FOCUS — Première grande exposition de la saison 2018 – 2019 du Musée de Grenoble, Servir les dieux d’Égypte raconte la société thébaine au cours de la Troisième période intermédiaire, soit entre 1069 et 664 avant Jésus-Christ. Une plongée dans un temple où les prêtres se partagent le pouvoir terrestre, et la découverte du rôle important qu’y jouaient les prêtresses et chanteuses d’Amon.
Si le Musée de Grenoble est réputé pour son fond d’art moderne et contemporain, il serait fort dommageable d’oublier qu’il dispose d’une importante collection de pièces issues de l’Égypte antique. Un héritage, au moins moral, de Champollion que le Musée choisit de mettre en avant pour débuter sa saison 2018 – 2019, avec une impressionnante et ambitieuse exposition intitulée « Servir les dieux d’Égypte ».
Pas question pour autant de pratiquer un entre-soi délétère : le Musée de Grenoble s’est au contraire inscrit dans un partenariat avec le Musée du Louvre pour réaliser cette exposition, à travers la personne de Florence Gombert-Meurice, conservatrice en chef du patrimoine des antiquités égyptiennes du Louvre. Sans oublier des prêts émanant du British Museum, de Ägyptisches Museum de Berlin ou encore du Kunsthistorisches Museum de Vienne.
Une Égypte marquée par la division et l’instabilité du pouvoir
C’est cependant bien à partir de la collection du Musée de Grenoble que l’exposition a été conçue. Cela tombe bien : Florence Gombert-Meurice est grenobloise d’origine. « Elle a grandi à l’ombre de ces collections et les connaît sur le bout des doigts. Elle était donc vraiment la mieux désignée, parmi tous les conservateurs du Musée du Louvre, pour travailler sur ce projet ! », se réjouit le directeur du Musée de Grenoble Guy Tosatto.
Point de départ de l’exposition ? Des cercueils de chanteuses et de prêtres d’Amon dans la cité antique de Thèbes, et toutes les questions qu’ils soulèvent. C’est ici la Troisième période intermédiaire qui est concernée : 400 ans d’histoire entre 1069 et 664 avant Jésus-Christ. Une période marquée par une instabilité du pouvoir et une division entre deux Égypte : la Haute-Égypte tenue par les prêtres de Carnac, et la Basse-Égypte sous domination pharaonique.
De la nécropole au temple
C’est ce contexte historique et politique que la première salle de l’exposition entend expliciter, tout en montrant la dispersion des pièces de cette période. « Les grands monuments que vous voyez en Égypte ne sont pas de la Troisième période intermédiaire : elle est dans les musées ! », insiste Florence Gombert-Meurice. D’où la nécessité d’établir des partenariats pour reconstituer des éléments, voire des lignées familiales via des objets éparpillés de par le monde.
Retour aux cercueils dans la deuxième salle de l’exposition, consacrée à la nécropole. Autant de témoignages de la société thébaine de cette époque, autour notamment de l’émergence d’une prêtrise héréditaire.
Il est vrai, comme le raconte la troisième salle consacrée à la vie du temple, que les prêtres occupent alors des positions politiques ou administratives d’importance. Au-delà du lien avec la divinité d’Amon, les prêtres disposent d’un pouvoir parfaitement temporel.
Quant à la dernière salle, elle pose la question des femmes. « C’est très spécifique à la période, il y a une inflation de prêtresses, d’où toutes les chanteuses d’Amon que l’on découvre dans la nécropole », explique Florence Gombert-Meurice.
La conservatrice du Louvre espère, à travers cet élément trop méconnu de l’Histoire, « changer la vision que l’on avait du rôle des femmes à cette période-là », lorsque les chanteuses d’Amon intercédaient auprès de la divinité en faveur de la population.
Une interrogation qui n’a rien d’anodin, note le Musée de Grenoble : « La question ouvre sur les problématiques les plus actuelles de la recherche égyptologique et des missions archéologiques telles que celles menées dans les chapelles osiriennes du temple de Karnak ».
Une collection égyptienne à revisiter
Plongée historique donc, pour laquelle le Musée de Grenoble a du redoubler d’imagination afin de mettre en place une scénographie cohérente. Pièces imposantes (cercueils, morceaux de reliefs) ou objets rituels de petite taille sont mis en valeur au sein d’une atmosphère crépusculaire qui participe à leur solennité et fait d’autant plus ressortir leur charge tant historique que mystique.
Un premier pas en attendant de revisiter totalement la présentation des antiquités égyptiennes du Musée ? C’est le souhait de Guy Tosatto, qui compte là encore sur l’aide scientifique du Louvre pour « tirer le meilleur de ces collections et les rendre plus accessibles au public ». Et la date de 2022 ne doit rien au hasard, puisqu’elle marquera le bicentenaire du déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion.
Alors, le Musée de Grenoble, en passe de devenir une antichambre des antiquités ? Pas vraiment, puisque la deuxième grande exposition de la saison 2018 – 2019 sera, pour sa part, consacrée à la collection d’Antoine de Galbert, savamment constituée ces trente dernières années, en allant piocher parmi les œuvres des artistes contemporains. Mais c’est encore, dans tous les sens du terme, une autre Histoire.
Florent Mathieu