Franchir la nuit © Patrick Imbert

Rachid Ouramdane : « Dans “Franchir la nuit”, j’ai voulu mon­trer que les jeunes exi­lés étaient des jeunes avant d’être des exilés »

Rachid Ouramdane : « Dans “Franchir la nuit”, j’ai voulu mon­trer que les jeunes exi­lés étaient des jeunes avant d’être des exilés »

TROIS QUESTIONS À – Rachid Ouramdane, codi­rec­teur du CCN2, pré­sente sa nou­velle créa­tion, Franchir la nuit, du 8 au 10 novembre, à la MC2. Il y reprend son thème de pré­di­lec­tion, l’exil, abordé cette fois à tra­vers la figure des enfants et ado­les­cents. Le cho­ré­graphe nous parle de ce spec­tacle qui mêle le genre du por­trait dansé à une ten­ta­tion docu­men­taire et sen­sible. Cinq inter­prètes s’y mêlent à une foule d’enfants.

L’exil, thème de pré­di­lec­tion de Rachid Ouramdane

Portraitiste hors-pair, Rachid Ouramdane excelle dans l’art de bros­ser des per­son­na­li­tés et des sen­si­bi­li­tés via le lan­gage chorégraphique.

Rachid Ouramdane © Géraldine Aresteanu

Rachid Ouramdane © Géraldine Aresteanu

Dans Superstars, pour le bal­let de l’Opéra de Lyon, il construi­sait sept por­traits de dan­seurs ayant quitté des pays par­ti­cu­liè­re­ment tour­men­tés par des évè­ne­ments sociopolitiques.

Surface de répa­ra­tion dres­sait des por­traits d’athlètes ado­les­cents de ban­lieue pari­sienne issus de l’immigration. Sfumato trai­tait les bou­le­ver­se­ments de la vie des réfu­giés cli­ma­tiques au regard du réchauf­fe­ment pla­né­taire. Déjà, le pla­teau était nappé d’eau, comme c’est le cas dans Franchir la nuit, créa­tion de Rachid Ouramdane pré­sen­tée du 8 au 10 novembre à la MC2. L’eau y ren­voie bien sûr à la Méditerranée, qu’il s’a­git de fran­chir pour tant d’exilés.

Franchir la nuit met en scène cinq dan­seurs pro­fes­sion­nels et un groupe de jeunes exi­lés ren­con­trés au foyer du Charmeyran à la Tronche. Le spec­tacle reprend donc les thé­ma­tiques chères au cho­ré­graphe, l’exil et ce qu’il génère chez les indi­vi­dus, à hau­teur d’enfants cette fois. Entretien.

Les mou­ve­ments de popu­la­tion et l’exil sont au cœur de vos créa­tions cho­ré­gra­phiques. Qu’est-ce qui vous attache à cette thématique ?

Je pense que c’est un sujet poli­tique qu’il faut mettre en débat le plus pos­sible. Ce sujet sature les médias et nous concerne en pre­mier lieu. Et j’ai l’impression que quand on parle des mou­ve­ments de popu­la­tion, des per­sonnes qui nous seraient étran­gères, on parle de gens loin de nous. On ne se sent pas tou­jours concerné. On voit que ça génère une France accueillante et une France du rejet, que ça génère beau­coup de cli­vages aussi. Donc tra­vailler cette figure de l’étranger, c’est d’abord réflé­chir à ce que nous sommes.

Franchir la nuit © Patrick Imbert

Franchir la nuit. © Patrick Imbert

Je cite sou­vent le film Welcome de Philippe Lioret, qui traite de ce sujet mais en posant vrai­ment un autre ques­tion­ne­ment. On voit com­ment la per­sonne qui fait face à une situa­tion d’accueil est trans­for­mée. C’est ce que ça vient bous­cu­ler dans nos modes d’agir, dans nos sen­ti­ments, dans nos consciences citoyennes qui m’intéresse.

Et puis la chose qui m’a construite en danse, c’est ma for­ma­tion (conser­va­toire, grandes écoles euro­péennes de danse, etc.) mais aussi mon métis­sage cultu­rel, les quar­tiers dans les­quels j’ai grandi. Tout cela m’a confronté à cette alté­rité, à une stra­ti­fi­ca­tion de cultures dif­fé­rentes. C’est ce qui m’a amené à faire de l’art et j’essaie de conti­nuer de com­prendre cette dif­fi­culté ou cette poro­sité entre des gens très différents.

Dans Franchir la nuit, ce sont des enfants et ado­les­cents exi­lés que vous por­trai­tu­rez. Pourquoi ce choix ?

Les mineurs non accom­pa­gnés (MNA), comme on les appelle aujourd’hui, sont livrés à eux-mêmes. Parfois, ils ont dû faire le voyage seuls ou ont com­mencé en famille et ont fini seuls. Beaucoup d’associations les accom­pagnent mais ce sont quand même des jeunes qui doivent se construire dans une forme de soli­tude. Souvent, quand on parle de ces jeunes réfu­giés, on entend d’abord « réfu­giés » avant de les voir comme des jeunes.

C’est une enfance assez cabos­sée. Les valeurs qu’ils doivent eux-mêmes se for­ger amènent à des choses assez trou­blantes dans le rap­port à l’autre. Il y a par­fois des choses magni­fiques. Et d’autres fois, des choses d’une grande bar­ba­rie. Je pense qu’on est res­pon­sable de cette façon de lais­ser cette enfance-là se gérer toute seule. C’est un peu pour ça que je vou­lais aller sur ce terrain-là.

Où avez-vous ren­con­tré les jeunes exi­lés pré­sents dans Franchir la nuit ? Qu’est-ce qu’une par­ti­ci­pa­tion à un spec­tacle de danse leur apporte, à votre avis ?

