FOCUS – Le collectif Pièces et main‑d’œuvre organise, ce vendredi 11 janvier à Grenoble,
une conférence-débat avec le philosophe et mathématicien Olivier Rey, auteur de l’ouvrage Leurre et malheur du transhumanisme. L’occasion de s’interroger sur les ressorts de cette idéologie, qui promeut l’utilisation des découvertes scientifiques et techniques pour améliorer les performances humaines. Mais aussi sur l’éventualité de devenir un jour des hommes-machines, et sur l’implication de Grenoble dans la création des outils du transhumanisme.
Deux masques de singes au dessus de plusieurs tracts et un catalogue de publications sur une des tables du bar China Moon à Grenoble. C’est tout ce que les deux membres du groupe grenoblois Pièces et main‑d’œuvre (PMO) ont bien voulu nous laisser photographier lors de la présentation de la conférence-débat « Transhumanisme : voulons-nous devenir des hommes-machines ? »
Un événement que le collectif organise ce vendredi 11 janvier à compter de 18 h 30 à la Maison des associations de Grenoble. L’invité ? Le mathématicien et philosophe Olivier Rey qui va présenter son ouvrage intitulé « Leurre et malheur du transhumanisme », publié aux éditions Desclée de Brouwer en 2018.
« Exit toute autorité qu’elle soit médiatique, scientifique, universitaire ou politique »
De même, nos deux interlocuteurs n’ont pas souhaité décliner leur identité complète pour, expliquent-ils, « ne pas incarner » les idées qu’ils défendent.
« Nous sommes des Grenoblois et nous intervenons à titre de simples citoyens. » C’est ainsi que se présentent Juliette et François, deux membres historiques du groupe de réflexion grenoblois.
« Exit toute autorité, qu’elle soit médiatique, scientifique, universitaire ou politique », justifient-ils d’une seule et même voix. Le décor est planté.
Leur cheval de bataille ? La critique radicale de la recherche scientifique, du complexe militaro-industriel, des bio et nanotechnologies notamment.
« Le transhumanisme est un projet de prise en main de l’Évolution par les ingénieurs »
En revanche, c’est à visage découvert que les membres du collectif PMO vont animer cette soirée également sous l’égide de l’infatigable militant grenoblois Jo Briant. En effet, l’homme de tous les combats partage les convictions de PMO sur le transhumanisme. Des thèses que le collectif a développées dans le Manifeste des chimpanzés du futur contre le transhumanisme. Un ouvrage publié aux éditions Service compris en 2017.
« Le transhumanisme est un projet de prise en main de l’Évolution par les ingénieurs », est-il expliqué sur l’invitation.
Son objectif ? « Substituer aux humains une espèce « augmentée », fruit du progrès technologique et d’une volonté de maîtrise totale », estime le groupe de réflexion. Ce dernier ne s’en cache pas, il se déclare, pour sa part, ouvertement comme un « ennemi de l’homme-machine ».
« Est-ce qu’on a envie de devenir des hommes-machines ? »
« Pour nous, l’action prioritaire, c’est d’arriver à cultiver chez nos contemporains la capacité de penser par eux-mêmes, à développer leur esprit-critique. Ce n’est qu’à cela que nous travaillons », soutient Juliette.
Pourquoi inviter le philosophe Oliver Rey ? « Nous partageons les mêmes idées sur le transhumanisme, que nous avons nous-mêmes développées dans le manifeste », justifie la jeune femme. De quoi offrir l’occasion de débattre de façon philosophique sur l’avenir de l’humain.
Cette conférence débat se propose d’aborder ainsi plusieurs questions existentielles. « Est-ce qu’on a envie de rester humain ? Est-ce qu’on a envie de devenir des hommes-machines ? Est-ce que nous sommes condamnés à devenir des “chimpanzés du futur”, si nous refusons cette forme d’évolution, comme le prétendent les transhumanistes ? », énumère Juliette. Mais pas seulement.
Lors de cet évènement, PMO abordera aussi d’un point de vue plus politique et concret ce qui se « trame », selon le collectif, à Grenoble.
