TROIS QUESTIONS À – Rachid Ouramdane, codirecteur du CCN2, présente sa nouvelle création, Franchir la nuit, du 8 au 10 novembre, à la MC2. Il y reprend son thème de prédilection, l’exil, abordé cette fois à travers la figure des enfants et adolescents. Le chorégraphe nous parle de ce spectacle qui mêle le genre du portrait dansé à une tentation documentaire et sensible. Cinq interprètes s’y mêlent à une foule d’enfants.
L’exil, thème de prédilection de Rachid Ouramdane
Portraitiste hors-pair, Rachid Ouramdane excelle dans l’art de brosser des personnalités et des sensibilités via le langage chorégraphique.
Dans Superstars, pour le ballet de l’Opéra de Lyon, il construisait sept portraits de danseurs ayant quitté des pays particulièrement tourmentés par des évènements sociopolitiques.
Surface de réparation dressait des portraits d’athlètes adolescents de banlieue parisienne issus de l’immigration. Sfumato traitait les bouleversements de la vie des réfugiés climatiques au regard du réchauffement planétaire. Déjà, le plateau était nappé d’eau, comme c’est le cas dans Franchir la nuit, création de Rachid Ouramdane présentée du 8 au 10 novembre à la MC2. L’eau y renvoie bien sûr à la Méditerranée, qu’il s’agit de franchir pour tant d’exilés.
Franchir la nuit met en scène cinq danseurs professionnels et un groupe de jeunes exilés rencontrés au foyer du Charmeyran à la Tronche. Le spectacle reprend donc les thématiques chères au chorégraphe, l’exil et ce qu’il génère chez les individus, à hauteur d’enfants cette fois. Entretien.
Les mouvements de population et l’exil sont au cœur de vos créations chorégraphiques. Qu’est-ce qui vous attache à cette thématique ?
Je pense que c’est un sujet politique qu’il faut mettre en débat le plus possible. Ce sujet sature les médias et nous concerne en premier lieu. Et j’ai l’impression que quand on parle des mouvements de population, des personnes qui nous seraient étrangères, on parle de gens loin de nous. On ne se sent pas toujours concerné. On voit que ça génère une France accueillante et une France du rejet, que ça génère beaucoup de clivages aussi. Donc travailler cette figure de l’étranger, c’est d’abord réfléchir à ce que nous sommes.
Je cite souvent le film Welcome de Philippe Lioret, qui traite de ce sujet mais en posant vraiment un autre questionnement. On voit comment la personne qui fait face à une situation d’accueil est transformée. C’est ce que ça vient bousculer dans nos modes d’agir, dans nos sentiments, dans nos consciences citoyennes qui m’intéresse.
Et puis la chose qui m’a construite en danse, c’est ma formation (conservatoire, grandes écoles européennes de danse, etc.) mais aussi mon métissage culturel, les quartiers dans lesquels j’ai grandi. Tout cela m’a confronté à cette altérité, à une stratification de cultures différentes. C’est ce qui m’a amené à faire de l’art et j’essaie de continuer de comprendre cette difficulté ou cette porosité entre des gens très différents.
Dans Franchir la nuit, ce sont des enfants et adolescents exilés que vous portraiturez. Pourquoi ce choix ?
Les mineurs non accompagnés (MNA), comme on les appelle aujourd’hui, sont livrés à eux-mêmes. Parfois, ils ont dû faire le voyage seuls ou ont commencé en famille et ont fini seuls. Beaucoup d’associations les accompagnent mais ce sont quand même des jeunes qui doivent se construire dans une forme de solitude. Souvent, quand on parle de ces jeunes réfugiés, on entend d’abord « réfugiés » avant de les voir comme des jeunes.
C’est une enfance assez cabossée. Les valeurs qu’ils doivent eux-mêmes se forger amènent à des choses assez troublantes dans le rapport à l’autre. Il y a parfois des choses magnifiques. Et d’autres fois, des choses d’une grande barbarie. Je pense qu’on est responsable de cette façon de laisser cette enfance-là se gérer toute seule. C’est un peu pour ça que je voulais aller sur ce terrain-là.
Où avez-vous rencontré les jeunes exilés présents dans Franchir la nuit ? Qu’est-ce qu’une participation à un spectacle de danse leur apporte, à votre avis ?
Quand j’ai rencontré ces jeunes, ils étaient au foyer du Charmeyran à la Tronche. Au début, je leur ai proposé de venir à des ateliers. Venait qui veut. Il y avait beaucoup de précautions, beaucoup de pudeur. La question de savoir ce qu’ils pourraient apporter à un public s’est posée de manière très détournée. D’ailleurs, j’ai beaucoup travaillé le silence de ces jeunes, leur solitude et leur isolement. Ce sont des personnes qui se protègent beaucoup. Ils ont fait des déclarations administratives. Ils veulent rester ici mais ont peur que ce qu’ils ont dit ou ce qu’ils vont dire soit mal interprété.
Au travers du geste, des attentions de solidarité entre eux, j’ai pu travailler avec eux. C’est troublant la manière dont ils se soutiennent, dont ils se portent les uns les autres. Ce sont des choses que j’ai mises en scène dans des paysages d’eau.
Il y a un parterre d’eau brassé de vagues qui nous situe géographiquement en cette endroit de tension du moment qu’est la Méditerranée. C’est dans cette réserve qu’ils présentent que j’ai essayé de trouver une éloquence dans ce qui ne peut pas être dit.
La plupart d’entre eux sont très éloignés de l’art contemporain, bien entendu, de la culture française… Avec Yohann Bourgeois, le codirecteur du CCN2, on essaye d’inscrire l’art là où il n’est pas. Et, parfois, au travers de l’art, on peut permettre à des personnes de se découvrir elles-mêmes. Quand je fais des projets de nature participative, je constate souvent que les gens se découvrent plus grands que ce qu’ils pensaient être. Je crois que faire œuvre, c’est aussi cela.
Propos recueillis par Adèle Duminy
Infos pratiques
Franchir la nuit
Chorégraphie Rachid Ouramdane
CCN2 – Centre chorégraphique national de Grenoble
en collaboration avec Mehdi MeddaciJeudi 8 novembre 19 h 30
Vendredi 9 novembre 20 h 30
Samedi 10 novembre 19 h 30