DÉCRYPTAGE – Dans le cadre d’un “tour des candidats” aux municipales de Grenoble, Émilie Chalas, première à passer sur le gril, a répondu aux questions d’un collectif citoyen le 30 août dernier. Parmi eux, des gilets jaunes, mais aussi des militants pour le climat, syndicalistes et un élu municipal l’ont-ils questionnée autour de six thèmes différents. L’objectif ? Interroger les candidats sur leurs projets afin d’évaluer « quelle place ils sont prêts à laisser aux décisions collectives et populaires ».
« Vous ne représentez pas le peuple [les gilets jaunes, ndlr], et vous vous trompez. Il n’y a pas un peuple mais il y a des peuples. »
Tels sont les premiers propos de la députée LREM Émilie Chalas rapportés par un collectif de treize citoyens reçus ce vendredi 30 août en sa permanence parlementaire. Parmi eux, des gilets jaunes, des citoyens pour le climat (CPLC), des syndicalistes et un élu municipal, Guy Tuscher.
Depuis le début du mouvement des gilets jaunes, on ne compte plus leurs tentatives de rencontrer – pour diverses raisons – les députés grenoblois. Abandonnant le passage en force, ils ont, cette fois-ci, opté pour une méthode plus orthodoxe afin de rencontrer l’élue. C’est en effet au cours de son pot d’investiture aux municipales de Grenoble auquel ils s’étaient invités que ce premier rendez-vous a pu enfin s’inscrire dans son agenda et se concrétiser.
Un feu roulant de questions autour de six thématiques
Cette première rencontre marque le début d’un “tour des candidats” en lice pour les municipales à Grenoble. L’objectif du collectif ? Les interroger sur leurs projets respectifs et ainsi « évaluer quelle place ils sont prêts à laisser aux décisions collectives et populaires », indique le groupe. « Alain Carignon et Éric Piolle ont d’ores et déjà accepté le principe de ces rencontres », assure par ailleurs le collectif.
Face au collectif, Émilie Chalas et Robin Quiles, son assistant parlementaire, ont répondu, deux heures durant, à un feu roulant de questions tournant autour de six thématiques.
À savoir : les retraites, la privatisation des biens communs tels les barrages hydroélectriques, Aéroport de Paris (ADP) ou Actis, le climat, l’emploi et la précarité, la « répression d’État » et enfin la démocratie.
À ce stade, on peut toutefois noter que les préoccupations du collectif quelque peu éloignées des questions purement de la compétence de la Ville de Grenoble et, a fortiori, des projets des candidats. Par ailleurs, animé par « un souci de transparence », le collectif qui désirait filmer l’entretien s’est vu débouté de sa demande, l’élue le souhaitant « sans journaliste ni caméra ».
« Elle adhère à la politique d’austérité du gouvernement »
C’est donc par voie de communiqué que le groupe s’est fendu, ce 2 septembre, d’un résumé où l’on reconnaît bien entre les lignes la rhétorique propre aux gilets jaunes. Ce non sans fustiger d’entrée les premiers propos prêtés à Émilie Chalas, les jugeant « surprenant[s] venu[s] de la représentante de notre territoire à l “assemblée ».
Sur la réforme des retraites ? « Elle confond tout : rapport Delevoye et projet de loi, retraite par cotisation et par capitalisation, points et trimestres, âge de départ légal et effectif. Aucune réponse ! », fulmine le collectif. « Elle adhère à la politique d’austérité du gouvernement et invoque les arguments du président Macron sans autre nuance », tacle-t-il encore.
La réponse de l’élue sur la privatisation des barrages hydroélectrique n’a guère obtenu plus de succès. « [Émilie] Chalas ne voit aucun problème à remettre leur gestion par un contrat de concession de 70 ans pour un outil au cœur du dispositif hydrologique et électrique français », déplorent ses interlocuteurs. Leurs objections ? « Ces équipements sont amortis depuis longtemps et il est plutôt prévu que la rente promise au privé va être égale ou supérieure à celle des autoroutes […] », regrettent-ils.
