TRIBUNE LIBRE – Le président de la République a déploré, le 20 février, une résurgence des actes antisémites sans doute inédite depuis la Seconde guerre mondiale lors du 34e dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). Et annoncé une loi pour lutter contre la haine sur internet, ainsi que l’adoption par la France, dans ses textes de référence, d’une définition de l’antisémitisme élargie à l’antisionisme. De nouvelles annonces qui font vivement réagir Pascal Clérotte, porte-parole du Groupe d’analyse métropolitain. Celui-ci dénonce une « exploitation à des fins politiciennes et électorales de ce très grave et constant problème ».
L’antisémitisme, quelle que soit sa source, doit être combattu. Comme dans tout combat, la désignation de l’adversaire, le choix des armes, de l’ordre et du champ de bataille et le tempo stratégique doivent être choisis avec minutie.
L’exploitation à des fins politiciennes et électorales de ce très grave et constant « problème » de société annule de facto tous les efforts fait au quotidien pour le résoudre. Nous parlons bien de résolution. Pas d’éradication car la mauvaise herbe trouve toujours le moyen de repousser, quelle que soit la quantité de glyphosate qu’on a épandue.
On ne peut utiliser quelque chose d’aussi grave, qui a une telle prégnance historique partagée par l’Europe entière, comme un expédient politique afin de se remettre au centre du jeu et polariser l’électorat.
Bien étrange pays que le Macronistan (référence aux Lettres persanes), où un pouvoir en très grande difficulté, rejeté par une large majorité de l’opinion et qui cherche à masquer son absence de résultats sur tous les fronts (croissance, emploi, compétitivité, commerce extérieur etc.) ne trouve qu’à convoquer de manière comminatoire « les heures les plus sombres de notre histoire » pour régler la très grave crise sociale à laquelle il est confronté – qu’il a créée et à laquelle il refuse d’apporter une réponse politique.
Nous avons pour Emmanuel Macron, son gouvernement, sa majorité et les professionnels de la parole cet adage, « customisation » de ce qu’a dit François Mitterrand : « Le manichéisme, c’est la guerre ».
Voilà trois mois que ce petit milieu “des pouvoirs” (politiques, administratifs, médiatiques, économiques etc.), plutôt que d’essayer d’appréhender, de contextualiser et d’analyser ce mouvement des gilets jaunes – qu’il n’a pas vu venir alors qu’il ne fallait pas être grand clerc pour le prévoir (il suffisait de lire les notes des services idoines) – s’acharne à le réduire au cadre étriqué de ses propres facultés de compréhension.
Ce n’est pas la caverne de Platon mais le Playskool de Bernard-Henri Lévy, où le tout Paris infantile, capricieux et terrorisé s’acharne à faire rentrer à grands coups de poing le cylindre dans le trou triangulaire.
Voilà trois mois qu’au lieu d’écouter les protestations, on cherche à les invalider par la reductio ad Hitlerum. On déclare sans aucun fondement que la jacquerie étant le fait de racistes, d’antisémites, d’homophobes, de gens d’extrême droite (manque grossophobes) par voie de conséquence leurs revendications ne sauraient être entendues et recevables puisque émanant du “camp du mal”.
Or, depuis trois mois, la jacquerie ne faiblit pas, pas plus que le soutien qu’elle recueille dans l’opinion, soit plus ou moins deux-tiers des Français.
Cela survient dans un contexte électoral, les européennes de mai prochain où l’autoproclamé “camp du bien” va, en toute vraisemblance, se prendre une déculottée et “le camp du mal” progresser au point de poser de sérieux problèmes – à Bruxelles et à Strasbourg – au “camp du bien”, ce dernier se voyant obligé de trouver des compromis avec le camp du mal.
En politique, on finit toujours par dîner avec le diable, l’astuce étant de ne pas le laisser régler l’addition (Cf. l’Arabie Saoudite, par exemple). Pour la Commission européenne, c’est également le cauchemar d’être contrôlé de manière accrue par des gens qui ne lui seront sans aucune complaisance.
Politique pour les nuls : le “camp du bien” fait feu de tout bois pour que la seule offre politique en mai 2019 se décline selon (a) le diable, les enfers et la damnation, le “camp du mal” ou (b) la rédemption et la mondialisation heureuse éternelle, celle du camp du bien.
