FIL INFO – Pour la première fois, un consortium franco-suisse de physiciens – dont des scientifiques de l’Université Grenoble-Alpes, du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives et du Centre national de la recherche scientifique de Grenoble – ont confirmé une théorie sur les transitions de phase topologiques. Autrement dit, dans certains cas, le mystérieux passage de la matière d’un état physique à un autre. Cette découverte majeure a été publiée dans la revue Nature Physics, le 7 mai 2018.
Nous connaissons tous les transitions de phase « classiques » de la matière, comme lorsque l’eau liquide devient gelée en refroidissant ou gazeuse en chauffant. Mais on connaît moins les changements d’état plus « exotiques » de certains matériaux, appelés transitions de phase topologiques.
Ces transformations, qui échappent à l’explication par des modèles simples faisant intervenir un atome ou un électron à la fois, requièrent une prise en compte des effets « collectifs » d’un grand nombre d’électrons en interaction constante.
Des hypothèses exceptionnellement validées grâce à des expériences
Dans ce domaine, les théories qui s’appuient sur les lois de la physique quantique foisonnent et restent souvent à l’état d’hypothèses, tant il est vrai que les expériences les vérifiant s’avèrent rares.
D’où le caractère remarquable des travaux des chercheurs franco-suisses des universités Grenoble-Alpes (UGA) et de Genève (Unige), du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et des Centres nationaux de la recherche scientifique (CNRS) de Grenoble et Saclay. Ce, en collaboration avec des scientifiques des centres de neutronique de l’Institut grenoblois Laue-Langevin (ILL) et de l’Institut suisse Paul Scherrer (PSI).
Publiés dans la revue Nature Physics, le 7 mai 2018, leurs expériences valident une théorie sur les transitions de phase topologiques, domaine de recherche initié par les prix Nobel de physique 2016, David Thouless, Duncan Haldane et Michael Kosterlitz.
Bacovo, un matériau modèle pour vérifier les transitions de phases topologiques
Cette théorie, quelle est-elle ? Elle prédit qu’un jeu d’excitations topologiques dans un matériau quantique est susceptible d’induire une transition de phase. Qu’entendent les scientifiques par excitations topologiques ? « Des défauts dans la matière que l’on ne peut pas éliminer par une déformation continue de l’espace », explique Virginie Simonet, chercheur du CNRS à l’institut Néel de Grenoble. Et de préciser : « comme par exemple, une rangée d’atomes qui a disparu dans le matériau ».
Les scientifiques grenoblois n’étaient pourtant pas partis pour valider cette théorie. Ils exploraient les propriétés d’un matériau anti-ferromagnétique inconnu du grand public, du nom de Bacovo (BaCo2V208), quand ils ont observé une transition de phase mystérieuse.
Pour comprendre comment fonctionnent les propriétés quantiques de Bacovo, notamment ses excitations topologiques, les scientifiques grenoblois ont alors fait appel à l’équipe de théoriciens de Thierry Giamarchi, professeur au département de physique de la matière quantique de la faculté des sciences de l’Unige, membre de l’Académie des sciences de l’Institut de France.
« Nous nous rapprochons d’applications des propriétés quantiques des matériaux »
Le consortium franco-suisse a ainsi pu démontrer que la transition de phase topologique de Bacovo,
n’était pas gouvernée par un seul, mais par deux types d’excitations topologiques en compétition. Une satisfaction immense pour ces scientifiques qui ont réussi à transformer une hypothèse théorique en expérience vérifiée.
Mieux encore, les physiciens sont parvenus à sélectionner quel type d’excitations dominerait l’autre grâce à l’application d’un champ magnétique intense. De quoi leur permettre de contrôler le jeu qui l’emporte et régler ainsi à loisir l’état de la matière de Bacovo. Une première !
« Ces résultats ouvrent tout un champ de possibles dans la recherche de la physique quantique, se réjouit Thierry Giamarchi. Certes, nous en sommes encore au niveau fondamental, mais c’est par ce genre de découvertes que chaque jour nous nous rapprochons d’applications des propriétés quantiques des matériaux, et pourquoi pas de l’ordinateur quantique ! », se prend-il encore à rêver.
Véronique Magnin