu’elle le retrouve le lendemain face à elle. Il a eu une heure de retenue pour son méfait. Pas de vagues.
« Ne demandez surtout pas d’aide ou de conseils à votre hiérarchie…»
Suite à un conflit interne, mais provoqué par cette hiérarchie, on vous donne, pour le gérer « les éléments de langage ». Et quand il s’agit d’un contentieux entre un professeur et une famille, on vous conseille « de ne pas faire perdre la face à la famille » ! Nous avons la sensation d’être le service après-vente d’un fabricant pour qui le client est roi.
Que faire quand un parent d’élève « modéré » vous dit : « Mme X n’a pas le droit de parler de l’Islam en cours d’histoire-géographie !» ? Eh oui, Mme X n’est pas musulmane et c’est une femme… Que faire quand une délégation de parents vous demande une aumônerie au collège, au même titre que les « autres » ! Ne demandez surtout pas d’aide ou de conseils à votre hiérarchie, vous lui donnerez l’impression que vous n’êtes pas un bon chef !
Que ferons-nous des élèves qui refuseront une minute de silence pour Samuel Paty ?
Quelles réponses ou suivis ont été apportés aux élèves qui ont refusé de respecter une minute de silence à la mémoire des victimes des attentats ? Surtout pas de vagues, pas de martyrs ! Le 2 novembre, que ferons-nous des élèves qui refuseront de respecter une minute de silence à la mémoire de Samuel Paty ? L’institution nous demandera « de dialoguer avec les élèves et les familles ».
Notre signalement pour des propos hostiles tenus en classe, ou le refus de suivre un cours de SVT [Sciences de la vie et de la Terre, ndlr] ou d’aller à la piscine restent souvent sans écho. Et si vous insistez, vous aurez la réponse suivante : « Vous n’êtes pas qualifié pour juger de la radicalisation de l’élève signalé. »
Quelles sont donc ces personnes qualifiées ? Des gens fatigués et usés, sans la moindre connaissance et culture qui leur permettent de saisir l’ampleur de la situation et son impact sur un établissement. Il faut passer outre la barrière hiérarchique pour alerter la police, qui vous écoutera avec respect et admiration sur le cas d’un élève dangereux qui parle « d’eux (les mécréants) et de nous (les bons musulmans)». Découragé, on finit par ne plus faire de signalements.
La Dasen passe l’éponge sur les absences répétées d’élèves
Le recteur doit donner à son ministre l’impression que tout va bien dans son académie. L’inspecteur d’académie (Dasen), entouré d’une camarilla, doit faire de même dans son département, et donc chez vous, dans votre établissement où les lois de la République sont détournées.
Tenez, un exemple : l’absentéisme est particulièrement élevé le vendredi après-midi. Pas de souci, vous justifierez ces absences avec le motif suivant, d’apparence anodine : « raison personnelle ou familiale ». Les élèves et les familles croient donc que vous validez les absences. Quand vous décidez de juguler cet absentéisme en suspendant les bourses, vous êtes face un mur d’incohérences : le nombre de demi-journées d’absences réelles, à déclarer, est défalqué automatiquement de 15 demi-journées. Si malgré cet obstacle, vous parvenez à suspendre partiellement la bourse, la famille concernée ira voir l’assistante sociale pour une demande d’aide… qui sera satisfaite.
Des profs contractuels envoyés pour jouer les « grands frères »
Pourquoi, encore, ces affectations dans les établissements les plus exposés au refus de la République, de nombreux de professeurs, souvent contractuels, issus des mêmes communautés que les élèves ? C’est sans doute-là l’application, par le rectorat, du principe d’obligation de moyens.
Mais comment peut-on gérer ces enseignants, souvent de bonne volonté, qui ne maîtrisent ni la langue française ni les valeurs de la République ? Vous ne pensez tout de même pas qu’on va les affecter dans le collège d’une commune huppée ? Dans l’esprit de ceux qui les nomment, ces enseignants sont réellement utiles ; ils jouent le rôle de « grands frères », au risque d’aggraver les tensions.
Pour le titulaire « limite », que vous signalez à son inspecteur, parce qu’il refuse de s’asseoir avec les collègues féminines ou parce qu’il tient un discours tendancieux aux élèves, vous aurez la réponse désabusée et qui vise à vous « responsabiliser » : “Qu’est-ce vous voulez qu’on fasse ? On compte sur vous pour nous le tenir!”
Ces élus qui financent des « associations aux objectifs douteux »
Je pourrais ajouter à ces lâchetés celles de certains maires qui sont d’une duplicité inouïe : ils se gargarisent de République mais font campagne sur la construction d’une mosquée et entretiennent un communautarisme clientéliste multicartes en finançant des associations de soutien scolaire (!) aux objectifs douteux. Et que dire de certains candidats aux élections pour qui les lois du Coran (sic) sont supérieures à celles de la République ?
L’Éducation nationale doit changer en profondeur
La colère du président est partagée, mais nous avons besoin d’actes et de consignes applicables. Ces consignes ne viendront pas du ministère actuel ni des responsables académiques en place. Leur fonctionnement, qui a donné les résultats qu’on sait, ne changera pas. Leur gestion du Covid est un modèle d’impréparation… Les nombreux préfets hors-cadre les remplaceront à merveille.
Le combat contre l’islamisme meurtrier ne doit pas occulter la réflexion sur la doctrine et le pilotage de nos services d’éducation, ni établir aux yeux des élèves et de leurs parents une hiérarchie entre un islamisme assassin et un islamisme acceptable.
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Rappel : Les tribunes publiées sur Place Gre’net ont pour vocation de nourrir le débat et de contribuer à un échange constructif entre citoyens d’opinions diverses. Les propos tenus dans ce cadre ne reflètent en aucune mesure les opinions des journalistes ou de la rédaction et n’engagent que leur auteur.
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