FOCUS – Depuis deux ans, Juliette*, propriétaire d’un logement dans le centre-ville de Grenoble, vit un cauchemar à cause des nuisances de ses voisins, locataires d’Actis. Elle a dû fuir de chez elle, louer un autre appartement, prendre une avocate pour mener une bataille judiciaire contre le bailleur (qui a eu raison de ses économies) et a même fait une grève de la faim début août. Mais le bailleur rechigne toujours à expulser les perturbateurs, ce malgré une décision de justice de février 2019. Des opposants politiques montent à présent au créneau et accusent le maire de Grenoble Eric Piolle, par ailleurs président d’Actis…
Victime d’un conflit de voisinage qui l’oppose à une famille de locataires d’Actis, depuis l’été 2017, Juliette*, propriétaire d’un appartement en centre-ville de Grenoble, croyait voir le bout du tunnel en février 2019. Il n’en fut rien.
Les mois se sont écoulés et la famille responsable des nombreuses nuisances (bruit de jour comme de nuit, dégradations, dégâts des eaux…) qu’elle subit n’était toujours pas expulsée à la mi-août. Date à laquelle la propriétaire a dû rendre les clés d’un second appartement qu’elle louait pour pouvoir retrouver le calme… et enfin dormir.
En août, la série noire continue pour Juliette
Début août, son appartement a été saccagé. Si Juliette n’a aucun doute sur les coupables, l’enquête policière suit son cours. Et la police l’a prévenue qu’il lui faudrait faire preuve de patience : une telle enquête peut durer… Pour parachever le tout, Actis lui apprend avoir négocié un départ à l’amiable avec cette famille fauteuse de troubles depuis une dizaine d’années dans l’immeuble.
Juliette réalise alors qu’Actis n’a sans doute jamais eu l’intention d’expulser la famille depuis février 2019, date du prononcé de justice, et ce en dépit de tout ce qu’elle a enduré. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. La jeune femme entame sur le champ une grève de la faim pour crier son désespoir…
Une semaine plus tard, elle y met toutefois un terme. Non pas que sa situation se soit améliorée, mais son action est sans effet. Le cabinet du maire de Grenoble, Eric Piolle, président d’Actis, tout autant que la direction du bailleur y sont complètement insensibles.
En outre, il s’agit pour Juliette d”« assurer pleinement [son] travail, c’est tout ce qu’il [lui] reste », déclare-t-elle. Sans toit depuis le 15 août, elle s’est résignée à dormir deux nuits dans sa voiture, puis s’est réfugiée chez une connaissance qui a bien voulu la dépanner quelques jours.
Consternés par la situation injuste dont Juliette est victime, tout autant que l’attitude jugée désinvolte du bailleur Actis, des opposants politiques à la municipalité ont pris fait et cause pour la propriétaire. Et décidé d’agiter le chiffon rouge.
La préfecture répond partiellement à la députée LREM Émilie Chalas
Après avoir reçu le soutien d’Alain Carignon et bénéficié d’un certain écho médiatique par le biais du blog Grenoble le changement, Juliette a obtenu d’autres appuis dont celui d’Émilie Chalas. Indignée par cette histoire invraisemblable, la députée LREM a adressé un mail au préfet, début août, pour comprendre ce qui pouvait bien clocher dans cette affaire.
Deux aspects chiffonnent la députée, candidate aux municipales en 2020 à Grenoble.
D’abord, la passivité du bailleur et celle des pouvoirs publics face à cette injustice que subit la propriétaire et devant l’impunité dont jouit cette famille de locataires. Alors même qu’une décision judiciaire d’expulsion a été rendue…
Deuzio : comment expliquer, s’interroge Émilie Chalas, qu’une famille déstructurée, en proie à de telles difficultés depuis des années, avec deux personnes condamnées pour faits de délinquance et des enfants plus ou moins livrés à eux-mêmes, ne soit pas suivie par les services sociaux ? La préfecture n’a pas encore répondu sur ce deuxième point.
