FOCUS – Le Musée de Grenoble retrace le parcours d’Andry-Farcy, conservateur de 1919 à 1948, à l’occasion d’une exposition jusqu’au 24 novembre prochain. Plus de 50 tableaux ont ainsi été ressortis des collections pour célébrer le centenaire de son arrivée. De Picasso à Miró en passant par Valentine Prax, Andry-Farcy a réuni près de 900 œuvres qui font encore le renom du musée.
Si le musée de Grenoble est encore aujourd’hui le premier musée d’art moderne et contemporain en dehors de la capitale, on peut dire merci à Pierre-André Farcy (dit Andry-Farcy). En effet, l’homme a été le premier à importer l’art moderne au musée des Beaux Arts grenoblois, déjà réputé pour ses œuvres classiques.
A la fois soutenu et durement critiqué, il a construit, préservé et défendu la nouvelle identité du musée trente années durant. Retour sur le parcours d’un moderne avant l’heure.
Une exposition en préparation depuis des dizaines d’année
Hélène Vincent, conservatrice du musée de Grenoble entre 1985 et 1986, envisage depuis de nombreuses années le projet d’une exposition retraçant l’œuvre d’Andry-Farcy. Déjà en 1982, pour le centenaire de la naissance de Farcy, elle avait réalisé un catalogue retraçant le parcours du conservateur.
À l’approche du centenaire de son entrée au musée, Sophie Bernard, conservateur en chef et Jean-Baptiste Delorme, conservateur-stagiaire, ont pris la suite de ses recherches.
Pour Sophie Bernard, l’arrivée à l’automne de Jean-Baptiste Delorme a permis d’« injecter du sang neuf » et d’apporter un « nouveau regard » sur l’œuvre d’Andry-Farcy. Pendant trois mois, il a ainsi arpenté les archives en tous genre et contacté les musées ayant collaboré avec le conservateur. « Une recherche qui ne se voit pas dans les salles mais est fondamentale » précise Hélène Vincent.
Le constat de ses recherches ? Un Farcy sauvagement critiqué, notamment par La République de l’Isère, journal local de l’époque. Mais dont les amitiés lui ont aussi apporté admiration et gratitude, surtout chez les artistes et les collectionneurs modernes.
Un parcours historico-artistique
« Ce n’est pas une exposition, c’est un parcours », affirment les conservateurs du musée. Une à une, les salles dévoilent des œuvres acquises (via des achats ou des dons) par Andry-Farcy et l’évolution de ses ambitions artistiques.
Pour Marianne Tallibart, responsable du mécénat, « on raconte une histoire tout en pointant du doigt des œuvres exceptionnelles ». En effet, c’est une page de l’histoire du musée que l’on retrouve sur chacun des murs des treize salles de l’exposition.
Les éclairages historiques sont d’autant plus importants que, dès les années 30, les nazis considèrent l’art moderne français comme un « art dégénéré ». À Paris, beaucoup de galeristes ferment boutique et les collectionneurs craignent pour leurs œuvres.
Farcy les soutient en cachant leurs collections. Ce qui lui vaudra d’être arrêté par la Gestapo en 1943. Conscient de sa déviance relative aux goûts de l’époque, il déclara ainsi : « il n’y avait rien à me faire avouer puisque mon crime s’étalait sur les murs du musée ».
Une personnalité et un goût à l’avant-garde
Quoi de mieux qu’une sculpture de Zadkine pour démarrer le parcours et illustrer l’audace et l’excentricité des goûts de Farcy ? Néo-impressionnistes, coloristes ou fauvistes, tous ont trouvé une place de choix au sein du musée grenoblois. Avec Farcy, fini le système de dépôt dans lequel l’État envoie des œuvres aux musées afin que ceux-ci les exposent. Le conservateur renvoie de nombreuses œuvres et exige que les plus contemporaines lui soient remises. Un moyen pour lui de constituer des expositions à la pointe de l’avant-garde.
