FOCUS – L’Agence nationale du travail d’intérêt général créée en décembre 2018 déploie ses ramifications dans l’ensemble des juridictions du territoire national. Son objectif ? Favoriser, stimuler et diversifier l’offre des postes proposés aux délinquants comme alternative aux peines d’emprisonnement. Avec cette agence, le gouvernement entend « redonner du sens à la peine et renforcer son efficacité ». Et, peut-être, ainsi remédier à la surpopulation carcérale et à la récidive.
« Le grand public veut des sanctions, veut la prison mais veut aussi des gens qui se réinsèrent », souligne Jacques Dallest, le procureur général de la Cour d’appel de Grenoble. Ce dernier accueillait le 6 juin dernier, Thierry Alves, directeur de l’Agence nationale du travail d’intérêt général (TIG) et de l’insertion professionnelle des personnes placées sous main de justice, créée par le décret du 7 décembre 2018.
Les missions de cette agence ? Principalement favoriser et développer le recours à la peine de travail d’intérêt général, diversifier le nombre de postes offerts. Mais aussi stimuler l’offre de TIG auprès des collectivités territoriales, établissements publics et associations.
Avec un objectif affiché par Nicole Belloubet, la ministre de la Justice : « redonner du sens à la peine et renforcer son efficacité ».
Le tout en s’appuyant sur une plateforme numérique destinée à organiser et fluidifier l’information, en vue d’optimiser le recours aux TIG par la justice. Ainsi, les tribunaux pourront-ils connaître en temps réel la disponibilité des TIG, leur nature ainsi que leur géolocalisation sur leurs ressorts respectifs.
Tel était l’objet de la conférence – très technique – présidée par Thierry Alves en présence d’un panel d’acteurs impliqués dans les TIG sur le ressort de la Cour d’appel de Grenoble. Un temps d’échanges à l’issue duquel allait être signé le protocole d’accueil d’une personne affectée à un TIG au sein du palais de justice de Grenoble pour assurer son entretien.
Le TIG, « une peine aujourd’hui insuffisamment prononcée »
Parce qu’ils reposent sur la participation active des condamnés, mais aussi parce qu’ils mobilisent un ensemble d’acteurs de la réinsertion, les TIG « possèdent un sens et une utilité sociale incontestés », selon le ministère de la Justice. De fait, les peines de TIG auraient nombre d’avantages aux yeux de l’institution judiciaire, notamment pour leurs effets sur la lutte contre la récidive et comme remède à la surpopulation des prisons.
De surcroît, ces travaux, non rémunérés, s’ils restent une sanction, sont aussi une manière de réparer des actes délictueux profitable à la société. Ne serait-ce que grâce à leur cadre socialisant, obligeant au respect de la hiérarchie, des horaires de travail, des collègues…
« Je pense que c’est une bonne mesure, estime Jacques Dallest. Ça peut éviter la prison. Nos concitoyens sont tous d’accord pour que les délinquants travaillent bénévolement au service de la collectivité. »
De bonnes raisons pour « relancer et développer le travail d’intérêt général, une peine aujourd’hui insuffisamment prononcée », estime pour sa part Thierry Alves. « Mais aussi, poursuit-il, permettre le développement du travail pénitentiaire, de la formation professionnelle en détention ». L’agence nouvellement créée permet ainsi de s’inscrire, assure le directeur, « dans un cadre évolutif avec, autour de cette structure, une dotation en moyens humains et techniques ».
« Les postes de TIG, on ne va pas les trouver à Paris, on va les trouver sur les territoires »
Condition sine qua non du développement du travail d’intérêt général, l’augmentation du nombre de postes offerts est une priorité absolue pour l’institution judiciaire. Pour que les condamnés puissent effectuer leur peine, c’est arithmétique, « il faut plus de postes et les diversifier pour qu’ils soient en cohérence avec les aptitudes des condamnés », affirme Thierry Alves. Le directeur concède néanmoins qu’il reste du chemin à faire pour passer des 18 000 postes actuellement disponibles au plan national à l’objectif de 30 000 en 2022.
Comment tout cela s’articule-t-il ? Si l’agence nationale est située à Paris, elle possède des ramifications sur l’ensemble du territoire. L’idée ? À partir du travail réalisé au plan national, « permettre au terrain de s’approprier l’ensemble des partenariats développés pour être au plus près des acteurs », expose Thierry Alves. « Les postes de TIG, on ne va pas les trouver à Paris, on va les trouver sur les territoires », souligne-t-il.
À cet effet, un recrutement de référents territoriaux, des représentants de l’agence, est en cours. Leur rôle ? Se consacrer de manière exclusive à la recherche et à la diversification des postes de TIG. C’est ainsi qu’un agent va être très prochainement recruté à Grenoble pour prospecter sur l’ensemble du département de l’Isère.
Une plateforme numérique opérationnelle à compter de septembre 2019
Pour autant, il y a loin de la coupe aux lèvres. Encore fallait-il pouvoir s’appuyer sur des outils numériques et collaboratifs performants pour consolider le tout. « Nous finissons l’expérimentation d’une plateforme dédiée au TIG, mise en place le 18 février sur quatre sites pilotes », indique Thierry Alves. Les villes de Lille, Béthune, Dijon et Mâcon ont ainsi essuyé les plâtres, chacun des sites apportant son lot de retours d’expérience.
L’idée, derrière cette méthode agile ? « Ne pas imposer un outil qui, une fois livré, pourrait présenter des difficultés de fonctionnement. Mais, au contraire, avoir une écoute auprès des utilisateurs pour pouvoir les anticiper », explique le directeur de l’agence.
Cette plateforme sera opérationnelle sur l’ensemble des juridictions du territoire national à compter de la fin du mois de septembre 2019.
À partir de cette date, l’ensemble des agents travaillant dans les Services pénitentiaires d’insertion et de probation (Spip) et de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) pourront utiliser cet outil. Il leur permettra notamment de visualiser la géolocalisation de tous les postes de travail d’intérêt général proposés par leurs partenaires.
Palier le manque de structures d’accueil
Le Spip de l’Isère, compétent sur les tribunaux de grande instance (TGI) de Vienne, Bourgoin-Jallieu et de Grenoble, fait actuellement face à un “stock” d’environ 450 mesures de TGI à mettre à exécution. Si le service parvient encore à mettre en place ces TIG, le manque de structures d’accueil ne lui facilite guère la tâche, rallongeant le temps d’exécution qui atteint parfois un an.
En effet, sur les 280 organismes habilités sur le département, seuls 80 travaillent effectivement avec le Spip. Pour de multiples raisons.
« Nous avons des structures qui s’inscrivent mais, suite à un incident, elles ne renouvellent pas l’expérience. Ou bien parfois des volontés politiques s’expriment quand le terrain n’est pas d’accord », cite-t-elle notamment.
Sans oublier la difficulté de trouver des postes pour les week-ends ou pour des personnes très éloignées de l’emploi, très précarisées.
Sophie Louis se réjouit de l’arrivée prochaine d’un référent territorial conseiller de probation et d’insertion. « C’est quelqu’un qui réalisera cette démarche de prospection et qui aura ça dans ses fonctions et missions à temps complet. » De quoi faire vivre le réseau, organiser des réunions et des temps d’échanges. « Actuellement, nous n’avons pas toujours le temps d’aller jusque-là », regrette la directrice adjointe.
Joël Kermabon