FOCUS – “L’affaire du burkini” s’est invitée au conseil municipal de Grenoble ce lundi 8 juillet. Interpellé par l’opposition, Éric Piolle, le maire de Grenoble, a refusé toute concession, renvoyant la balle dans le camp du gouvernement. L’édile dénonce ainsi la « cacophonie gouvernementale » qui n’a fait qu’amplifier la polémique sur ce sujet clivant.
Chassez le burkini par la porte, il revient par la fenêtre. Les “opérations de désobéissance civile” menées par des femmes soutenues par l’Alliance citoyenne de l’agglomération grenobloise continuent à faire des vagues.
Tout particulièrement ce lundi 8 juillet lors de la séquence des questions orales du conseil municipal. Deux élues ont ainsi interpellé le maire de Grenoble sur ce sujet on ne peut plus clivant…
En cause ? La polémique qui agite le monde politique grenoblois et la société civile suite aux actions d’activistes pro-burkini les vendredi 17 mai et dimanche 23 juin. De fait, à droite comme à gauche, des voix s’étaient élevées pour reprocher au maire de Grenoble l’ambigüité de sa position sur la question.
Éric Piolle avait bien condamné des « actions militantes et médiatiques » finissant même par les qualifier de « communautaristes ». Mais sans pour autant trancher sur le statut du burkini dans le règlement intérieur des piscines. C’est à l’État d’agir avait-t-il alors indiqué. Dans quel objectif ? « Lever toute ambiguïté sur le statut du maillot de bain couvrant, relativement à l’hygiène et à la sécurité des usagers. »
« Attendre une hypothétique réaction de l’État est un leurre »
Première à porter l’estocade au cours d’une question orale, Mireille d’Ornano du Rassemblement des patriotes. L’élue dénonce avec véhémence des « opérations coup de poing ». Autant de véritables tests « mettant à l’épreuve l’autorité municipale et les règles en vigueur », estime-t-elle. Tout autant qu’elle trouve « choquant » que l’Alliance citoyenne soit subventionnée à hauteur de 6 000 euros par la Métropole.
Quant à s’en remettre au gouvernement, « attendre une hypothétique réaction de l’État est un leurre », poursuit-elle. Avant de demander au maire d’assumer une position claire et définitive. « Nous souhaitons savoir quelles mesures ou décisions concrètes vous comptez prendre pour mettre fin rapidement à cette surenchère de provocations », questionne la conseillère municipale.
Surexposition du personnel peinant à faire respecter le règlement
Autre intervenante, Marie-José Salat, conseillère municipale du groupe Rassemblement de gauche et de progrès. Entre les lignes de sa question orale, pointe le reproche d’un certain manque de fermeté. Et des reproches suite aux déclarations d’Eric Piolle. Les deux interprétations possibles de l’égalité républicaine évoquées par l’édile* tout d’abord. Mais aussi les atermoiements ayant précédé son appel au respect du règlement intérieur des piscines.

Marie-José Salat a également interpellé le maire sur la question du burkini. © Joël Kermabon – Place Gre’net
Des hésitations qui, selon l’élue, « ont certainement convaincu les intéressés de l’intérêt de renouveler l’opération le dimanche 23 juin ». Avec, à la clé, plusieurs conséquences « fâcheuses ». Comme celles d’attirer l’attention médiatique, de priver les grenoblois de l’accès aux piscines et « de surexposer leur personnel peinant à faire respecter la règlementation ».
Pour Marie-José Salat, il est des rendez-vous à ne pas manquer. « Vous engagez-vous à dire fermement que vous ne réviserez pas le règlement intérieur des piscines […] pour céder aux pressions d’associations pour qui la liberté individuelle prime sur les principes de notre République ? », interroge-t-elle.
