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© Gilles-Marie Moreau

Restauration du patri­moine reli­gieux ancien de Grenoble : « un plan d’urgence s’impose »

Restauration du patri­moine reli­gieux ancien de Grenoble : « un plan d’urgence s’impose »

TRIBUNE LIBRE – Gilles-Marie Moreau, his­to­rien, auteur de plu­sieurs livres sur l’his­toire de Grenoble et de sa région, nous a trans­mis un cour­rier qu’il a trans­mis aux prin­ci­paux can­di­dats à la mai­rie de Grenoble pour les aler­ter sur l’é­tat inquié­tant du patri­moine reli­gieux ancien de la ville. Il leur demande la mise en place d’un plan d’ur­gence lors de la pro­chaine man­da­ture municipale.

Madame, Monsieur,

Suite à votre décla­ra­tion de can­di­da­ture à la mai­rie de Grenoble, je sou­hai­te­rais atti­rer votre atten­tion sur l’état très pré­oc­cu­pant du patri­moine reli­gieux ancien de Grenoble.

1) La col­lé­giale Saint-André (XIIIe s.)

Patrimoine religieux à Grenoble. © Gilles-Marie Moreau

© Gilles-Marie Moreau

La col­lé­giale Saint-André, située au cœur du vieux Grenoble, est le seul monu­ment construit par les sou­ve­rains du Dauphiné qui nous soit par­venu presque intact. Ancienne cha­pelle du palais del­phi­nal et nécro­pole des Dauphins, puis cha­pelle du Parlement de Dauphiné, elle est char­gée d’histoire ; de nom­breux évé­ne­ments s’y sont dérou­lés en rela­tion avec l’histoire de la ville de Grenoble, et plus lar­ge­ment avec celle du Dauphiné. Elle abrite encore aujourd’hui le tom­beau du che­va­lier Bayard. Classée aux Monuments his­to­riques, sa sil­houette est fami­lière à tous les Grenoblois.

Or l’état de dégra­da­tion (exté­rieur et inté­rieur) dans lequel se trouve ce monu­ment est impres­sion­nant, et jure avec le reste de la place Saint-André qui, elle, ne manque pas de cachet et a été res­tau­rée il y a quelques années. À l’extérieur, la façade Nord (côté place Saint-André) offre un spec­tacle de décré­pi­tude misé­rable. À l’intérieur, la liste est longue : dans la cha­pelle du Suffrage, après des infil­tra­tions qui ont per­sisté durant plu­sieurs années, la Ville est enfin venue débou­cher les ché­neaux et a fait tom­ber les pierres et le plâtre dans la cha­pelle, mais depuis… plus rien.

Les tra­vaux res­tent inache­vés et la cha­pelle conti­nue de s’effriter ; dans la cha­pelle d’Humbert Pilat, tout le crépi tombe ; on observe d’importantes fis­sures dans la cha­pelle de la Vierge ; les tableaux du frère André (XVIIIe s.) sont ren­dus illi­sibles par la crasse et l’obscurité ; dans toute l’église, le pave­ment est dis­joint avec les risques affé­rents de chutes de per­sonnes ; cer­tains vitraux sont cas­sés dans le chœur et dans la nef ; et ce ne sont là que les aspects les plus criants.

Incompréhension et tris­tesse dominent parmi les amou­reux du patrimoine

Devant un spec­tacle aussi déso­lant, et aucune pers­pec­tive d’amélioration, l’incompréhension domine parmi les nom­breux tou­ristes, et la tris­tesse parmi les amou­reux du patri­moine et de l’histoire.

Auteur d’un ouvrage sur l’histoire de cette église, j’ai plu­sieurs fois alerté les maires suc­ces­sifs de Grenoble sur sa lente dégra­da­tion. À chaque fois, il m’a été répondu (ver­ba­le­ment ou par écrit) que la mai­rie était au cou­rant… mais sans que rien ne soit entre­pris, en par­ti­cu­lier parce qu’il fal­lait « d’abord s’occuper de la tour Perret » (comme si une ville de l’importance de Grenoble ne pou­vait pas gérer deux chan­tiers de res­tau­ra­tion, et alors qu’elle n’a que très peu d’églises à sa charge en rap­port avec sa popu­la­tion : la majo­rité des églises datent d’après 1905, la cathé­drale relève de l’État, et Saint-Laurent du département).

