FOCUS – RESF, Médecins du monde, Cisem, Droit au logement… autant d’associations, parmi d’autres encore, qui dénoncent la politique migratoire du gouvernement, suite aux récentes annonces du Premier ministre. Du logement à l’accès aux soins en passant par la question des mineurs non accompagnés, les militants condamnent une politique destinée à leur yeux à « faire diversion » face à la contestation sociale.
« Reprendre le contrôle de notre politique migratoire ». Signée Édouard Philippe, la formule résumant la nouvelle feuille de route du gouvernement en matière d’immigration choque les associations de soutien aux migrants de l’Isère. Parmi les annonces du Premier ministre, le 5 novembre dernier : la mise en place de quotas pour répondre aux besoins spécifiques en main d’œuvre ou encore l’instauration d’un délai de carence pour accéder à l’Aide médicale d’État (AME).
Autant d’annonces qui, sans surprise, révoltent les associations. Réunies le 18 novembre, des membres du collectif Migrants en Isère, de la Cisem, du CIIP, de l’Apardap, de RESF, de Médecins du monde ou du Dal se réunissaient pour dire tout le mal qu’ils pensaient de ces orientations. Et s’interroger, à l’image de Roseline Vachetta (Cisem et Dal), sur la nécessité d’une nouvelle loi sur l’immigration quand la dernière date… du 10 septembre 2018.
Le gouvernement accusé de « faire diversion »
Le vocabulaire employé est, en premier lieu, ce qui a unanimement choqué les associations. « Reprendre le contrôle » ? « On a l’impression d’être envahis ! », s’insurge Roseline Vachetta. Qui déroule un champ lexical gouvernemental tournant autour du « contrôle », de la « fraude », des « détournements », des « abus »… Aucun doute aux yeux des associations : tout est fait pour stigmatiser l’immigration et les migrants.
« Ces mesures arrivent à un moment où les résistances sociales contre Macron sont très fortes, et essayent de se coordonner et de converger », juge Roseline Vachetta. Face, par exemple, au mouvement de grève et de manifestations prévu le jeudi 5 décembre, le but serait de donner le change. « Ce n’est pas la première fois que les personnes étrangères sont utilisées pour faire diversion et division », explique la militante.
Au-delà du caractère symbolique, les mesures envisagées préoccupent également les acteurs de terrain. Ainsi, le délai de carence de trois mois imposé aux demandeurs d’asile pour accéder à l’AME les inquiète. « Ça a des conséquences de santé publique… et c’est une aberration au niveau économique : plus vous attendez pour être soigné, plus vous risquez de tomber gravement malade », considère Monique Vuaillat, coordinatrice de Migrants en Isère.
Autre inquiétude : la centralisation des traitements CPAM. Autrefois traitées sur Grenoble, les dossiers isérois sont désormais expédiés à Marseille. « Est-ce que les délais seront respectés ? Est-ce que les gens à Marseille sont assez nombreux pour traiter les dossiers ? », s’interroge Marie Monnet de Médecins du monde. Pour qui ces mesures constituent autant de « reports de soin » susceptibles de saturer encore plus les services des Urgences.
Les mineurs non accompagnés au cœur des inquiétudes
Côté RESF, le traitement des mineurs non accompagnés (MNA) par le Conseil départemental de l’Isère reste en travers de la gorge des militants. À son tour, Réseau Éducation sans frontières dénonce un « langage de suspicion et de discrédit » dans le cadre des enquêtes de majorité. Et avance deux chiffres : seul un tiers des migrants se déclarant mineurs sont considérés comme tels. Et les deux tiers des “récalés“ restent illégalement sur le sol français.
Pour RESF, tout repose sur la subjectivité des enquêteurs, au travers de « procès d’intention » sur la maturité ou l’apparence physique des personnes. « Quand ces jeunes font appel de la décision, plus d’un tiers sont reconnus mineurs par le juge des enfants », affirme Martine François, membre du Réseau. Pour qui les « épreuves humiliantes » que constitue l’enquête en minorité dissuade la plupart des migrants mineurs de se présenter à l’Aide sociale à l’enfance du Département.
En octobre 2019, le Premier ministre annonçait des « solutions » face à la question des MNA « dans les prochaines semaines ». Rien à l’horizon, aux yeux de certains conseils départementaux qui se disent saturés. À tel point que le Département a saisi l’Onu pour appeler l’État à ses responsabilités, comme le relate France Info. RESF, pour sa part, demande un traitement « bienveillant » des personnes. Et le respect de la « présomption de minorité », le temps des procédures de contestation des décisions.
Logement… et campements
Enjeu primordial : la question du logement. Or Yves Delmont, membre du Dal 38, estime ainsi que « le gouvernement avance ses pions pour attaquer le droit d’hébergement inconditionnel ». « Le budget concernant l’hébergement d’urgence a été amputé de 57 millions d’euros, alors que le déficit en place d’hébergement reste très important », dénonce-t-il. Exemple ? Le dispositif d’hébergement hivernal 2019 déployé en Isère, jugé insuffisant.
Une indignation sur fond de multiplication des camps de migrants dans l’agglomération grenobloise. Dont celui du pont de l’Estacade, finalement évacué le jeudi 21 novembre par les forces de l’ordre… en attendant de nouvelles installations sur le même emplacement ? Là encore, l’État est rappelé à ses responsabilités. Dans un courrier en date du 23 octobre, plusieurs maires de France ont ainsi interpellé le gouvernement. Le maire de Grenoble Éric Piolle comptait parmi les signataires.
Principale demande des communes ? « Une répartition territoriale équilibrée des demandeurs d’asile et des réfugiés [s’appuyant] sur un diagnostic prenant en compte les données économiques, sociales et financières des territoires et leurs capacités à prendre en charge ce type de public ». Les maires refusent également toute évacuation « sèche » des campements et réclament des mesures d’hébergement renforcées.
Des implications européennes et internationales
Les critiques ne s’arrêtent pas là. Roseline Vachetta d’indigne encore face aux annonces de quota pour pallier au manque de main d’œuvre dans certains domaines économiques. « S’il y a des métiers en tension, commençons par donner le droit au travail immédiat à tous ces gens qui errent pendant des années. Et, là, on va contribuer à ce que les choses s’améliorent ! », plaide la militante de la Cisem comme du Dal.
Roseline Vachetta, qui n’oublie pas son passé de députée européenne, décrit en outre les implications internationales des propositions du Premier ministre. D’une part, un resserrement des frontières du continent, avec des effectifs de surveillance passant de 1 000… à 10 000 agents d’ici 2027. Et la conditionnalité des aides aux pays en voie de développement en fonction… de leur capacité ou volonté à gérer leur flux migratoire.
Comment les différentes associations comptent faire entendre leur colère à l’égard des annonces gouvernementales ? À travers des actions de soutien à des causes “parallèles”, comme le rassemblement devant le tribunal de Grenoble à l’occasion du procès de Pierre Mumber, ou l’accompagnement des jeunes majeurs « remis à la rue » par le Département. Mais aussi une mobilisation prévue en décembre…