TRIBUNE LIBRE – Dans un courrier adressé à Emmanuel Macron, au ministre de la Santé Olivier Véran, au président du Département de l’Isère Jean-Pierre Barbier, ainsi qu’à l’union nationale de l’aide et du soin (Una), Éric Perrichet, aide à domicile à Saint-Martin-d’Hères*, accuse le monde politique de mépris et d’abandon. Le 7 mai, le Premier ministre a en effet annoncé le versement d’une prime pour le personnel des Ehpad. Sans un mot pour ceux intervenant au domicile des personnes âgées, renvoyant la balle du financement dans le camp des départements.
J’accuse (mon devoir est de parler, je ne veux pas être complice),
Voilà bien encore la preuve du mépris que nos dirigeants et nos décideurs nous portent en excluant de facto notre profession du champ médico-social par le non-versement d’une prime exceptionnelle annoncée en direction des équipes soignantes et assimilées.
Nous serons à nouveau les grands oubliés du dispositif de remerciement. Car s’il y avait bien un métier qui cochait l’ensemble des deux cases, c’était celui que nous exerçons chaque jour auprès de nos seniors dépendants.
Champ médico : puisque par la nature même de nos missions, nous effectuons peu ou prou la presque totalité des prérogatives d’une aide-soignante par le biais du glissement des tâches dues à la pénurie de main d’œuvre. Change, manipulation du matériel de levage, toilettes, prévention des plaies, surveillance de la prise de médicaments, sentinelle d’alerte, etc.
Champ social : mais que rajouter que vous ne sachiez déjà ? À savoir, le seul ou rare lien qui subsiste encore avec nos aînés dans le cas d’un conjoint décédé, d’une famille absente ou éloignée. En cette période si anxiogène de pandémie du Covid-19, nous continuons à œuvrer avec abnégation, humblement et dans le silence, pour maintenir une certaine humanité et prévenir d’un risque encore plus grand peut‑être même que le Covid-19 : ce que les psychologues nomment le syndrome de glissement.
J’accuse le monde politique
J’accuse le monde politique, de mépris, d’abandon de toute une armée de petites mains. Pardonnez-moi la comparaison avec la haute-couture, sans qui rien ne peut se faire. Nous sommes les chevilles ouvrières qui travaillent dans l’ombre pour faire en sorte que le choix qui a été fait – de conserver à domicile toute une population pour ne pas coûter au système de santé – ne vienne pas alourdir le lourd bilan des décès directs ou indirects de cette pandémie.
J’accuse notre président, notre ministère de tutelle, nos députés, nos conseils départementaux ou régionaux, tous nos financeurs, de nous avoir livrés en pâture en début de pandémie et de ne pas s’en souvenir. Le sentiment ancré que rien ne serait fait pour nous ne nous a pour autant jamais éloignés de nos missions.
J’accuse la société
J’accuse la société dans son ensemble de fermer les yeux sur nos conditions de travail, qu’elles soient salariales ou organisationnelles, soit par confort, soit par ignorance. Qui connaît réellement le métier d’aide à domicile ou d’auxiliaire de vie ? Des salaires à vie au Smic, avec une évolution de carrière qui se heurte à l’absence ou à la grande rareté de passerelles qui permettraient de se former et d’évoluer vers un autre métier. Les seules formations qui nous sont offertes ne peuvent nous conduire au mieux qu’au métier d’aide soignant, nous permettant à peine de nous extraire d’une situation salariale précaire.
Notre quotidien, ce sont des gestes techniques, un savoir‑être permanent où nous devons chaque jour, pour chaque usager, remettre notre ouvrage sur le métier. Notre corpus de patients ou d’usagers n’est pas homogène, pas plus socialement que médicalement. Nous accompagnons des personnes âgées, certes, mais avec un écart d’âge important puisque nous pouvons suivre des usagers sexagénaires jusqu’au très grand âge.
