FOCUS – Après deux ans de travail, l’association Théâtre ensemble s’apprête à livrer des représentations “feuilletonnées” et une intégrale du Soulier de satin de Paul Claudel, pièce magistrale et réputée injouable. Au total, 80 comédiens ont travaillé sur le texte et joueront à la MC2, à l’Hexagone, à l’Amphidice et au Théâtre municipal de Grenoble… avant de conclure l’aventure à deux pas de la tombe de l’auteur en personne.
Des dizaines de personnages, une durée de onze heures environ, Le Soulier de satin de Paul Claudel est tout sauf une pièce de théâtre “facile” et compte même parmi ces œuvres réputées injouables. Alors, le Soulier est-il interdit aux amateurs ? L’association Théâtre ensemble compte bien démontrer le contraire, et relève le défi à l’occasion de plusieurs représentations “feuilletonnées”… et d’une représentation intégrale.
Pourquoi, pour paraphraser Molière, se lancer dans une telle galère ? Les raisons sont multiples. L’envie, d’abord, de remettre Claudel sur le devant de la scène, un dramaturge et poète d’importance toutefois souvent « qualifié d’auteur réactionnaire, pour ne pas dire catholique intégriste », regrette Bertrand Petit. « Mais quand on regarde son œuvre, il dit des choses assez provocantes sur le monde, la société, la religion », ajoute le président de Théâtre ensemble.
Une approche exigeante du théâtre amateur
Une “réhabilitation” de Claudel, si tant est qu’il en ait besoin, à laquelle s’ajoute l’envie de se démarquer des productions du moment. « Nous ne voulions pas prendre un projet participatif qui parle des problèmes d’aujourd’hui comme le travail, les migrants, même si ce sont des sujets fondamentaux », explique encore Bertrand Petit. Mais attention, prévient-il : « Dans les questions universelles posées dans ce texte, on retrouve des éléments des problématiques d’aujourd’hui ! »
Théâtre ensemble assume totalement le côté “défi” que représente de monter sur les planches avec un texte aussi long et foisonnant. Mais l’association n’était pas seule pour le relever, bien au contraire. Le texte de Claudel est divisé en quatre « journées », et chacune des journées a bénéficié du travail de metteurs en scène professionnels, depuis le grenoblois Thierry Mennessier à Nadia Vondeheyden, en passant par la stéphanoise Kathleen Dol du Collectif X ou plusieurs comédiens et comédiennes des Tréteaux de France.
Car si l’association Théâtre ensemble prône et veut défendre le statut d’amateur, elle n’en veut pas moins proposer à ses membres une réelle expérience, proche de la « formation ». Un terme que Bertrand Petit rechigne toutefois à employer.
En face, l’investissement n’est pas anodin : 80 comédiens amateurs, âgés de 15 à 75 ans, ont consacré pendant deux ans de nombreux week-ends et des congés pour répéter et appréhender une intrigue et un texte aussi beaux que complexes.
Une intégrale d’une dizaine d’heures… à deux pas de la tombe de Paul Claudel
La consécration ? Les aventuriers du Soulier joueront dans des lieux prestigieux. À commencer par une représentation de la première journée à la MC2 le dimanche 3 juin à 18 heures, puis de la deuxième journée le samedi 9 juin à l’Hexagone de Meylan. Les troisième et quatrième journées auront, elles, droit à deux représentations chacune : respectivement à l’Amphidice les 15 et 16 juin, et au Théâtre municipal de Grenoble les 22 et 23 juin.
Sans oublier une représentation intégrale des quatre journées du Soulier de Satin le dimanche 1er juillet. Un moment intense à plus d’un titre : la représentation aura lieu de 11 heures du matin à minuit, au sein du Parc du domaine de Paul Claudel de Brangues (Nord-Isère), soit près de la tombe du poète… et ceci l’année célébrant les 150 ans de sa naissance.
Faire entendre la langue de Claudel au plus grand nombre
Bertrand Petit espère à présent que le public sera au rendez-vous. « Nous voudrions que, dans la population, on sache le travail que nous avons engagé depuis deux ans, parce que c’est une aventure singulière et qu’elle a du sens ! », s’enthousiasme-t-il. Tout en prévenant : « L’objectif n’est pas de présenter le nec plus ultra du spectacle. Il sera à notre mesure, avec les moyens que nous avons. »
Une ode à Claudel autant qu’au théâtre amateur en somme, pour célébrer une œuvre puissante par son ampleur, avec l’envie de faire entendre aux spectateurs la langue sans doute trop oubliée d’un auteur incontournable en son temps.
Des esprits chagrins auraient pu penser que la taille du défi allait avoir raison de la motivation des comédiens. Il n’en fut rien. Preuve, comme l’écrit Claudel lui-même en sous-titre de son Soulier de satin que « le pire n’est pas toujours sûr ».