FOCUS – Des jeunes rappeurs amateurs ont pu jouer en première partie de l’artiste Insa Sané au Ciné-théâtre de La Ponatière à Échirolles, le 13 novembre dernier. Ils étaient accompagnés par la MJC Desnos, mais aussi par Dcap (développement culturel arts et poésie) et la Maison des écrits. Ces services publics « inédits » de la Ville d’Échirolles visent à encourager les projets culturels et artistiques. Objectif ? Valoriser la jeunesse et le « vivre-ensemble » à travers la culture pour inciter à être « acteur de son territoire ».
Le rappeur, slameur, écrivain et comédien Insa Sané, accompagné de son chanteur et guitariste Kab, ont été les invités d’honneur du Ciné-théâtre de la Ponatière, le 13 novembre dernier. Cet artiste d’origine sénégalaise déclame des vers rythmés et une poésie engagée. À travers ses textes, il questionne notre regard sur l’immigration, une situation qu’il a lui même vécue. « L’espoir ne demande pas de visa », murmurait-il dans son micro, le 13 novembre.
Mais le public était aussi venu acclamer les jeunes rappeurs et slameurs échirollois, âgés de 11 à 22 ans. Ces amateurs, à la prose affûtée et au débit enragé, avaient sur scène l’attitude de professionnels. Avec des textes forts, souvent poignants, ils parlent de colère sociale, de leur « quartier », de leur entourage… Certains font aussi référence à des sujets plus lourds, tels que la misère et les conflits à travers le monde. Du haut de ses onze ans, Samy raconte déjà en poésie les horreurs de la guerre au Mali, avec le « flow » (débit) d’un artiste.
Faire jouer des jeunes en « conditions professionnelles »
Cette soirée était portée par la Maison des écrits d’Échirolles. Les jeunes rappeurs étaient accompagnés par l’association MJC Robert Desnos, mais aussi par les services municipaux Dcap (développement culturel arts et poésie) et la Maison des écrits.
« Nous connaissons ces jeunes et leur potentiel depuis longtemps. C’est pourquoi nous allons à leur rencontre pour les inciter à participer aux ateliers », explique Mustapha Ferkous, le responsable de Dcap.
En effet, les jeunes ont écrit eux-mêmes leurs textes, notamment au cours d’un atelier intitulé « du stylo au micro ». « Nous les avons surtout aidés pour leur relation à la scène, l’articulation, le regard, l’attitude etc. », affirme Mustapha Ferkous. « L’objectif est de les faire jouer en conditions professionnelles », poursuit-il.
La Maison des Écrits et Dcap : des services publics culturels « inédits »
Placés sous la Direction des Affaires Culturelles, la Maison des écrits et Dcap sont des services de la Ville d’Échirolles créés en 2002 et 2003. Ils ont pour ambition de valoriser la création et la pratique artistique. Ces services publics encouragent les jeunes à monter sur scène et collaborent pour la mise en place de projets culturels et artistiques. « C’est une véritable politique culturelle de la Ville. Il y a une très forte volonté de la part de la mairie pour ouvrir la culture au plus grand nombre », explique Mustapha Ferkous, le responsable de l’équipe Dcap.
Retour sur la soirée au Ciné-théâtre de La Ponatière :
Dcap accompagne prioritairement les personnes âgées de 15 à 30 ans. La Ville met à disposition des locaux et organise des ateliers et stages, animés par des professionnels. Quant à la Maison des écrits, elle offre la possibilité de « s’exprimer, de se former et de révéler sa créativité » à travers l’écriture. Des services « uniques » et « inédits » en France selon Marie Lorenzin, sa responsable. « En tout cas, nous ne connaissons pas d’autres services publics de ce type-là », assure-t-elle.
La Maison des écrits : valoriser l’écriture artistique et pédagogique
La Maison des écrits organise des ateliers d’écriture ouverts aux enfants et aux adultes. Mais aussi des formations au « stand-up » ou des ateliers d’expression. Pour la saison 2018 – 2019, cet établissement accueillera également les artistes Insa Sané et Kab en résidence d’auteur. Les musiciens animeront plusieurs activités : création d’une comédie musicale, réalisation d’un film ou encore rédaction d’un livre de cuisine qui dressera le portrait d’Échirollois.
Insa Sané interviendra aussi dans les lycées Thomas Edisson et Marie Curie, situés à Échirolles. Ayant lui-même grandi à Sarcelles, une commune de la banlieue parisienne, « Insa Sané parle sincèrement aux jeunes issus de milieux populaires », observe Marie Lorenzin. « Il connaît les difficultés mais aussi toute la richesse des quartiers populaires. »
Ce service culturel organise, enfin, des « discussions à visées démocratique et philosophique » sur la base du modèle didactique du professeur Michel Tozzi. Il s’agit de mettre la philosophie à la portée des enfants, en les incitant à « réfléchir par eux-mêmes et à s’exprimer ».
Ces ateliers soulèvent donc des débats sur des sujets accessibles (amitié, injustice, tolérance).
« À l’école, les jeunes apprennent des concepts philosophiques par cœur », précise la responsable de la Maison des écrits. « Nous voulons introduire des outils différents et complémentaires pour favoriser l’écoute et la prise de parole », poursuit-elle. La Maison des écrits forme aussi des enseignants pour mettre notamment en place ce modèle pédagogique dans des établissements réputés « difficiles ».
« Pouvoir écrire et dire ensemble »
« J’ai commencé le rap parce que je ne suis pas bon à l’école », confiait l’un des participants, le 13 novembre. Confronter à la scène des jeunes en difficulté ou en échec scolaire permet donc de les revaloriser. Le tout est de proposer une approche différente de l’écriture pour qu’ils aient « confiance en eux ». « Il est important de faire entendre leur voix en valorisant leurs textes », explique Marie Lorenzin. Pour ces jeunes « l’écriture artistique fait sens », complète Mustapha Ferkous. « Elle permet peut-être de mieux s’intéresser aux autres matières scolaires. »
C’est notamment le cas d’Anis (13 ans) et de Mohamed (15 ans), pour qui l’écriture rap est devenue « une vraie passion ». Depuis la création de leur groupe DZK en 2017, les jeunes sont déjà montés « sept ou huit fois » sur scène. « Le rap permet de t’exprimer quand tu es triste ou en colère. Quand tu as des émotions, tu peux l’écrire dans un texte », assure Mohamed. « Tu peux te lâcher », ajoute Anis. Toutefois, ces services publics n’ont pas vocation à « se substituer à l’école », précise Mustapha Ferkous. « Nous sommes justement vigilants à leur réussite scolaire. »
Cette politique publique vise donc à valoriser le « vivre-ensemble » pour être « acteur de son territoire ». « C’est important de s’asseoir autour d’une table avec des personnes de tous âges, de toutes catégories sociales, de tous horizons afin de pouvoir écrire et dire ensemble », estime Mustapha Ferkous. Ces ateliers créatifs servent aussi à « découvrir son potentiel ». Ils permettent de « changer son regard sur soi-même et sur les autres pour mieux s’accepter avec nos différences », conclut le responsable du service Dcap.
Anaïs Mariotti