FOCUS – Une nouvelle boutique, la deuxième à Grenoble, vend des produits issus de plants de cannabis contenant de très faibles quantités de THC, la molécule psychoactive de cette drogue “douce”. Depuis que la vente de ces produits est légale, nombreux sont ceux à s’être engouffrés dans la brèche, flairant là une source de revenus potentielle. Un pari risqué alors qu’Agnès Buzyn, ministre de la Santé, affirme vouloir interdire les coffee shops.
« Je vendais des cigarettes électroniques en Suisse où j’ai vu que ça se faisait et que c’était un bon business. J’ai attendu patiemment et, quand les premières boutiques ont fleuri en France, j’ai acheté une franchise à Bestown shop basé à Besançon », retrace Antoine Curto.
Ayant flairé un potentiel filon, ce dernier a ouvert fin mai avec son fils Lucas, une boutique de produits issus du cannabis “légal”. La seconde à Grenoble (cf. encadré).
Coincée entre deux guichets automatiques du Crédit agricole et une sandwicherie situés juste derrière l’arrêt de tramway Hubert Dubedout – Maison du Tourisme, ce magasin propose à la vente des produits issus d’une forme particulière de cannabis très appauvrie en substances psychoactives, suite à un long processus de sélection génétique. Ce en toute légalité puisque ces produits ne contiennent que très peu de THC (tétrahydrocannabinol), la molécule du cannabis qui fait “planer”.
Aucun des produits mis en vente ne se fume
Entendons-nous bien : nous sommes dans cette boutique à des années lumière des fameux coffee shops hollandais. On n’y trouvera pas de quoi “se faire sauter la tête” à coups de “pétards” dopés en THC. D’ailleurs c’est bien simple, aucun des produits en vente ne se fume.
La législation française est très stricte sur ce point, il est absolument interdit d’inciter à fumer. À la place du THC, du CBD ou cannabidiol, une molécule autorisée qui « agit sur le sommeil, les états de stress, la douleur, l’anxiété, les nausées et permettrait même de freiner la croissance de cellules cancéreuses », assure le gérant.
Sous quelles formes est proposé ce cannabis très particulier ? Notamment dans les liquides pour cigarettes électroniques – qui ont été les premiers débouchés grand public de ces produits –, sous forme d’infusions, dans des produits alimentaires, des résines pour la peau ou encore des boissons fraîches. Un créneau en été.
Rien de bien méchant au final… Reste que les différentes variétés de têtes florales séchées disposées dans des coupelles ressemblent à s’y méprendre aux pochons d’herbe, la “beuh”, vendus dans beaucoup des quartiers de la ville par des commerçants… beaucoup moins patentés.
D’où proviennent les différents produits commercialisés ? « Je me fournis principalement en Suisse où cette espèce de cannabis est cultivée.
La clientèle ? « Ce ne sont pas des clients à la recherche de THC “festif” mais au contraire ceux qui veulent arrêter ça, sortir de leur addiction. C’est pour eux un produit de substitution », nous apprend Antoine Curto.
Mais aussi des personnes « qui connaissent déjà le produit l’ayant utilisé comme traitement pour certaines pathologies comme l’épilepsie », indique le gérant.
« Revoir la législation serait contradictoire »
Acheter du cannabis est donc légal en France et ce grâce à un vide juridique, pour ne pas dire une boulette, débusquée par un juriste dans l’article R. 5132 – 86 du Code de santé publique. Un banal oubli, celui d’un simple mot après modification de cet article en 2007, a permis d’ouvrir une – petite – brèche dans la commercialisation de produits extraits du cannabis. À la condition expresse qu’ils contiennent jusqu’à un maximum de 0,2 % de THC.
Une brèche dans laquelle Antoine Curto en bon commerçant, n’a pas hésité, après d’autres, à s’engouffrer bien que le statut de ce type de commerce soit très fragile, il en convient. En effet, réagissant sur les conséquences de cette « zone grise du droit », Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, campée sur ses convictions, est bien déterminée à revoir la législation sur le cannabis médical vendu par certaines enseignes en France, comme c’est le cas pour notre commerçant.
« C’est effectivement un risque que j’ai pris mais je ne vois pas pourquoi on interdirait un produit qui n’est pas reconnu comme une drogue. Une correction de la loi serait tout à fait contradictoire », explique Antoine Curtio. De surcroît, l’avenir pourrait encore un peu plus s’assombrir avec le syndicat des buralistes qui revendique le monopole des ventes de CBD en France estimant disposer du réseau le plus apte à en assurer la distribution.
Le commerçant reste toutefois confiant, au point qu’il envisage d’ouvrir deux autres boutiques à Annecy et Chambery. Avec de juteuses affaires en perspective ? De fait, les prix affichés ne sont pas pour toutes les bourses : quarante euros pour un gramme de CBD pur et près de vingt euros pour un paquet de sachets de tisane… De quoi y réfléchir à deux fois avant de mettre la main à la poche.
Joël Kermabon
Un premier magasin occupe déjà le créneau à Grenoble depuis deux ans
La boutique d’Antoine Curtio n’est pas la seule à proposer du cannabis avec moins de 0,2 % de THC à Grenoble. En effet, un premier magasin – un maillon de la chaîne Foxseed bien implantée en France avec une vingtaine d’établissements – a ouvert au numéro 3 de l’avenue du Général Champon il y a de cela deux ans. « Nous vendons divers produits concentrés au cannabidiol (CBD) et “cannabis light” dont la presse parle beaucoup en ce moment. Nous avons aussi élargi notre offre avec du streetwear et des accessoires fumeurs », nous indique l’équipe Foxseed de Grenoble.