Belle idée de ce qu’est une élection démocratique, puisque tout est fait pour ne pas laisser de choix.
C’est la bêtise du mantra macroniste “progressistes” contre “populistes”, dénoncée par à peu près tout le monde qui possède un tant soit peu de jugeotte, Hubert Védrine en tête. On a pu croire un moment que le président de la République avait compris et intégré l’imbécilité et la dangerosité de ce qui n’est même pas une dialectique, puisque les termes opposés ne sont pas équivalents. Mais non !
On nous ressert la même chose de manière beaucoup plus sournoise en se cachant derrière le paravent de l’antisémitisme (une fois encore, l’antisémitisme, un réel et urgent problème).
Ce qui est frappant dans cette séquence “indignation – marche – rédemption”, ce sont les arguments développés quasi-unanimement par les professionnels de parole (politiques, médias, éditorialistes, commentateurs, “intellectuels” etc.)
Sortons donc notre scalpel, nos scies à os et nos écarteurs et passons à la table de dissection (la régie envoie : Who are you ? woohoo ! Woohoo !)
Il ne fallait pas prendre le fameux discours de De Gaulle au pied de la lettre car, lui, contrairement à ce qui a cours aujourd’hui, savait envoyer promener des alliés pénibles avec politesse, tact et surtout fermeté.
L’argument prévalent qu’on retrouve même chez Renée Frégosi (décevant, Renée) est le suivant :
Jacquerie contre l’élite = terreau de l’antisémitisme parce que nos concitoyens juifs sont assimilés à l’élite par la “base”.
Nos concitoyens juifs sont à l’image de la société française, dont ils sont partie intégrante : il y en a des riches, des savants, des cultivés, des de classe moyenne, des pauvres, des truands, des beaufs, des toxicos – et même des gilets jaunes.
Les gilets Jaunes et la majorité des Français contestent aujourd’hui la légitimité à nous diriger, à nous informer et même à nous instruire de ceux que le politologue Jérôme Sainte-Marie nomme « le bloc élitaire ». Pour une raison fort simple : depuis plus de vingt ans, ce « bloc élitaire » n’a eu cure de l’impact de ses décisions et de son comportement sur ce qui représente tout de même plus de 50 % de la population française.
Le péché originel est l’entérinement du Traité de Lisbonne en 2008, dans les faits le traité constitutionnel européen, alors que par référendum les Français avaient dit non en 2005 (allez comprendre pourquoi plus de la moitié des Français onze ans après ne sont pas contents).
Ce bloc élitaire aujourd’hui fait preuve d’un indicible courage quand, se sentant menacé par la « base » (la France d’en bas a dit Raffarin, la France d’en haut étant pour Macron « les premiers de cordée » – notez que ça dévisse sec en ce moment chez les premier qui apparemment ne sont pas encordés) dans sa légitimité donc son statut – lire sa rente – il fait rempart de nos concitoyens juifs pour protéger ses intérêts étroits (si nous étions marxistes nous aurions écrit « intérêts de classe »), au motif que nos concitoyens juifs seraient perçus systématiquement comme faisant partie de l’élite : toute forme de contestation de l’élite est mutatis mutandis une forme d’antisémitisme.
Puisque certains ont convoqué « les heures les plus sombres de notre histoire », autant qu’elles restent un peu car nous avons besoin d’elles à fin d’illustration sardonique. Nous disons à nos concitoyens juifs qu’il est heureux que la « bête immonde » n’ait que peu de chance de ressurgir en Europe, parce que si elle venait à occuper de nouveau la France, alors le bloc élitaire ferait exactement comme en 1940 : il fuirait dans une station de balnéo, capitulerait, donnerait les pleins pouvoirs à un cacochyme jadis glorieux et se lancerait avec application dans la collaboration, dans le seul but de maintenir son statut et ses intérêts étroits – qui passerait par vous savez quoi ?
