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Les plus petits sque­lettes du monde marin obser­vés en 3D grâce à la lumière du syn­chro­tron de Grenoble

Les plus petits sque­lettes du monde marin obser­vés en 3D grâce à la lumière du syn­chro­tron de Grenoble

FOCUS – Une équipe de scien­ti­fiques fran­çais vient de révé­ler, grâce à la lumière syn­chro­tron de l’ESRF, la struc­ture 3D des coquilles cal­caires de coc­co­li­tho­phores, algues uni­cel­lu­laires de taille nano­mé­trique. Des résul­tats publiés dans Nature Communications, le 14 février 2019. Une décou­verte impor­tante car ces algues marines micro­sco­piques jouent un rôle éco­lo­gique majeur. Puits de car­bone des océans, elles contri­buent à limi­ter le réchauf­fe­ment climatique.

Leur nom ne vous dira sans doute rien mais les coc­co­li­tho­phores inté­ressent par­ti­cu­liè­re­ment les scien­ti­fiques, pré­oc­cu­pés par le réchauf­fe­ment cli­ma­tique. Et pour cause, ces algues marines uni­cel­lu­laires micro­sco­piques aident les océans à jouer leur rôle de puits de car­bone. Qui plus est, ce phy­to­planc­ton à coquilles, très abon­dant dans les océans, est sus­cep­tible d’être affecté par les émis­sions crois­santes dans l’at­mo­sphère de dioxyde de car­bone (CO2), l’un des prin­ci­paux gaz à effet de serre.

Pour en quan­ti­fier l’im­pact, un consor­tium de cher­cheurs du Centre natio­nal de la recherche scien­ti­fique (CNRS)* vient de recou­rir à une méthode rapide d’estimation de la bio­masse des coc­co­li­tho­phores : la micro­sco­pie optique auto­ma­ti­sée, mise au point par Luc Beaufort, paléon­to­logue du CNRS.

Efflorescence (ou augmentation relativement rapide de la concentration) d’un coccolithophore du genre Phaeocystis au fort Mahon dans le Nord-Pas-de-Calais. DR

Cliché d’une efflo­res­cence (aug­men­ta­tion rela­ti­ve­ment rapide de la concen­tra­tion) d’un coc­co­li­tho­phore du genre Phaeocystis au fort Mahon, dans le Nord-Pas-de-Calais. DR

Rigueur scien­ti­fique oblige, les cher­cheurs ont mis à contri­bu­tion le syn­chro­tron euro­péen de Grenoble (ESRF) pour véri­fier l’exactitude des résul­tats obte­nus par cette méthode. Objectif : déter­mi­ner au niveau nano­mé­trique, la struc­ture 3D – et la masse – des coquilles dont ces algues s’entourent. Ce grâce à la tech­nique d’i­ma­ge­rie par dif­frac­tion cohé­rente des rayons X (ou tomo­gra­phie 3D) sur la ligne de lumière ID10.

C’est tout l’ob­jet de l’é­tude** publiée le 14 février 2019 dans Nature Communications. En outre, cette der­nière met en évi­dence de nou­velles cor­ré­la­tions. Notamment, entre la masse et la taille du noyau de la cel­lule des coc­co­li­tho­phores et la crois­sance de leur coquille.

Une aci­dité exces­sive des océans pour­rait mena­cer la cal­ci­fi­ca­tion des coccolithophores

Ces algues marines micro­sco­piques jouent un rôle éco­lo­gique majeur (cf. enca­dré). Une fonc­tion qui pour­rait tou­te­fois être mise à mal par le réchauf­fe­ment cli­ma­tique. « Trop d’acidité empêche cer­tains orga­nismes marins cal­ci­fiants, tels que les étoiles de mer, les our­sins, les coraux de construire leurs coquilles ou leurs sque­lettes cal­caires », pré­cisent en effet les cher­cheurs. Or, la dis­so­lu­tion exces­sive du CO2 atmo­sphé­rique rend jus­te­ment les océans plus acides.

Qu’en est-il des coc­co­li­tho­phores ? La lit­té­ra­ture scien­ti­fique rend compte d’études contra­dic­toires. Certaines ont en effet mon­tré une aug­men­ta­tion de la cal­ci­fi­ca­tion des algues uni­cel­lu­laire dans des condi­tions plus acides. Mais de plus récentes, en labo­ra­toire et sur le ter­rain, révèlent à contra­rio que l’a­ci­di­fi­ca­tion des océans pour­rait pro­ba­ble­ment entra­ver, à terme, la cal­ci­fi­ca­tion des coccolithophores.

