Les pho­to­mon­tages absurdes et lucides de Marinus sur l’entre-deux-guerres à décou­vrir au Musée de la Résistance

Les pho­to­mon­tages absurdes et lucides de Marinus sur l’entre-deux-guerres à décou­vrir au Musée de la Résistance

FOCUS – Le Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère expose jus­qu’au 21 octobre 2019 les pho­to­mon­tages de Marinus, artiste sati­riste qui offi­cia pour le jour­nal Marianne de 1932 à 1940. Une expo­si­tion où le regard de l’ar­tiste croque la comé­die du pou­voir, dans une Europe de plus en plus mena­cée par la mon­tée des fas­cismes, jus­qu’à atteindre le point de non-retour.

Une par­tie de cartes endia­blée entre le chan­ce­lier de l’Allemagne Adolf Hitler, le pré­sident du conseil fran­çais Édouard Daladier, le Premier ministre bri­tan­nique Ramsay MacDonald et le chef de l’État fas­ciste ita­lien Benito Mussoli ? L’image ne pro­vient pas du cer­veau fié­vreux d’un his­to­rien malade, mais de l’i­ma­gi­na­tion de Marinus qui repré­sente la scène dans un pho­to­mon­tage en date du 29 mars 1933.

Le Musée de la Résistance de Grenoble expose les photomontages de Marinus, satiriste qui croqua l'actualité politique de l'Europe de l'entre-deux-guerres.Justine Decool, coordinatrice de l'exposition, présente la partie de cartes entre Hitler, Daladier, Mussolini et MacDonald. © Florent Mathieu - Place Gre'net

Justine Decool, coor­di­na­trice de l’ex­po­si­tion, pré­sente la par­tie de cartes entre Hitler, Daladier, Mussolini et MacDonald. © Florent Mathieu – Place Gre’net

Marinus ? Injustement méconnu, l’ar­tiste d’o­ri­gine danoise offi­cia à Paris auprès du jour­nal Marianne* de 1932 à 1940, soit de sa créa­tion au moment de l’en­trée des Allemands dans la capi­tale. Spécialiste du pho­to­mon­tage, Marinus cro­quera chaque semaine dans l’heb­do­ma­daire l’ac­tua­lité géo­po­li­tique euro­péenne. Une œuvre édi­fiante, à laquelle le Musée de la Résistance et de la Déportation de l’Isère consacre une expo­si­tion jus­qu’au 21 octobre 2019.

La comé­die du pou­voir de l’entre-deux-guerres

Après avoir évo­qué les gou­lags et la dic­ta­ture sta­li­nienne en URSS, le Musée se penche ainsi sur l’entre-deux guerre, période qu’il n’a­vait encore jamais abordé dans le cadre d’une expo­si­tion com­plète. Le choix de mettre en valeur Marinus est au demeu­rant remar­quable : outre la qua­lité des réa­li­sa­tions de l’ar­tiste, c’est la deuxième fois seule­ment qu’un musée fran­çais consacre ses murs au tra­vail du sati­riste danois et à son regard élo­quent sur l’actualité.

Quand Marinus représente Hitler coiffant le globe terrestre d'un casque à pointe. © Collection Gunner Byskov

Quand Marinus repré­sente Hitler coif­fant le globe ter­restre d’un casque à pointe. © Collection Gunner Byskov

« On s’ins­crit vrai­ment dans une démarche poli­tique : en entrant par le côté artis­tique, on va décryp­ter une situa­tion his­to­rique et géo­po­li­tique », note la direc­trice du Musée Alice Buffet. De fait, l’ex­po­si­tion a été pen­sée en « trip­tyque » : la pré­sen­ta­tion des Marianne ori­gi­naux, des agran­dis­se­ments et une notice expli­ca­tive afin de contex­tua­li­ser et mieux com­prendre ainsi les œuvres présentées.

Si cer­tains mon­tages de Marinus semblent en effet lim­pides dans leur pro­pos, tel un Adolf Hitler coif­fant le globe ter­restre d’un casque à pointe, d’autres ren­voient à des actua­li­tés poli­tiques depuis long­temps oubliées. Tensions diplo­ma­tiques, accords de cir­cons­tances, bluffs et menaces : l’ar­tiste repré­sente la comé­die du pou­voir au quo­ti­dien, sou­vent à tra­vers la méta­phore du jeu ou via des mises en scène réso­lu­ment burlesques.

