FOCUS – À l’appel de deux organisations syndicales d’infirmiers libéraux, un rassemblement s’est tenu ce jeudi 2 janvier devant la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de l’Isère. En cause, la mise en œuvre ce 1er janvier d’une nouvelle mouture du bilan de soins infirmiers (BSI) qu’elles appellent à boycotter. Les syndicats et leurs adhérents craignent en effet que son application ne provoque une rupture dans l’accès aux soins de certains patients dépendants.
Un rassemblement s’est tenu ce jeudi 2 janvier devant le siège de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de l’Isère à l’appel national de deux syndicats d’infirmiers libéraux.
L’Organisation nationale des syndicats d’infirmiers libéraux (Onsil) et Infin’Idels tenaient ainsi à protester contre l’application du bilan de soins infirmiers (BSI), notamment son avenant 6, entré en vigueur le 1er janvier.
Les organisations syndicales qui appellent à son boycott estiment que la profession va être « durement impactée » par l’application de ce texte. Elles estiment en effet qu’il va « complexifier son exercice, la déposséder de son analyse de situation et renier son rôle propre ».
Le BSI, quézaco ?
Ce forfait de soins journaliers s’applique aujourd’hui aux plus de 90 ans, concernera les plus de 85 ans en 2021 et les plus de 75 ans en 2022. À partir de 2023, il s’appliquera à toute personne susceptible de recevoir des soins d’hygiène, de prévention et d’éducation.
« Ça compromet grandement la prise en charge des personnes dépendantes »
« Avant, nous pouvions passer quatre fois par jour, appliquer des tarifs de nuit ou poser des actes supplémentaires », explique Antoinette Tranchida, la présidente de l’Onsil. « Avec ce BSI, poursuit-elle, nous n’avons plus que trois forfaits : un forfait léger à 13 euros, un autre, intermédiaire, à 18 euros et, enfin, un forfait lourd à 28 euros. »
Pour la représentante syndicale, le compte n’y est pas. « Avant, pour quatre passages de soins infirmiers, on facturait environ 42 euros. Aujourd’hui, tout ça va être compté dans le forfait à 28 euros, sans les déplacements ! Ça compromet grandement la prise en charge des personnes dépendantes », déplore-t-elle.
De plus, ajoute Antoinette Tranchida, « rien ne concerne les soins palliatifs et le handicap lourd. Il n’y a que trois forfaits et nous devons nous débrouiller avec ça ! » Également en cause, le plafonnement des indemnités horokilométriques à 400 km par jour.
« Là, ils ont décidé qu’au-delà de 300 km, les infirmiers factureraient la moitié des indemnités, et qu’à partir de 400 km ils ne pourraient plus rien facturer », indique la syndicaliste. Conséquence prévisible, selon elle ? Une rupture de l’accès aux soins. Avec, de surcroît, le risque d’une perte de motivation pour aller assurer des soins à des personnes éloignées des cabinets. « Vous pensez bien que les infirmiers ne vont pas se déplacer gratuitement ! », lance-t-elle.
Les patients craignent pour leur prise en charge
« Nous sommes concernés parce que nous avons recours aux soins à domicile pour nos besoins de dépendance. Nous avons peur que la complexité du BSI pousse les infirmiers libéraux à abandonner ce type de soins », explique Jean-Marc, tétraplégique venu en soutien. Ce dernier craint un effet direct sur la rémunération des infirmiers pour la prise en charge des handicaps les plus lourds.
Mais aussi d’autres effets liés au dossier administratif. « Aujourd’hui, c’est un algorithme qui va décider de placer le type de soins dans une des trois catégories, avec une rémunération forfaitaire attribuée à un seul infirmier. » De plus, ajoute Jean-Marc, « il n’est pas prévu que chaque intervenant soit rémunéré séparément. Le forfait n’étant pas sécable, je ne pense pas que les infirmiers accepteront de ne pas pouvoir facturer leurs propres soins ».
« Ce sont les personnes dépendantes ou de plus de 90 ans qui risquent de pâtir d’un refus de soins de la part des professionnels », appuie Marjorie Gonon, infirmière libérale. « Nous allons bien y réfléchir. Aux prochains appels, nous allons demander non plus “où habitez-vous ?” mais “quel âge avez-vous ?” et c’est dommage d’en arriver là », regrette-t-elle. « Nous faisons déjà beaucoup de choses que nous ne devrions pas faire : auxiliaire, assistante sociale, on ramène le pain quand il neige… On va arrêter d’en faire plus. »
« Le BSI ne présente aucun avantage pour la profession »
Pour les deux organisations syndicales qui appellent à un moratoire, cette première mobilisation n’est que le début d’un « nouveau souffle de contestation » face à l’Union nationale des caisses d’assurance maladie (Uncam). Elles dénoncent la volonté des pouvoirs publics de mettre en place « un exercice infirmier libéral dangereux » pour les patients dépendants. « Le BSI ne présente aucun avantage pour la profession, clament les syndicats. Il n’est que l’outil de l’Uncam pour diminuer la prise en charge de patients dépendants afin d’en transférer les coûts vers le social. »
La profession redoute les effets de bord que pourrait provoquer, en l’état, l’application du BSI. « Les professionnels risquent de faire l’objet d’attaques injustifiées en cas de rupture d’accès aux soins pour certains patients dépendants », soulignent leurs représentants syndicaux. C’est en substance toute la teneur de la lettre remise ce 2 janvier aux instances locales de la CPAM.
Dans cette missive, les signataires demandent instamment à l’institution « de ne pas rendre le BSI opérationnel dans le département et de continuer à appliquer ce qui est actuellement en cours ».
Par ailleurs, l’Onsil et Infin’Idels invitent adhérents, patients et soutiens à participer à un nouveau rassemblement le jeudi 9 janvier devant la CPAM de Grenoble, ainsi que tous les jeudis qui suivront.
Joël Kermabon