Patrimoine religieux à Grenoble. © Gilles-Marie Moreau

La cha­pelle Saint-André. © Gilles-Marie Moreau

La com­pé­tence et le dévoue­ment des ser­vices muni­ci­paux concer­nés sont indé­niables, mais la volonté poli­tique est tota­le­ment absente depuis des décen­nies. Certes, la Ville a entre­pris une res­tau­ra­tion du clo­cher (2014−2016), mais elle y a été pra­ti­que­ment for­cée, étant donné que son état de décré­pi­tude consti­tuait un dan­ger pour les pas­sants. Et le rele­vage de l’orgue (2016−2017) n’a pu être réa­lisé que grâce à la téna­cité d’une asso­cia­tion qui en a financé une bonne par­tie avec le sou­tien de la Fondation du Patrimoine.

Mais tout le reste est encore à faire : l’étude préa­lable réa­li­sée en 2007 par l’Architecte en chef des Monuments his­to­riques Alain Tillier (qui ne concer­nait que les façades) est res­tée dans les tiroirs, et la déli­bé­ra­tion muni­ci­pale du 19 mai 2008 est en grande par­tie demeu­rée lettre morte.

© Gilles-Marie Moreau

© Gilles-Marie Moreau

Il semble que seul le milieu asso­cia­tif soit conscient de la gra­vité du pro­blème : l’association Patrimoine et Développement a récem­ment demandé à un archi­tecte du Patrimoine de venir faire un diag­nos­tic sur la cha­pelle d’Humbert Pilat.

En 2028 (donc dans moins de dix ans), la col­lé­giale Saint-André, lieu de mémoire de la ville de Grenoble et du Dauphiné, fêtera ses 800 ans. Célébrera-t-elle cet anni­ver­saire dans un état encore plus dégradé qu’actuellement, autre­ment dit celui d’un chef d’œuvre en péril ?

Pour l’instant, en tout cas, l’état de ce monu­ment his­to­rique est une honte pour une ville telle que Grenoble, pour­tant label­li­sée « Ville d’art et d’histoire ».

À l’inverse, sa remise en état serait un atout impor­tant pour l’attractivité cultu­relle et la mise en valeur his­to­rique de la ville.

2) L’église Saint-Louis (XVIIe s.)

Concernant l’église Saint-Louis, construite sous le règne de Louis XIV par le car­di­nal Le Camus, cha­cun peut consta­ter avec sur­prise… que des arbres ont poussé dans le clo­cher ! Ceci en dit long, ici éga­le­ment, sur le défaut d’entretien, avec les consé­quences inévi­tables : les feuilles bouchent les ché­neaux, d’où, là aussi, des écou­le­ments d’eau qui affectent le tran­sept sud offrant un aspect pitoyable.

Patrimoine religieux à Grenoble. © Gilles-Marie Moreau

Transept de Saint-Louis. © Gilles-Marie Moreau

Et là non plus, rien n’est fait, et rien n’est prévu, alors que le clergé affec­ta­taire a très tôt alerté les ser­vices com­pé­tents. En déses­poir de cause, l’association Patrimoine et Développement, aler­tée par mes soins, a informé la Drac de l’Isère, en fai­sant obser­ver qu’un tel déve­lop­pe­ment de végé­ta­tion dégrade la pierre, des­celle les mor­tiers, et peut pro­vo­quer des chutes, qui seraient par­ti­cu­liè­re­ment pré­ju­di­ciables à ce niveau de hauteur.

L’Udap [unité dépar­te­men­tale de l’architecture et du patri­moine] a alors pris contact avec la ville de Grenoble pour lui deman­der d’organiser un ren­dez-vous sur place et d’envisager les tra­vaux néces­saires, mais cette der­nière a opposé une fin de non-rece­voir : de façon incom­pré­hen­sible, aucune date d’intervention n’est prévue.

3) L’église Saint-Bruno (XIXe s.)

Édifiée sous le Second Empire, elle est la pre­mière église construite entiè­re­ment en ciment moulé. Cet édi­fice souffre de la proxi­mité du mar­ché Saint-Bruno, qui en par­ti­cu­lier génère une grande quan­tité de papiers qui bouchent les ché­neaux et des­centes de toi­ture (sans par­ler du nombre exces­sif de chats errants et de pigeons qui, nour­ris sur place, pro­voquent d’importantes nui­sances par leurs déjections).

Le manque de net­toyage des ché­neaux et des­centes de toi­ture a pro­vo­qué ces der­nières années, à plu­sieurs reprises, des écou­le­ments d’eau à l’intérieur de l’édifice, ce qui a impli­qué d’importantes retouches de pein­ture avec néces­sité d’échafaudage ou de nacelle de 25 m, ce qui aurait pu être évité par un entre­tien normal.