« À Grenoble, les industries et technologues fournissent les outils du transhumanisme »
Cette réflexion remonte à plus de vingt ans. « On s’est intéressé à Grenoble. Nous nous sommes demandé dans quelle ville nous habitions. À un moment donné, on s’est rendu compte qu’on n’aimait plus notre ville, qu’elle avait changé… Nous avons alors commencé à enquêter », se souvient François. Une obligation pour PMO puisque « nous, citoyens grenoblois, nous n’étions pas mis au courant de ces changements », justifie-t-il.
Le résultat ? Le collectif en est convaincu, Grenoble est devenue une des chevilles ouvrières du transhumanisme. PMO en veut pour preuve qu’ « à Grenoble, cela fait cinquante ans que les pouvoirs publics soutiennent les industries et les technologies qui fournissent les outils du transhumanisme. À savoir, les nanotechnologies, les biotechnologies, l’informatique, les sciences cognitives et les neurotechnologies [les NBIC, ndlr] », résume François. « Et on a investi nos impôts dans les NBIC ! », se rebiffe Juliette, pour qui la pilule ne passe pas.
François l’affirme, « la technologie n’est pas seulement la caractéristique de Grenoble, c’est aussi la caractéristique d’une époque ». Ainsi « enquêter sur Grenoble, c’est enquêter sur son temps », estime le militant.
« Le sujet du progrès technologique est le moins discuté, sauf pour en dire du bien »
Le collectif ne manque pas de s’étonner. « C’est quand même incroyable quand on y pense. Le sujet du progrès technologique – le plus important de notre époque et de Grenoble, technopole pilote – est celui qui est le moins discuté. Sauf pour en dire du bien », souligne François.
Ce dernier déplore que la question du « pourquoi on le fait ? » ne soit pas débattue. Et ce, jusque dans la sphère politique. « Vous a‑t-on demandé votre avis pour supprimer les cabines téléphoniques et imposer le téléphone portable, pour l’administration électronique, pour fabriquer des organismes génétiquement modifiés (OGM), pour dépendre du nucléaire, pour développer les nanotechnologies ? », interroge le membre de PMO.
Est-ce un progrès ou un regret ?
Dans les médias, le traitement n’est pas meilleur selon François. « Tous ces sujets pourtant éminemment politiques ne sont jamais discutés en terme politique dans la presse. »
En effet, poursuit-il, « soit on classe les avancées scientifiques dans la rubrique économique – sous-entendu, c’est important pour la croissance, pour l’emploi et le commerce – , soit on les range dans la rubrique science et technique, en présentant ces avancées comme intéressantes et en expliquant comment ça marche », déplore-t-il.
Ainsi, « jamais, on ne reconstitue le puzzle, la trajectoire d’ensemble. Sauf à nous dire que c’est le progrès, qu’on n’arrête pas le progrès. Et ensuite que c’est une bonne chose de ne pas l’arrêter », se désole François. Et si ce n’était « pas un progrès, mais un regret », comme l’affirme PMO ?
« On est invités partout, sauf à Grenoble »
Une chose est sûre, Le Manifeste des chimpanzés du futur contre le transhumanisme est un vrai succès de librairie, se félicite Juliette. Mais, nul n’est prophète en son pays. « On est invités partout en France et hors les frontières, comme à Bruxelles dernièrement, pour nous écouter sur le transhumanisme, sauf… à Grenoble ! », ironise-t-elle.
Pourquoi cette désaffection ? « Un Grenoblois sur cinq travaille dans la recherche. Et la plupart des chercheurs ont le nez dans le guidon. Ils vivent au jour le jour, de façon quotidienne dans leurs laboratoires et ne réfléchissent pas au sens de ce qu’ils font, fascinés de surcroît par la puissance de la technologie », avance en guise d’explication, le membre de PMO.
Alors l’idée d’organiser cette conférence-débat critique au cœur de la technopole grenobloise – « dans l’œil même du cyclone », selon Juliette, ou « dans la gueule du loup » pour François –, n’est manifestement pas pour leur déplaire.
Fort de 87 textes critiques sur le progrès technologique publiés sur son site depuis vingt ans et de seize ouvrages édités, PMO prône le pas de côté, la rupture avec la « force de transformation majeure de l’époque » qu’est le progrès technologique. Nul doute que ce poil à gratter grenoblois n’en garde encore un peu sous le coude pour cette soirée !
Véronique Magnin