TRIBUNE LIBRE – Après l’annulation en mai 2018 du processus de votation citoyenne par le tribunal administratif, le conseiller municipal Paul Bron critique le maire Eric Piolle qui, selon lui, a voulu aller « trop loin et trop vite ». L’ancien adjoint à l’éducation expose sa conception de la démocratie locale, intégrant les classes sociales les moins favorisées et faisant appel aux outils légaux existants.
C’est certain, la démocratie locale ne peut pas se contenter d’une élection municipale tous les six ans.
À Grenoble, le tribunal administratif a annulé en mai 2018, le processus de votation citoyenne. On s’y attendait : droit de vote des jeunes de plus de 16 ans et des étrangers non communautaires, accès au conseil municipal avec une pétition de 2 000 signatures… la loi ne le permet pas.
Il est indispensable d’expérimenter et de tenter de bouger les lignes… quitte à être retoqué, et en cela, malgré toutes ses imperfections, la votation citoyenne constituait une avancée démocratique certaine.
Cependant, il faut aussi savoir prendre les précautions nécessaires, non seulement avec la loi mais aussi, et cela est primordial, dans le respect des citoyens qui collaborent, participent et croient à ces propositions. Sur ce point l’équipe d’Eric Piolle a voulu aller trop loin et trop vite.
« Cette démocratie participative est perçue comme un exercice de communication »
Pourtant, la virulence des critiques liées à cette « démocratie à la grenobloise » porte, à mon avis, moins sur ce processus plutôt expérimental et mal préparé (la votation validée à partir de 20 000 voix en est un exemple repoussoir) mais plus globalement sur la propension de la majorité municipale à avancer, de façon péremptoire et démesurée, un principe de co-construction dont les contours sont mal définis, avec des élus peu préparés et des habitants qui haussent légitimement le niveau de leurs exigences.
L’espérance que le mot a soulevée est à la hauteur des frustrations qu’il a engendrées. Cette démocratie participative est perçue encore comme un exercice de communication, dans lequel l’enjeu réel est bien plus de signifier l’intention de faire participer, plutôt que de faire participer réellement.
Un nouveau projet municipal devra savoir contourner ce nouvel handicap. Nous prendrons le temps nécessaire et collectivement, pour redéfinir le cadre, les moyens, le calendrier, la formation, le collège électoral et le lien avec le conseil municipal… et nos députés doivent ré-agir.
Mais mon propos n’est pas seulement là.
Je fais l’hypothèse que si les expériences de démocratie locale se multiplient sans intégrer plus de diversité, comme à Grenoble, elles vont creuser encore plus les inégalités et laisser de côté toute une frange de la population.
Ce sont généralement toujours les mêmes catégories sociales qui s’impliquent. De sorte que les dispositifs de participations contribuent, non pas à amoindrir, mais à reproduire les inégalités existantes. D’une certaine façon, l’expérience nous montre que les projets issus des budgets participatifs, pourtant nécessaires, ne sont pas à l’abri de ce risque si l’on ne se donne pas des moyens volontaristes pour y remédier.
Les élections sont marquées par la défiance des citoyens dans le personnel politique, par le taux historique de l’abstention et par la forte percée de la radicalisation. Le risque est grand de perpétuer une citoyenneté à deux vitesses.
Comment tenter de contourner cette « nouvelle forme de l’entre-soi démocratique » ?
Quelques pistes.
Tout d’abord : savoir utiliser les outils légaux existants.
Si la loi ne laisse pas de vraies marges de manœuvre, elle permet aux collectivités territoriales d’organiser un référendum local. Dans ce cas, le projet est adopté si la moitié au moins des électeurs inscrits a pris part au scrutin et s’il réunit la majorité des suffrages exprimés. Si cette dernière condition est remplie, le référendum vaut décision que la collectivité locale organisatrice doit juridiquement suivre.
Bien sûr, à la différence de la votation citoyenne, la consultation a lieu à l’initiative de l’administration et non des citoyens, mais elle peut permettre d’élargir la participation du corps électoral local. Un référendum local à Grenoble sur le plan municipal d’austérité, la fermeture des bibliothèques, le processus de concertation, les politiques de déplacement (vélo/voiture, gratuité des transports publics)… n’aurait pas manqué de sel et démontré une forte volonté politique de la municipalité.
Réinterroger la posture de l’élu local. Il ne peut pas y avoir de participation si l’élu (de secteur par exemple) sait déjà ce qu’il faudra faire pour l’intérêt général des habitants du quartier. Le cas de la démolition du 20 Galerie de l’Arlequin est intéressant à ce sujet. Concertation, débat, non-consensus. Mais comment dépasser alors, l’excès d’influence de l’élu (et des services) sur la décision ? Une piste : intégrer un « pouvoir neutre », un tiers-acteur, garant du bon déroulement des opérations de participation. Ce qui ne présagera pas de la décision. En effet, un transfert de souveraineté à des structures participatives pose un problème que personne n’est aujourd’hui en mesure de régler : celui de la responsabilité politique.
Inventer des formules qui intègrent les classes sociales les moins favorisées, et celles pour qui la culture de la parole publique et de l’écrit n’est pas prioritaire. Celles qui sont rarement représentées au sein d’un conseil municipal. Des formules en termes de méthode, de pédagogie, de discours, de pratiques adaptées, de moyens spécifiques.
Pour créer cette « fourmilière démocratique », il sera nécessaire de se faire aider par des groupes qui ont l’expérience de la médiation et de l’accompagnement. Je pense à ATD Quart Monde qui a développé une démarche de « croisement des savoirs » qui repose sur l’idée selon laquelle les responsables politico-administratifs ont autant à apprendre des personnes en situation de précarité que l’inverse, à Alliance citoyenne, un réseau de gens qui se mobilisent contre les injustices, à la Régie de Quartier à la Villeneuve, à Cap Berriat avec les jeunes, à Pas sans nous, une coordination des quartiers populaires, à la Cisem pour les migrants…
Mais aussi à bien d’autres associations de quartier qui sont dans la proximité et dont les formes de coopération sont à inventer. Cela demande toutefois du temps, une forte volonté politique et ne s’est expérimenté jusqu’à présent qu’à de très petites échelles. Prévoir de même des services levant les freins à la participation : garde d’enfants, transports remboursés…
Le tirage au sort est intéressant s’il se concentre sur un seul sujet et sur un temps court. Les “ateliers de projets” programmés récemment à Grenoble restent à être expérimentés… Mais le meilleur impact de la participation résidera dans la réalité ou non de pouvoir influencer une décision qui touche directement les gens concernés.
Pour ma part, je m’investirai dans cet enjeu en 2020, avec celles et ceux qui en feront une priorité. Si l’on ne réussit pas cette mobilisation, on risque de perpétuer, encore une fois dans ce domaine, une société à deux vitesses.
Paul BRON, conseiller municipal à Grenoble, « GO Citoyenneté »
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