La masse des coc­co­lithes révé­lée grâce à l’ESRF

Pour l’heure, les expé­riences réa­li­sées à l’aide des tech­niques très pré­cises de l’ESRF se sont avé­rées concluantes. Ces der­nières ont débou­ché sur des résul­tats com­pa­rables à ceux obte­nus par la méthode d’es­ti­ma­tion par micro­sco­pie optique auto­ma­ti­sée, ainsi vali­dée. L’utilisation des ins­tru­ments de l’ESRF a éga­le­ment per­mis à l’équipe de décou­vrir que chaque coc­co­lithe (petit bou­clier cal­caire) pré­sente des carac­té­ris­tiques dif­fé­rentes. Et ce même si tous ont été créés dans les mêmes condi­tions environnementales.

De la coccosphère (gauche) au coccolithe (droite). Les coccolithophores sont des algues marines microscopiques qui absorbent le dioxyde de carbone pour leur croissance et le libèrent lors de la création de leurs coquilles calcaires, sorte de mini-boucliers, appelées coccolithes. © Alain Gibaud, IMMM, CNRS UMR 6283, Le Mans Université

De la coc­co­sphère (gauche) au coc­co­lithe (droite). Les coc­co­li­tho­phores sont des algues marines micro­sco­piques qui absorbent le dioxyde de car­bone pour leur crois­sance et le libèrent lors de la créa­tion de leurs coquilles cal­caires, sorte de mini-bou­cliers, appe­lées coc­co­lithes. © Alain Gibaud, IMMM, CNRS UMR 6283, Le Mans Université

Pour expli­quer ces varia­tions de taille et de masse des coc­co­lithes au sein d’un même coc­co­li­tho­phore, les cher­cheurs ont décou­vert que leur masse est pro­por­tion­nelle à la taille du noyau de la cel­lule, qui évo­lue au fil du temps. Et autour duquel a lieu la nucléa­tion (ou ger­mi­na­tion, autre­ment dit l’apparition des pre­miers germes cris­tal­lins) de la cal­cite tous les 110 – 120 nm.

« Nous avons réussi à recons­truire indi­vi­duel­le­ment les cris­taux de cal­cite des coccolithes »

L’expérience menée à l’ESRF a été un véri­table chal­lenge. En effet, les échan­tillons, de 5 à 7 microns, étaient presque trop gros pour être étu­diés à la lumière syn­chro­tron. Cependant, grâce à la tech­nique d’i­ma­ge­rie par dif­frac­tion cohé­rente, « nous avons réussi à obte­nir des infor­ma­tions en 3D et à recons­truire indi­vi­duel­le­ment les cris­taux de cal­cite des coc­co­lithes », explique Yuriy Chushkin, scien­ti­fique à l’ESRF.

Structures des coccosphères obtenues par imagerie par diffraction cohérente des rayons X à l’ESRF .(A) SEM image de G. oceanicaRCC1314. (B) 3D-CXDI vue de G. oceanicaRCC1314. (C) 3D-CXDI vues de six autres coccosphères. Echelle= 1μm. © Thomas Beuvier, ESRF, IMMM, CNRS UMR 6283, Le Mans Université

Structures des coc­co­sphères obte­nues par ima­ge­rie par dif­frac­tion cohé­rente des rayons X à l’ESRF .(A) SEM image de G. oceanicaRCC1314. (B) 3D-CXDI vue de G. oceanicaRCC1314. © 3D-CXDI vues de six autres coc­co­sphères. Echelle= 1μm. © Thomas Beuvier, ESRF, IMMM, CNRS UMR 6283, Le Mans Université

« En fait, la tech­nique a été si effi­cace qu’en une heure, nous avons obtenu le jeu de don­nées 3D com­plet dont nous avions besoin », se réjouit le chercheur.

Prochaine étape ? Utiliser les images 3D de ces coc­co­lithes pour mieux com­prendre la maî­trise du phé­no­mène de cal­ci­fi­ca­tion de ce phy­to­planc­ton extra­or­di­naire. Mais aussi « mieux com­prendre les pro­prié­tés méca­niques de ces sque­lettes cal­caires micro­sco­piques et très com­plexes », pré­cise Alain Gibaud, pro­fes­seur au CNRS et uti­li­sa­teur régu­lier de l’ESRF.

