TRIBUNE LIBRE – Le mur du Home étudiant, construit par l’architecte Jean Benoît, a été utilisé comme support d’une fresque peinte dans le cadre du Street Art Fest Grenoble-Alpes 2019 par l’artiste Shepard Fairey alias ObeyGiant, le 14 juin dernier. Un non-sens selon l’architecte Maria Stridorth, pour qui l’esprit du bâtiment n’a pas été respecté.
En architecture, il y a mur et mur.
Prenons le vocabulaire de l’Architecture de Jean-Marie Pérouse de Montclos : à Mur, Mur-gouttereau, Mur-pignon, Mur-de-refend, Mur-rideau, Mur séparatif, Contre-mur, Mur de soutènement, Mur d’appui et même Mur boutant.
On peut lire la délicieuse définition de ce dernier dans le chapitre sur « Le support et l’organe de stabilité ». Le mur-boutant en aileron est cambré comme un aileron. L’aileron proprement dit est un adoucissement, plus qu’un épaulement ; sa valeur architectonique est moins importante que sa valeur plastique. Il y a le mur pignon aveugle, construit pour devenir mur mitoyen, en attente d’un voisin qui n’est jamais venu.
Et il y a le mur plein conçu comme tel, composante de la volumétrie d’une architecture, respiration dans sa composition, comme un soupir sur la partition musicale.
L’architecte a voulu un mur plein et uni
L’architecte Jean Benoît, auteur du Home d’étudiants, place Pasteur, deux fois labellisé Patrimoine XXe siècle avec la MDE [Maison des étudiants, ndlr] et la Bibliothèque d’Étude, a voulu un mur plein et uni dans cette composition d’ensemble, entre ses deux façades est et ouest, quadrillées par les baies carrées des fenêtres des chambres et le traitement d’angle très verticalisant, éclairant la cage d’escaliers.
La paroi est animée là seulement d’un discret cordon qui prolonge l’acrotère du restaurant au premier étage et terminé par un couronnement bien présent.
Un poster de chambre d’adolescente gnangnan qui se croit rebelle
Mais que s’est-il donc passé dans la capitale des Alpes ? Les streetartfesteurs grenoblois ont déclaré « Daddy, je veux ce mur pour peindre dessus ! » Et Daddy a encore cédé à Veruca [allusion à Veruca Salt, petite fille capricieuse insupportable dans l’ouvrage Charlie et la chocolaterie de Roald Dahl, ndlr]…
Résultat : un poster de chambre d’adolescente gnangnan mais qui se croit rebelle peint en XXXXL sur un mur pas fait pour ça, dans un quartier qui avait beaucoup plus d’allure sans ça.
Je peux terminer ces quelques lignes en racontant que pour vérifier que ce mur (pas fait pour ça) était bien de la main de Jean Benoît et dans l’idée d’en savoir un peu plus sur ce bâtiment, je suis allée aux archives municipales chercher le dossier de permis de construire. Là, on m’a très gentiment envoyée au service de l’urbanisme où le dossier n’était pas plus accessible.
J’ai pensé que le dossier n’était pas revenu des services du Patrimoine qui doivent être encore en train de déchirer leurs vêtements et se couvrir la tête de cendres, de honte de n’avoir pas pu préserver notre bien commun en disant non à Veruca.
Maria Stridorth, architecte
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