« Il y a de quoi être inquiet devant la cacophonie gouvernementale »
Éric Piolle ne s’est pas embarassé de tournures de rhétorique dans ses réponses aux deux élues. Face à Mireille d’Ornano, il a évoqué une « bonne grosse polémique nauséabonde […] alimentée depuis plusieurs semaines par l’extrême droite ». « Vous tentez d’importer le buzz dans notre assemblée et pour ma part, je vais continuer sur ma ligne, je ne descendrais pas dans la boue ». Avant de fustiger les « professionnels de l’agitation communautaire » et les « politiciens en mal de visibilité ». Bref, « l’inverse d’un débat politique apaisé » selon lui.
« La République sert la justice, pas les privilèges. Elle est une et indivisible », poursuit-il un peu solennellement. Pour le maire, l’État, et lui seul, est garant de cette règle. « Il ne saurait y avoir une définition de l’égalité par commune. Ou bien demain nous aurons 36 000 formes d’égalité dans la République », lance-t-il. Et ce dernier de s’inquiéter de « la cacophonie gouvernementale sur ce sujet ».
De fait, plusieurs membres du gouvernement se sont exprimés sur ce thème. Notamment Nicole Belloubet qui avait estimé « ne pas être certaine qu’il faille légiférer sur tout ». Ou encore Édouard Philippe prônant la fermeté dans le respect des règles édictées pour les piscines. Des déclarations qui n’ont pas manqué de faire réagir Éric Piolle. « Il n’est pas acceptable […] que les gardiens de la cohésion nationale soient à ce point dans le flou et s’amusent des polémiques qui divisent les Français », s’offusque l’élu.
« Toute infraction est et sera sanctionnée simplement et sans détours »
Quant au règlement intérieur des piscines, Éric Piolle reste droit dans ses bottes. « Toute infraction est et sera sanctionnée simplement et sans détours », appuie l’édile. Face aux incivilités, par ailleurs pas spécifiques à Grenoble, des actions coordonnées avec les agents, des entreprises de sécurité, les polices municipale et nationale sont en place, assure le premier magistrat.
Un accompagnement s’imposant d’autant plus que la piscine Jean-Bron accueille près de 1 200 personnes par jour. Et que ce chiffre a atteint 1 800 lors du dernier épisode caniculaire.
Répondant à Marie-José Salat, Éric Piolle se montre surpris de la teneur de sa question. Ce d’autant plus qu’elle survient « au beau milieu d’une période dramatique », souligne-t-il. Et de dresser une liste des services régaliens poussés « aux limites du burn-out » par les réformes du gouvernement.
Urgentistes, pompiers, professeurs, magistrats… « la liste est longue », souligne l’élu. « Je suis surpris que votre empathie, votre sens du service public vous poussent, en priorité, à remettre une pièce dans la polémique burkini », tacle-t-il. Avant de conférer à l’élue le statut « d’avocate du gouvernement sur un sujet où il est notoirement incapable de jouer son rôle de cohésion nationale ».
Sanctuariser les piscines comme des lieux où les signes religieux n’ont pas de place ?

Piscine Jean Bron, ce dimanche 30 juin fermée exceptionnellement par mesures de sécurité à 14h © Séverine Cattiaux – Placegrenet.fr
L’occasion une nouvelle fois d’enfoncer le clou. Plus qu’il ne l’avait fait avec Mireille d’Ornano. « C’est bien au gouvernement de choisir quelle option il veut prendre pour toutes les piscines de France », martèle l’élu.
Faut-il les sanctuariser comme des lieux où les signes religieux n’ont pas de place ? Tout comme c’est le cas pour les écoles, les collèges, les lycées. Telle est la question selon Éric Piolle.
Et de conclure sur un ton sec et sans appel. « Pour la stratégie du buzz développée par ceux qui ont choisi ce mode d’action, chacun ici assumera la partition qu’il a jouée au détriment des grenobloises et des grenoblois ».
Joël Kermabon
* « Pour certains, la réglementation actuelle, à Grenoble, qui est la même que partout dans la Métropole et essentiellement la même partout en France, est jugée discriminante. Pour d’autres, la réglementation actuelle, à Grenoble, dans la Métropole, en France, protège l’égalité en tenant à distance les signes d’appartenance religieux. »