Quant au premier sujet, l’administration assure, droit dans ses bottes, à Émilie Chalas avoir dûment autorisé le recours à la force publique afin d’expulser la famille incriminée. C’était au maire, président d’Actis, de s’en saisir. Ce qu’il n’a pas fait… probablement trop soucieux de faire appliquer son arrêté anti-expulsion, suppose Bertrand Biju-Duval, collaborateur parlementaire d’Émilie Chalas : « Cette histoire met en exergue l’une des limites du positionnement idéologique du maire de Grenoble avec son arrêté anti-expulsion, qui arrive à générer des injustices… »
Matthieu Chamussy pointe « la responsabilité morale » d’Actis
Matthieu Chamussy, conseiller municipal d’opposition ex-LR, a, lui, écrit dès fin juillet à Eric Piolle, maire de Grenoble et président d’Actis. Le candidat aux municipales 2020 en appelle à la « responsabilité morale » du bailleur. « Actis, qui revendique agir pour le droit au logement, devrait se plier en quatre pour trouver une solution pour cette propriétaire, quand des situations sont aussi flagrantes, fustige le conseiller municipal. Il n’ y a pas d’ambiguïté sur les torts de cette famille », renchérit-il.
Matthieu Chamussy attendait une réponse du maire. C’est le directeur général Stéphane Duport-Rosand qui a pris la plume, le 14 août, dans une missive succincte. Une réponse qui ne fait pas avancer le dossier d’un iota, déplore-t-il.
Le DG y assure qu’Actis « a mis tout en œuvre depuis des mois afin de mettre un terme aux troubles causés par la famille X, dans la limite de ses prérogatives en tant que bailleur ».
Selon Stéphane Duport-Rosand, des aléas ont retardé la mise en œuvre de l’expulsion. Il y a eu une « erreur de la préfecture sur l’orthographe du nom du locataire », puis « des périodes de suspension des expulsions décidées également par la préfecture en période de canicule ».
« Juliette, victime collatérale d’une opération de com d’Éric Piolle »
Des arguments avancés par le bailleur qui ne tiennent pas la route, réfute le conseiller municipal. « La réponse d’Actis signe en creux l’inaction du bailleur, en confirmant qu’il n’a entrepris aucune initiative entre 2010 et 2018 [les locataires étaient déjà en place et ont fait fuir la précédente propriétaire, ndlr]. Cette réponse montre de facto qu’Actis n’est intervenu qu’à partir du moment où il y a eu une mise en demeure de la propriétaire », accable Matthieu Chamussy.
Le conseiller municipal tire une autre conséquence, politique celle-ci, de l’attitude du bailleur : « Actis est en train d’abîmer l’idée de la mixité sociale qu’il prétend défendre. »
Dans sa lettre, le directeur général d’Actis reconnaît en effet, à demi-mots, que le bailleur n’a jamais vraiment eu la ferme intention d’expulser la famille.
Il avoue que, « parallèlement » à cette solution, avoir continué à négocier un départ à l’amiable avec les locataires… Une preuve pour Matthieu Chamussy qu’Actis est sous la coupe du maire de Grenoble et de son arrêté anti-expulsion. « Il est difficile pour le président d’Actis [Eric Piolle, ndlr] de requérir le concours de la force publique auprès du préfet pour procéder à une expulsion lorsque le maire de Grenoble [Eric Piolle toujours, ndlr] signe un tel arrêté », analyse le conseiller municipal.
Qui conclut, implacable : « Juliette est un peu la victime collatérale de l’opération de communication d’Eric Piolle avec son arrêté démagogique et illégal. Cet exemple montre à quel point cette démagogie peut se retourner contre de braves gens ».
Séverine Cattiaux
* Juliette est un pseudonyme, la propriétaire préférant garder l’anonymat, notamment par crainte des représailles des voisins locataires d’Actis dont elle dénonce les nuisances.