« Elle ne veut pas soutenir la promotion d’un débat public à travers un référendum »
La loi Pacte et procédure de référendum d’initiative partagée contre la vente d’ADP ? Même motif, même punition. « Elle ne nous donne pas explicitement d’arguments qui en montrerait l’intérêt pour l’État. Surtout elle ne veut pas soutenir la promotion d’un débat public à travers un référendum. » Référendum qui, au sens du collectif, « n’est pourtant que l’expression d’arguments tant pour les pour que les contre ».
Pour le collectif c’est très clair : « nous voyons ici les limites de ses réelles intentions en matière de démocratie locale. Ce malgré son rapport flash sur la démocratie locale et la participation citoyenne ».
Quant à la privatisation du logement social grenoblois et la « disparition d’Actis », le collectif s’en remet aux gestionnaires et aux locataires « qui apprécieront » l’un des argument d’Émilie Chalas.
En l’occurrence que « la baisse des APL n’a pas mis en difficulté les organismes HLM puisque aucun n’a mis la clef sous la porte ! » Interrogée ensuite sur le climat « [Émilie] Chalas reste totalement favorable au Ceta », rapportent ses contradicteurs. D’après elle, exposent-ils, « le Ceta est un accord qui permet de sécuriser des échanges qui existent déjà ».
Une « étrange affirmation, relèvent les opposants au traité, puisque le Ceta vise à augmenter les échanges UE-Canada de 25 %. Pour nous le Ceta ne sécurise rien du tout et est au contraire un outil de dumping social et environnemental ».
« Quand on est manifestants pacifistes, quand ça commence à chauffer, on s’écarte ! »
Abordant le thème de l’emploi et de la précarité, le collectif revient enfin à des considérations plus locales. « Avec votre historique à Moirans, comment pouvons-nous avoir confiance ? Comment comptez-vous réparer les dégâts de la politique d’austérité du gouvernement ? », questionne-t-il.
« Je m’engage, comme je l’ai fait à Moirans, à titulariser tous les contractuels au bout du troisième contrat à hauteur de 70 % du temps de travail », a répondu Émilie Chalas. Ce qui n’empêche pas l’élue, indique le collectif, de justifier la dotation de l’état contractualisée par le préfet.
« Quand on est manifestants pacifistes, quand ça commence à chauffer, on s’écarte ! ». Telle est la réponse de l’élue relayée par le collectif après l’évocation de la « répression d’État » lors des nombreuses manifestations de protestation des gilets jaunes. Et notamment ce qui s’est passé à Grenoble en décembre et le 1er mai 2019.
« Pluie de grenades, nasses, charges sans sommation, arrestations pièges, gardes‑à vue indignes, blessures irréparables et inadmissibles. Nous avons demandé [à] Mme Chalas de se préoccuper de ces faits et du devenir des personnes blessées et injustement mises en cause ».
« Vous avez le droit de ne pas être d’accord ! »
Enfin, le collectif en est arrivé à la sixième question portant notamment sur la démocratie et la légitimité du mandat de l’élue. « J’estime avoir le mandat des électeurs qui ont voté pour moi […]. J’ai quitus pour voter l’ensemble du programme pour lequel nous avons été élus », a rétorqué Émilie Chalas. Laissant ainsi le collectif sur sa faim.
« Tout cela ne nous laisse aucun espoir concernant la démocratie locale et participative qu’Émilie Chalas dit vouloir mettre à l’honneur dans son programme municipal. Elle n’a pas l’intention de nous consulter une fois élue. Elle aura quitus ! », ironise le collectif.
Quant à ses conclusions sur l’entrevue, elles sont du même acabit. « Nous avons eu affaire avec la représentante de LREM en Isère et pas notre représentante de l’Isère à l’Assemblée nationale. » Et pour cause, poursuit le groupe de citoyens, « durant deux heures, la pédagogue doctrinaire de LREM a développé les éléments de langage “macronistes”, en justifiant tout sans nuance ». Le tout ponctué d’un « vous avez le droit de ne pas être d’accord ! Merci Mme la députée ».