Ôtez-vous de l’esprit que nous serions traités unilatéralement comme des sauveurs. Bien souvent, notre métier se confond avec celui d’une femme de ménage, cette dernière bénéficiant même d’un meilleur taux horaire qu’un aide à domicile ou qu’un auxiliaire de vie. Nous sommes corvéables à souhait avec la nécessité, souvent avec de l’incompréhension, de redéfinir nos missions auprès de nos usagers. Alors stop à l’angélisme !
Cherchez les métiers occupés à 97 % par des femmes, souvent d’origine étrangère, peu diplômées et vous trouverez un des métiers les moins bien payés, offrant un minimum d’avantages par ailleurs. De là à voir un signe de l’oubli que nous subissons ou un dédain envers nos anciens, il n’y a qu’un pas.
Rien n’engage à embrasser cette carrière
Salaire au Smic toute une carrière, temps partiel souvent subi, astreinte et travail les week-ends et les jours fériés, respectivement majorés de 40 % ou d’une indemnité de 28 euros jour, utilisation de son propre véhicule avec une indemnité kilométrique de 38 centimes d’euros (conditions parfois sine qua non pour obtenir la signature de son contrat), évolution de carrière limitée, pas de compte épargne temps, pas de ticket restaurant, etc.
J’arrête là cet inventaire à la Prévert car, vous l’avez bien compris, mais vous le saviez déjà, rien n’engage à embrasser cette carrière (qui accepterait de telles conditions, si ce n’est une population d’actifs qui n’a souvent d’autres choix que ce type d’emploi ?)
Je fais partie des 3 % restant, arrivé il y a maintenant presque deux ans et demi dans ce métier, par calcul, accident ou nécessité. Homme de 59 ans diplômé bac + 4, je fais partie des exceptions qui composent la masse des salariés de l’aide à domicile. J’ai, depuis, pu apprécier les qualités indispensables pour être en mesure d’exercer le métier au quotidien et l’abnégation de mes collègues.
Oui, car il s’agit bien d’un métier avec ses prérequis et non pas d’un hobby ou de bénévolat. En ma qualité d’élu, je me suis approprié notre convention collective, j’ai dialogué avec beaucoup de mes pairs. Toutes et tous aspirent à de la reconnaissance, qui de nos jours passe nécessairement par de la reconnaissance salariale, une convention collective plus avantageuse qui autorisera une reconnaissance sociétale.
Quel message envoyez-vous à mes collègues en leur refusant cette prime ?
Quel message envoyez-vous aujourd’hui à mes collègues avec cette prime que l’on se voit refuser et qui vient conforter un sentiment et enfoncer le clou ?
Si l’on pouvait comprendre que le plan « Grand âge » était à venir – nous l’appelons de nos vœux –, nous constatons avec ce refus que, décidément, nous ne valons pas grand-chose sur l’échelle de la production de richesses.
On nous parle de prime Macron possible en déplaçant cette responsabilité vers nos employeurs. C’est oublier un peu trop vite que ces derniers sont très souvent des associations qui nous rapportent qu’elles n’en ont absolument pas les moyens financiers. La décision du versement d’une prime exceptionnelle vous incombe, Mesdames, Messieurs les décideurs. Elle serait juste, comprise par tous et signifierait à une corporation le respect que vous lui portez.
J’accuse, Mesdames, Messieurs, notre société et ses représentants de discrimination à notre endroit et je terminerai cette lettre en convoquant une dernière fois Émile Zola. « Je l’ai dit ailleurs et je le répète ici : quand on enferme la vérité sous terre, elle s’y amasse, elle y prend une force telle l’explosion que, le jour où elle éclate, elle fait tout sauter avec elle, on verra bien si l’on vient bien de préparer pour plus tard, le plus retentissant des désastres. »
Si demain, après‑demain à l’automne, un rebond de la pandémie survient, pensez-vous que notre corporation aura la mémoire courte ? Je vous laisse y réfléchir en votre âme et conscience.
Éric Perrichet*
- * Aide à domicile à Saint-Martin-d’Hères, élu CGT au comité social et économique (CSE)
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