Ne reconnaît-on pas « l’élite » française à travers les âges à ce qu’elle ne met les pieds sous la table que quand la soupe est servie et qu’elle s’offusque si, à la fin du repas, on a l’outrecuidance de lui présenter l’addition, qu’elle ne paiera pas quoi qu’il arrive ? La bourgeoise, elle, s’offusque mais paie (c’est de là que vient le côté râleur des Français). Quant aux autres, ben pas invités, parce qu’on sait qu’ils n’ont ni les moyens de payer, ni les moyens de ne pas payer – donc on leur laisse la possibilité de râler, à coup de LBD le cas échéant.
Soyons sérieux deux minutes.
D’antisémitismes en France, il y en a deux de virulents.
Nous ne parlons pas des stupides clichés et autres préjugés du genre « les juifs sont radins » (tenez, comme les Auvergnats et les Écossais) qui ne poussent jamais au passage à l’acte. Même dans le terrifiant cas de Ilan Halimi, vendeur dans un magasin de téléphonie, séquestré et torturé à mort au motif qu’il était juif donc riche alors qu’il ne l’était pas.
Pour arriver à ce niveau de cruauté et d’horreur, il faut d’abord avoir totalement déshumanisé l’autre. Ce n’est pas quelque chose d’impulsif, la déshumanisation de l’autre. C’est un long processus qui ne procède pas de la haine – une émotion – mais est rationalisé. La preuve : les tortionnaires et les assassins d’Ilan s’étaient eux-mêmes nommés « le gang des barbares ».
En matière de préjugé, c’est la raison et l’engagement qui sont efficaces. Et ça fonctionne.
L’antisémitisme “traditionnel”, celui de l’extrême droite maurassienne (pour faire vite), est parfaitement connu et contrôlé par nos services de renseignement et de police, au bas mot depuis la guerre d’Algérie et l’OAS. S’il doit inlassablement être combattu, cela fait longtemps qu’il n’a pas tué (ce qui ne veut pas dire qu’il ne tuera plus).
Il y a l’antisémitisme islamiste et ses supplétifs (une partie de l’extrême gauche, indigénistes, décoloniaux etc.). C’est celui qui depuis plus deux décennies tue en France. De manière indiscriminée comme ciblée. Cet antisémitisme se cache derrière le prétexte du conflit israélo-palestinien – tout comme certains membres de la droite israélienne en France le font pour supprimer toute critique d’Israël, il est important de le préciser, même si les deuxièmes ne se situent en aucun cas au même niveau que les premiers.
On a marché hier sur la place de la République et ailleurs en France. Et maintenant on fait quoi ? On attend le prochain attentat ou le prochain crime antisémite pour marcher à nouveau ?
Il va falloir que les présidents ratés (y compris celui qui est aux manettes), les ministres mal informés, les politiciens en mal de mandat ou de notoriété, les éditorialistes qui ne savent plus qui copier etc. comprennent bien une chose :
Nos concitoyens juifs ne sont ni des digues, ni des remparts (pas des trompettes, merci !), ni des boucliers, ni des gilets pare-balles, ni une haie de lance, ni des paravents et encore moins des cache-sexes. Ce sont juste nos concitoyens, ce qui est amplement suffisant pour nous poser certains devoirs.
Ce n’est pas en instrumentalisant dans des buts politiques par le compassionnel et le mémoriel leur spécificité confessionnelle – qui conduisit à l’horreur et qui ne saurait malgré cette horreur les distinguer d’entre nous – que nous arriverons à les protéger, ce qui est le devoir de tout citoyen de la même nation, devoir posé par le principe de la fraternité – le vrai, celui qui se fait, pas celui dont on parle (un peu comme un suicide réussi quoi !).
Nous ne sommes ni à Verdun ni à Stalingrad : on ne fait fortification pour gagner une bataille (des suffrages) de cadavres, surtout quand ces cadavres furent fait par la planification et la réalisation par des européens d’un système visant à l’extermination d’autres européens au motifs qu’ils étaient juifs, tsiganes, homosexuels, malades mentaux, handicapés etc. (mon dieu que ce « etc. » est terrifiant). Le poids de l’histoire interdit toute forme de stratagème, toute forme d’instrumentalisation.
L’antisémitisme n’est pas une question politique, ni même de société. Comme toute forme d’ostracisme, c’est une question de CIVILISATION.
Le manichéisme, c’est la guerre.
Pascal Clérotte
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