Actuellement, il reste encore d’importantes moi­sis­sures au-des­sus du grand tableau de Flandrin côté Ouest ; ce pro­blème, signalé depuis plus de deux ans, n’est tou­jours pas traité. La muni­ci­pa­lité s’était enga­gée auprès de la paroisse à faire un net­toyage de toi­ture deux fois par an : dans les faits, il n’a pas même lieu une fois par an, et encore, obtenu à grand peine après des dégâts.

De plus, l’horloge publique, qui est bien évi­dem­ment pro­priété de la com­mune puisqu’elle était pré­sente en 1905 au moment de l’inventaire de l’église, est tom­bée en panne en juillet 2019. Après plu­sieurs relances, les ser­vices muni­ci­paux ont refusé d’intervenir, au pré­texte qu’il s’agit selon eux d’un « embel­lis­se­ment ou de mise en valeur en lien avec votre fonc­tion­ne­ment », ce qui est mani­fes­te­ment inexact : contrai­re­ment à ce qui a été déclaré à l’affectataire, il ne s’agit en effet ni d’un embel­lis­se­ment, ni d’aménagement, ni de mise en valeur, mais de répa­rer une hor­loge publique appar­te­nant à la Ville de Grenoble.

4) La cha­pelle des Pénitents (rue Voltaire, XVIIe s.)

Édifiée dans la seconde moi­tié du XVIIe siècle, cette cha­pelle appar­tint jusqu’à la Révolution fran­çaise à la confré­rie des Pénitents blancs de Notre-Dame du Gonfalon et à la confré­rie des Pénitents de la Miséricorde, qui assis­tait les pri­son­niers et les condam­nés à mort.

Sous le nom actuel de cha­pelle de l’Adoration, elle a gardé son impo­sant retable en bois sculpté et son maître-autel en marbre, et abrite éga­le­ment de belles stalles en bois du XVe siècle qui pro­viennent de l’ancien couvent des cis­ter­ciennes de Crolles. Le bail emphy­téo­tique arri­vera à échéance fin 2019, et pour l’instant aucune pers­pec­tive n’est don­née quant à l’avenir de ce lieu.

5) Le Temple (XIXe s.)

Pour mémoire, la com­mu­nauté pro­tes­tante réfor­mée a alerté à plu­sieurs reprises l’équipe muni­ci­pale sur l’état dégradé de la toi­ture du Temple de la place Perinetti, dont la ville est pro­prié­taire. Des tra­vaux sur ce toit sont un préa­lable indis­pen­sable à la réno­va­tion de cet édi­fice, envi­sa­gée et finan­cée par cette com­mu­nauté affec­ta­taire du Temple.

En résumé, il me semble, et cette ana­lyse est par­ta­gée par tous les ama­teurs de patri­moine et d’histoire, que s’impose la mise en place, sous la pro­chaine man­da­ture muni­ci­pale, d’un plan d’urgence visant à rat­tra­per le très impor­tant retard pris en matière d’entretien et de res­tau­ra­tion du patri­moine reli­gieux ancien de Grenoble.

Cet ensemble unique et appré­cié de tous, appar­tient en effet non seule­ment à l’histoire de la ville (qui en est res­pon­sable auprès des géné­ra­tions actuelles et futures) et du Dauphiné, mais à celle de la France et de l’Europe. Sa sau­ve­garde est fon­da­men­tale, aussi bien du point de vue de la trans­mis­sion de la mémoire et de la culture que de celui de l’attractivité et de l’économie du territoire.

Je reste, bien sûr, à votre dis­po­si­tion pour dis­cu­ter de ce sujet et, si vous le sou­hai­tez, pour vous faire visi­ter ces monu­ments, afin de mieux vous en faire sai­sir l’intérêt patri­mo­nial et les urgences en matière de res­tau­ra­tion et de mise en valeur.

Je vous prie de rece­voir, Madame, Monsieur, l’assurance de mes cor­diales salutations.

Gilles-Marie Moreau

Rappel : Les tri­bunes publiées sur Place Gre’net ont pour voca­tion de nour­rir le débat et de contri­buer à un échange construc­tif entre citoyens d’opinions diverses. Les pro­pos tenus dans ce cadre ne reflètent en aucune mesure les opi­nions des jour­na­listes ou de la rédac­tion et n’engagent que leur auteur.

Vous sou­hai­tez nous sou­mettre une tri­bune ? Merci de prendre au préa­lable connais­sance de la charte les régis­sant.

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