Joël Kermabon
Émilie Chalas salue « une vraie discussion sans tiraillements ou tensions » avec le collectif
« Ça fait six – huit mois que je vois les gilets jaunes intervenir de façon impromptue ou en tout cas dans des conditions pas tout à fait favorables au dialogue. Là c’était un rendez-vous prévu en juillet, ça s’est très bien passé, ils étaient très organisés », explique Émilie Chalas.
Sur la forme, l’élue évoque une « vraie discussion sans tiraillements ou tensions » avec des temps de parole respectés. « Ils ne sont pas venus pour protester mais pour poser des questions », reconnaît-elle. Émilie Chalas juge ces premiers échanges fructueux.
« C’est toujours intéressant de voir comment les gens comprennent ce que l’on fait à l’Assemblée. Ou encore comment est perçue la politique du gouvernement, comment ils voient le rôle du député, le rapport aux fake news… », poursuit-elle. Quant au fond, « savoir quels sont les soucis de ces gens-là, c’était tout aussi intéressant », souligne la députée.
Le seul moment de crispation de la rencontre
Le sujet le plus compliqué à traiter parmi les questions posées ? Celui relatif à la police et à la répression lors des manifestations. « Beaucoup d’entre-eux ont eu peur au vu des violences et forcément, là-dessus, nous n’avons pas le même regard », admet-elle. Là fût d’ailleurs le seul moment de crispation de la rencontre, se souvient Émilie Chalas. « Je crois en la justice tandis qu’ils ressentent de la défiance vis-à-vis de l’institution judiciaire en considérant que la police reste impunie. »
La partie la plus constructive ? Celle traitant de la situation des fonctionnaires. « Là, concrètement j’avais des choses à leur dire. Voilà ce qu’on a fait, voilà où l’on va, les orientations… », retrace l’élue. Pour autant, Émilie Chalas était bien consciente que les désaccords étaient inévitables.
« Bien sûr qu’il y avait de la provocation dans les questions formulées. Notamment lorsqu’ils m’ont demandé de voter contre le Ceta au deuxième scrutin alors que j’avais voté pour. » La députée ne se berce pas d’illusions. « Nous n’étions pas dans la position de nous convaincre mutuellement. Il était intéressant d’entendre leurs arguments et, inversement, de leur faire comprendre que certaines de leurs affirmations étaient fausses. »
« Qu’auriez-vous fait à notre place ? Comment voyez-vous les choses ? »
« Nous avons aussi parlé de démocratie participative, et là aussi c’était intéressant car il y avait Guy Tuscher, un ancien élu de la majorité », se remémore la députée. « Ils jugent que les députés, le gouvernement et le système de Piolle n’écoutent pas les gens suffisamment ». L’occasion pour l’élue de renverser les rôles.
« Qu’auriez-vous fait à notre place ? Comment voyez-vous les choses ? », leur a‑t-elle demandé. « Là on voit bien que les réponses sont beaucoup plus compliquées car l’exercice du pouvoir, c’est la confrontation au réel », souligne Émilie Chalas.
« Ils veulent la révolution, la VIe République… Hé bien non ! » Comme autre grief, la légitimité des élus, très contestée par les gilets jaunes.
« Les élections ne devraient pas marcher comme ça, nous sommes mal élus… Il y a une lame de fond d’illégitimité et de reproches », regrette la députée. Toujours et-il que sur le Ceta Émilie Chalas a promis de répondre à leur contre-argumentaire « mais seulement sur les nouveaux éléments », précise-t-elle.
Emilie Chalas prête à continuer à discuter avec le collectif
Deux autres points ont par ailleurs également fait consensus. « Tout d’abord nous nous sommes dit qu’il serait intéressant de programmer d’autres séquences pour continuer à discuter à la fois sur les textes de loi et sur le projet municipal. » L’autre point ? « Que ce soit à notre tour de leur poser des questions car ils estiment être trop en position d’attente de réponses. »
Une chose est sûre, déclare Émilie Chalas, « ils ont des certitudes alors que je n’en ai aucune ». En effet, estime-t-elle, « quand on n’est pas au pouvoir, c’est facile d’être idéaliste, dogmatique ou péremptoire ».