FOCUS – Un rassemblement en mémoire des manifestants algériens massacrés le 17 octobre 1961 à Paris était organisé ce mercredi 17 octobre devant la plaque commémorative de la place Edmond-Arnaud, au cœur du quartier Très-Cloîtres. L’occasion pour les organisateurs de déplorer la résurgence « du poison du racisme et de la xénophobie » en Europe. Tout autant que de redemander à l’État français d’ouvrir ses archives et de reconnaître sa responsabilité dans un certain nombre de massacres coloniaux.
Près de cent cinquante personnes se sont rassemblées ce mercredi 17 octobre place Edmond Arnaud devant la plaque commémorative du massacre de nombreux Algériens lors d’une manifestation pacifique pro FLN, le 17 octobre 1961 à Paris.
Un rassemblement à l’appel du collectif grenoblois 17 octobre 1961 (voir encadré) qui, chaque année, s’attache à maintenir vivante la mémoire de ce tragique événement « pour éclairer le présent ». Notamment à travers une minute de silence et le traditionnel dépôt de gerbes suivi d’un petit défilé sur les quais et du jet de quelques fleurs dans l’Isère. Un geste symbolique « en mémoire de tous les Algériens qui ont été noyés dans la Seine », ce triste jour.
Dans la petite foule, beaucoup de “chibanis”, la mine grave, le vice-consul d’Algérie à Grenoble, des élus dont Éric Piolle, le maire de Grenoble, ainsi que de nombreux représentants d’associations, de syndicats et de la société civile.
« La France doit reconnaître ce crime d’État et ouvrir ses archives »
« Une plaque commémorative en souvenir de ces événements tragiques, très peu de villes l’ont fait en France », souligne d’entrée Mariano Bona, membre du collectif et de l’association Algérie au cœur. « Tous les ans, nous nous rassemblons devant cette plaque pour que ces événements restent en mémoire, pour réclamer que ce crime d’État envers des Algériens soit reconnu et que les archives soient ouvertes pour que les historiens puissent travailler sur cet événement-là », poursuit-il.
Si le devoir de mémoire reste bien sûr important, le militant associatif en est persuadé, l’enjeu se situe également autour du travail sur les jeunes générations. « Pour cela, il faut être capable de regarder le passé et de construire avec la France telle qu’elle est, dans toute sa diversité », déclare Mariano Bona.
« Il y a des pans entiers de la société française qui ont besoin que l’on reconnaisse cette histoire-là », ajoute-t-il d’un ton grave. « Je suis étonné que jusqu’à présent on n’ait pas vraiment mis cartes sur tables par rapport à ce massacre. C’est injuste par rapport à cette génération qui était venue pour enrichir la France », nous confie, amer, Mansouri, qui habite à Grenoble depuis quarante-huit ans. Et qui assure qu’ils sont nombreux à partager son avis dans l’assistance.
« Construire un pont entre les deux rives de la Méditerranée »
Pour autant, pas question de repentance. « Personne ici ne la demande », souligne Mariano Bona. Pour ce dernier, il ne faut pas ressasser le passé au risque d’entretenir l’amertume. « Ce que nous voulons c’est que la vérité puisse être faite car la mémoire ne remplace pas l’histoire. Il s’agit de rendre le travail des historiens possible quand, au nom de la raison d’État, on organise l’oubli », réclame-t-il.
Quid du passé ? « Il doit imprimer le présent et la capacité de le regarder ensemble peut contribuer à construire l’avenir. Dans le respect mutuel, pour construire un pont entre les deux rives de la Méditerranée », se prend à espérer Mariano Bona.
Ce d’autant plus que « le poison du racisme et de la xénophobie » s’instille sournoisement au cœur des démocraties européennes, juge-t-il. « Rendre hommage aux victimes du 17 octobre 1961 c’est une invitation à ne pas céder au climat ambiant, à ne pas se décourager et à croire en l’avenir », conclut Mariano Bona.
« On ne construit rien sur l’oubli et le mensonge »
« Nous n’oublions pas les ordres indignes du préfet Maurice Papon […] ni ces heures tragiques où les valeurs républicaines ont été piétinées […] Les seules armes que les manifestants brandissaient c’était leurs idées et leurs voix », rappelle quant à lui Éric Piolle. Selon lui, « cette cicatrice reste encore ouverte et douloureuse » et il faut désormais « regarder le passé en face, sans détourner les yeux, sans se mentir à nous mêmes. C’est un acte qui nous grandit et plus que cela, c’est une promesse », appuie-t-il.
La promesse ? « Celle que notre communauté se renforce car on ne construit rien sur l’oubli, sur le mensonge, seule la vérité nous tire vers le haut », déclare-t-il solennellement. Éric Piolle l’affirme, « il reste énormément de pas à faire pour que l’ensemble des exactions de la colonisations soient pleinement reconnues et assumées ».
S’agissant de notre histoire « l’heure des tabous est révolue et l’heure de la vérité est venue » , déclare l’édile. Tout particulièrement dans un moment « où beaucoup construisent des barricades autour de nous et que nous voyons un peu partout le regain de la xénophobie et des nationalismes ».
Joël Kermabon
Le collectif 17 octobre 1961 et ses soutiens
Le collectif 17 octobre 1961 regroupe Algérie au Cœur, Amal, l’ANPNPA (Association nationale des Pieds noirs progressiste et de leurs amis), Asali (Association de solidarité des Algériens de l’Isère), ATLLAS (Association tisser les liens d’amitié solidaires), le CIIP (Centre d’Informations Inter-Peuples), CSRA (Collectif de soutien aux réfugiés algériens), Coup de soleil en Rhône-Alpes, le Mouvement de la paix, le Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) et Ras L’Front Isère.
Il a notamment le soutien des syndicats CGT Isère, FSU, Solidaires Isère, des associations ACIP-Asado, l’ADAFL (Association dauphinoise des amitiés franco-libanaises), AFPS (Association France Palestine Solidarité), l’Association iséroise des amis des Kurdes, l’Association des Tunisiens de l’Isère, Attac Isère, le Cercle Bernard Lazare, Cercle Laïque, le CTNE (Collectif contre la traite négrière et l’esclavage), la Ligue des Droits de l’Homme (LDH), Ligue pour la défense des Droits de l’Homme en Iran (LDDHI), LIFPL (Ligue internationale des femmes pour la paix et la liberté) et le Nuestra America.
Et enfin des organisations politiques telles que l’Ades, EELV (Europe Écologie – les Verts), France insoumise, Go citoyenneté, le NRP, le MPA, Lutte ouvrière, le Parti de gauche 38, la Fédération de l’Isère ou encore le Réseau citoyen de Grenoble.