Le cher­cheur attend beau­coup de la trans­for­ma­tion en cours de l’instrument en pre­mier syn­chro­tron euro­péen de 4e géné­ra­tion à haute-éner­gie. « Elle devrait per­mettre d’améliorer la réso­lu­tion des images obte­nues », espère-t-il encore.

Véronique Magnin

* Ont par­ti­cipé à ces tra­vaux l’Institut des molé­cules et maté­riaux du Mans (Université du Mans/CNRS), la Station bio­lo­gique de Roscoff (CNRS/Sorbonne Université) et le Centre euro­péen de recherche et d’en­sei­gne­ment de géos­ciences de l’en­vi­ron­ne­ment (Inra/CNRS/IRD/Aix-Marseille Université/Collège de France)

** X‑ray nano­to­mo­gra­phy of coc­co­li­tho­phores reveals that coc­co­lith mass and seg­ment num­ber cor­re­late with grid size, T. Beuvier, I. Probert, L. Beaufort, B. Suchéras-Marx, Y. Chushkin, F. Zontone and A. Gibaud. Nature Communications, 14 février 2019. DOI : 10.1038/s41467-019 – 08635‑x

LES COCCOLITHOPHORES CONTRIBUENT À LIMITER LE RECHAUFFEMENT CLIMATIQUE

Les coc­co­li­tho­phores se mul­ti­plient par mil­lions dans les océans. Cette efflo­res­cence forme à leur sur­face d’immenses traî­nées blanches dont l’aspect lai­teux est net­te­ment visible sur les images satel­lites. Une cou­leur blan­châtre qui pro­vient de la dif­fu­sion de la lumière par les coc­co­li­tho­phores. Leur coquille pro­tec­trice est en effet consti­tuée d’un assem­blage de plu­sieurs pièces calcaires.

Efflorescence de coccolithophores vue de l’espace. Lors de l’efflorescence, les coccolithophores se multiplient par millions et se répandent en gigantesques traînées blanches donnant à l’océan un aspect laiteux. © NASA

Efflorescence de coc­co­li­tho­phores vue de l’es­pace. © Nasa

Ces mini-bou­cliers, appe­lés coc­co­lithes, sont plus pré­ci­sé­ment consti­tués de cal­cite (CaCO3). Pour les sécré­ter, la cel­lule des coc­co­li­tho­phores a besoin d’ions cal­cium (Ca2+) et bicar­bo­nate (HCO3-) dis­sous dans l’eau. D’où pro­vient ce der­nier ? Du gaz car­bo­nique (CO2) de l’atmosphère dont un tiers se dis­sous à la sur­face des océans. Notamment celui libéré dans l’air par les acti­vi­tés humaines de com­bus­tion d’éner­gies fos­siles (telles le char­bon, le pétrole et le gaz).

À leur mort, les coc­co­lithes tombent au fond des océans

La cal­ci­fi­ca­tion que les cel­lules des coc­co­li­tho­phores opèrent par pho­to­syn­thèse induit de fait une dimi­nu­tion du CO2 dis­sous (HCO3-) dans l’océan. Par ce tru­che­ment, l’océan est ainsi capable de dis­soudre davan­tage de CO2 atmo­sphé­rique. Et donc, de contri­buer à limi­ter le réchauf­fe­ment climatique.

Les falaises blanches d'Etretat sont constituées en grande partie de restes de coccolithophores, dont les coquilles ont formé des dépôts de craie sur le fond marin pendant des millions d'années. DR

Les falaises blanches d’Étretat sont consti­tuées en grande par­tie de restes de coc­co­li­tho­phores, dont les coquilles ont formé des dépôts de craie sur le fond marin pen­dant des mil­lions d’an­nées. DR

Les petites créa­tures marines sont de sur­croît des puits de car­bone durables. En effet, à leur mort, leurs coc­co­lithes tombent comme de la neige au fond des océans. S’accumulant, ils sédi­mentent len­te­ment en couches crayeuses.

Au Crétacé, l’âge d’or des coc­co­lithes, les « plus petits sque­lettes du monde marin » ont ainsi formé d’immenses couches de craie. En témoignent les célèbres falaises nor­mandes d’Étretat. Une roche à qui l’on doit l’édification de la cathé­drale Notre-Dame de Paris.

Véronique Magnin

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