« Avant-gardiste », tel est d’ailleurs le mot choisi par les conservateurs pour désigner Andry-Farcy. En parcourant l’exposition, on ajouterait aisément celui de courageux. « Mes projets sont simples », déclare le conservateur lors de son arrivée au musée en 1919. « Continuer en faisant le contraire de ce qu’ont fait mes prédécesseurs qui n’ont ouvert leur musée à aucun des grands maîtres du XIXe siècle. J’ouvre ma porte aux jeunes ».
De fait, avant lui, aucun musée n’avait promu d’artistes contemporains. Et personne, d’ailleurs, ne le fera avant longtemps. Son caractère visionnaire et ses goûts novateurs ont forgé le renom international du musée.
Sachant que leurs œuvres seraient ainsi exposées, nombre d’auteurs contemporains ont fait don de tableaux, sculptures ou dessins au musée de Grenoble. Ces œuvres forment une des collections les plus révolutionnaires de l’époque, que Farcy lui-même n’aurait pas osé acheter.
« S’ouvrir au tourisme et à l’international »
S’ouvrir au monde, une nécessité pour Andry-Farcy. Dans le souci de faire connaître et travailler les mouvements naissants au XXe siècle, le conservateur rassemble ainsi des œuvres de toutes nationalités : allemandes, italiennes, brésiliennes… En ce début de siècle, il fait donc du musée de Grenoble le seul musée régional qui soutient des œuvres étrangères.
Son goût pour l’art belge le pousse d’abord à monter une exposition en 1927. Très critiquée, cette dernière mêle des œuvres classiques, comme celles de Bruegel L’Ancien, et modernes comme celles du surréaliste Magritte ou de l’expressionniste Permeke. Aujourd’hui encore, le musée de Grenoble renferme la plus grande collection d’art belge au monde en dehors de la Belgique. Une partie de ces œuvres a d’ailleurs été ressortie à l’occasion de cette rétrospective.
Afin de se faire connaître à l’international, le conservateur exporte également ses expositions et sa collection dans des musées étrangers comme à Zurich, Londres, Amsterdam ou encore au MoMa de New-York. Grâce à un laborieux travail de recherche, les conservateurs ont ainsi pu remettre la main sur des catalogues étrangers faisant allusion au musée.
Ce faisant, l’exposition nous fait remonter le temps jusqu’à l’époque où le musée trônait encore place de Verdun. Une invitation à découvrir l’histoire de notre patrimoine culturel. Et des courants naissant, avec difficultés, à l’orée du XXe siècle.
Dès novembre prochain, Andry-Farcy laissera sa place à un de ses amis fidèles. En l’occurrence le grand Pablo Picasso et ses œuvres de guerre qui couvriront les murs du Musée de Grenoble.
Nina Soudre
Farcy : homme du monde et de la communication
Journaliste et publicitaire, Andry-Farcy a toujours un coup d’avance, même en matière de communication et de tourisme culturel. Il réalise plusieurs affiches et bornes publicitaires invitant à visiter le musée. Placées dans des lieux stratégiques grenoblois comme la gare, les hôtels, le téléphérique…
Déjà critique d’art avant son arrivée au musée, il nouait également des relations avec les artistes et conservateurs de son temps. Matisse, Picasso ou Zadkine, tous comptaient parmi ses proches et n’ont pas hésité à lui faire don de plusieurs œuvres.
« Hommage à Andry-Farcy » nous donne l’occasion de les redécouvrir et d’apprécier la richesse et l’exception artistique de la capitale des Alpes.
Des lieux publics climatisés gratuits en période de canicule
Cet été, la Ville de Grenoble ouvre gratuitement plusieurs lieux public, dont le musée de Grenoble et le Muséum, dès lors que la « canicule niveau 3 » est activée. L’occasion de garder le corps et l’esprit au frais !
Tarifs et informations pratiques
Ouvert tous les jours de 10 heures à 18 h 30 (sauf le mardi)
Tarif : 8 € plein tarif / 5 € tarif réduit / Gratuit pour – de 26 ans
Visites guidées chaque samedi et dimanche à 14 h 30 (5 € en plus du billet)