Rire jaune et humour noir

L’humour est, comme dans toute satire qui se res­pecte, l’une des bases pre­mières du tra­vail de Marinus dans Marianne. Difficile de ne pas sou­rire lorsque le mon­teur repré­sente Hitler en géné­ral romain, entouré de Göring et Goebels en galé­riens, dans un détour­ne­ment d’une scène du Ben-Hur de 1925. Un mon­tage comique, absurde… et inquié­tant : l’i­mage repré­sente en effet l’a­van­cée de la machine de guerre alle­mande en 1939.

Le Musée de la Résistance de Grenoble expose les photomontages de Marinus, satiriste qui croqua l'actualité politique de l'Europe de l'entre-deux-guerres.Hitler, Göring et Goebbels dans Ben-Hur. L'image est absurde, mais représente l'avancée des troupes allemandes sur le sol européen. © Collection Gunner Byskov

Hitler, Göring et Goebbels dans Ben-Hur. L’image est absurde, mais repré­sente l’a­van­cée des troupes alle­mandes sur le sol euro­péen. © Collection Gunner Byskov

Le rire est aussi jaune que l’hu­mour est noir, sur­tout lorsque la réa­lité dépasse la satire. Alors que l’oc­to­gé­naire Pétain et le sep­tua­gé­naire Weygand sont tous deux rap­pe­lés aux affaires afin de contrer des forces alle­mandes qui n’ont fait qu’une bou­chée de la ligne Maginot, Marinus s’in­ter­roge : pour­quoi dans ce cas ne pas envoyer aussi les sol­dats de Verdun, menés par la déesse ailée de la Victoire ?

Mais dans les der­niers pho­to­mon­tages, le rire n’est même plus pré­sent. Marinus dépeint les hor­reurs de la guerre. « L’Allemand a passé », écrit-il en repré­sen­tant des cadavres de vieillards, de femmes et d’en­fants, bai­gnant dans leur sang au pied d’une croix. Un mon­tage jugé trop pes­si­miste pour être publié dans Marianne, et qui semble pré­fi­gu­rer les mas­sacres métho­diques dans les pays de l’est de l’Europe, ou encore celui d’Oradour-sur-Glane.

Une porte d’en­trée sur une période complexe

À tra­vers la tren­taine d’œuvres expo­sées, le Musée de la Résistance offre à décou­vrir un artiste lucide, qui dépeint sans faillir les affres d’une Europe tiraillée entre fas­cisme et démo­cra­tie. Et dont la vision s’é­tend au-delà de la seule actua­lité, pour livrer une pro­jec­tion sou­vent vision­naire des évé­ne­ments à venir. Ce jus­qu’à la défaite d’Hitler lui-même, étendu parmi les crânes ses propres sol­dats pour rece­voir la visite de la sa « der­nière alliée », la Mort en personne.

Le Musée propose les exemplaires originaux de Marianne, plus des agrandissements et des notices de contextualisation. © Florent Mathieu - Place Gre'net

Le Musée pro­pose les exem­plaires ori­gi­naux de Marianne, plus des agran­dis­se­ments et des notices de contex­tua­li­sa­tion. © Florent Mathieu – Place Gre’net

Grâce à l’hu­mour et la satire, l’ex­po­si­tion semble la porte d’en­trée idéale pour abor­der une période com­plexe. Et rap­pelle que la Seconde guerre mon­diale ne fut pas une subite défla­gra­tion, mais le résul­tat d’un long pro­ces­sus qu’au­cun arran­ge­ment de façade ne fut en mesure d’en­di­guer. Une manière peut-être de ne pas oublier que, contrai­re­ment aux catas­trophes natu­relles, les catas­trophes poli­tiques sont sou­vent pré­vi­sibles… et quel­que­fois évitables.

Florent Mathieu

* Créé en 1928 par Gaston Gallimard. À ne pas confondre évi­dem­ment avec l’heb­do­ma­daire fondé en 1997 par Jean-François Kahn.

Florent Mathieu

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