Quand j’ai ren­con­tré ces jeunes, ils étaient au foyer du Charmeyran à la Tronche. Au début, je leur ai pro­posé de venir à des ate­liers. Venait qui veut. Il y avait beau­coup de pré­cau­tions, beau­coup de pudeur. La ques­tion de savoir ce qu’ils pour­raient appor­ter à un public s’est posée de manière très détour­née. D’ailleurs, j’ai beau­coup tra­vaillé le silence de ces jeunes, leur soli­tude et leur iso­le­ment. Ce sont des per­sonnes qui se pro­tègent beau­coup. Ils ont fait des décla­ra­tions admi­nis­tra­tives. Ils veulent res­ter ici mais ont peur que ce qu’ils ont dit ou ce qu’ils vont dire soit mal interprété.

Franchir la nuit © Patrick Imbert

Franchir la nuit © Patrick Imbert

Au tra­vers du geste, des atten­tions de soli­da­rité entre eux, j’ai pu tra­vailler avec eux. C’est trou­blant la manière dont ils se sou­tiennent, dont ils se portent les uns les autres. Ce sont des choses que j’ai mises en scène dans des pay­sages d’eau.

Il y a un par­terre d’eau brassé de vagues qui nous situe géo­gra­phi­que­ment en cette endroit de ten­sion du moment qu’est la Méditerranée. C’est dans cette réserve qu’ils pré­sentent que j’ai essayé de trou­ver une élo­quence dans ce qui ne peut pas être dit.

La plu­part d’entre eux sont très éloi­gnés de l’art contem­po­rain, bien entendu, de la culture fran­çaise… Avec Yohann Bourgeois, le codi­rec­teur du CCN2, on essaye d’inscrire l’art là où il n’est pas. Et, par­fois, au tra­vers de l’art, on peut per­mettre à des per­sonnes de se décou­vrir elles-mêmes. Quand je fais des pro­jets de nature par­ti­ci­pa­tive, je constate sou­vent que les gens se découvrent plus grands que ce qu’ils pen­saient être. Je crois que faire œuvre, c’est aussi cela.

Propos recueillis par Adèle Duminy

Infos pra­tiques

MC2 : Grenoble

Franchir la nuit

Chorégraphie Rachid Ouramdane
CCN2 – Centre cho­ré­gra­phique natio­nal de Grenoble
en col­la­bo­ra­tion avec Mehdi Meddaci

Jeudi 8 novembre 19 h 30
Vendredi 9 novembre 20 h 30
Samedi 10 novembre 19 h 30

AD

Auteur

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

A lire aussi sur Place Gre'net

Les travaux de rajeunissement des terrasses du Musée dauphinois. © Joël Kermabon - Place Gre'net
Cure de jou­vence pour les ter­rasses et jar­dins du Musée dauphinois

REPORTAGE VIDÉO - Le Département de l'Isère a investi 1,2 million d'euros dans la cure de rajeunissement de l'aménagement des terrasses et jardins du Musée Lire plus

Une deuxième édition pour le Noy’art Festival qui aura lieu du vendredi 22 au dimanche 24 mars 2024 ! Organisé par les associations CultivArts et Interlude et Cie, ce festival d’arts vivants se tiendra à la salle Poly’Sons de Noyarey. ©Programmation - Noy'art Festival
Spectacles vivants : le Noy’art Festival est de retour à Noyarey pour un week-end entier

ÉVÉNEMENT - Le Noy’art Festival revient pour une deuxième édition du vendredi 22 au dimanche 24 mars 2024. Organisé par les associations CultivArts et Interlude Lire plus

Une réouverture de La Source sous le signe du renouveau ! Après 9 mois de fermeture, le centre culturel de Fontaine réouvre les portes de sa grande salle avec un concert entièrement féminin, jeudi 21 mars 2024. ©Anouk Dimitriou
Fontaine : La Source fait son grand retour jeudi 21 mars, après neuf mois de fermeture

EN BREF - La réouverture de La Source se fait sous le signe du renouveau. Après les neuf mois de fermeture ayant suivi l'incendie de Lire plus

Un festival de films ibériques et latino-américains à Grenoble ? C’est bien le festival Ojoloco qui revient pour sa 12e édition.
Le fes­ti­val Ojoloco met à l’hon­neur le cinéma ibé­rique et latino-amé­ri­cain dans l’ag­glo­mé­ra­tion grenobloise

ÉVÉNEMENT - Un festival de films ibériques et latino-américains Ojoloco revient à Grenoble pour sa 12e édition, du mardi 19 au dimanche 31 mars 2024. Lire plus

Crée en septembre 2023, l’association martinéroise Une Montagne de Jeux veut rendre le monde du jeu de société accessible au plus grand nombre. ©une montagne de jeux
Saint-Martin d’Hères : l’as­so­cia­tion Une Montagne de jeux invite Johannes Goupy à pré­sen­ter son jeu Faraway, lau­réat de l’As d’or 2024

ÉVÈNEMENT - L’association Une Montagne de jeux organise une soirée jeux mardi 19 mars 2024 à 19 h 40 dans la salle mutualisée République à Saint-Martin d’Hères. L’invité Lire plus

Tomorrowland Winter : le col­lec­tif d’op­po­sants pré­voit une mani­fes­ta­tion à l’Alpe d’Huez au pre­mier jour du fes­ti­val 2024

EN BREF - Le collectif Stop Tomorrowland Alpe d'Huez organise une manifestation, samedi 16 mars 2024, à l'Alpe d'Huez, pour le coup d'envoi du festival Lire plus

Flash Info

Les plus lus

Agenda

Je partage !