EN BREF – Après le rapport Duron préconisant de repousser à plus tard la seconde phase de la ligne ferroviaire Lyon-Turin, l’Italie laisse à son tour planer le doute. Le contrat de gouvernement signé entre le M5S et la Ligue prévoit de rediscuter intégralement le projet. Au risque de faire dérailler l’accord transalpin ?
Alors qu’en France pro et anti-Lyon-Turin s’affrontent à coups d’arguments et que le rapport Duron a repoussé à plus tard la question des accès, le nouveau gouvernement italien n’est pas complètement convaincu par la ligne ferroviaire transalpine.
Le contrat publié vendredi 18 mai, fruit d’un accord entre le M5S (parti populiste) et la Ligue (extrême droite) pour former le nouveau gouvernement, laisse planer le doute de l’autre côté des Alpes.
« Concernant la ligne à grande vitesse Turin-Lyon, est-il précisé en page 50, nous nous engageons à rediscuter intégralement le projet en application de l’accord entre l’Italie et la France ». Marche arrière toute ? En fait, initialement, dans une première version du contrat, les deux partis avaient proposé d’arrêter les travaux, le M5S s’étant toujours prononcé contre ce projet jugé « inutile ». Dans la version définitive, le « non » est devenu « on en rediscutera », la Ligue refusant d’endosser la casquette du fossoyeur des projets en cours.
En France, priorité absolue est donnée… à l’entretien du réseau routier
On en est là. Bref, si le débat est loin d’être clos, il semble urgent d’attendre. C’était déjà la position en France du conseil d’orientation des infrastructures (COI). En février dernier, dans son rapport, ce groupe de parlementaires, d’élus locaux et d’experts missionné par le gouvernement préconisait de reporter à après 2038 la seconde phase du Lyon-Turin. Préconisation qui a conduit, début mai, les députés de la majorité présidentielle de Savoie à se fendre d’une lettre ouverte à Emmanuel Macron. Les élus savoyards y réclament une « livraison coordonnée du tunnel transfrontalier et de ses accès français en 2030 ».
C’est mal engagé. Alors que la présentation de la future loi d’orientation sur les mobilités est annoncée avant l’été*, la ministre des Transports Élisabeth Borne a confirmé le 15 mai dernier devant le Sénat la priorité absolue d’augmenter les moyens consacrés à l’entretien du réseau routier dont l’état est devenu préoccupant, souligne la Caisse des dépôts et consignations.
L’enveloppe budgétaire consacrée à l’entretien et la modernisation du réseau routier pourrait s’élever à un milliard d’euros. Le ferroviaire serait-il donc sur une voie de garage ? Le Lyon-Turin ne semble en tout cas pas être, financièrement parlant, la priorité du gouvernement.
Le 4 décembre 2017, la commission d’accès aux documents administratifs (Cada) s’était, dans un avis, appuyé sur une réponse de la ministre affirmant que « les engagements financiers de l’État correspondant aux travaux définitifs de la section transfrontalière n’avaient pas été engagés ». Auquel cas, impossible de lancer les marchés de travaux ?
L’Europe, prudente après s’être engagée jusqu’en 2020
Sollicités à plusieurs reprises à ce sujet, les services de la ministre n’ont jamais répondu à nos demandes. La France doit pourtant abonder à hauteur de 25 % du tunnel, l’Italie de 35 % et l’Europe de 40 %. Un montage financier fragile. En effet, si la Commission européenne s’est engagée, c’est seulement sur la période 2014 – 2020.
« Il est actuellement impossible de préjuger du soutien financier post-2020 car les États membres doivent encore s’accorder sur les perspectives financières de l’UE pour 2020 – 2026, nous avait répondu Bruxelles. À ce stade, nous n’avons donc pas de visibilité sur notre budget transport à long terme. En outre, un financement futur dépendra aussi des progrès déjà faits, en particulier dans le cadre de l’actuelle subvention… »
L’Europe a accepté de financer 813 millions d’euros sur les 1,9 milliard du projet d’ici fin 2019. Une contribution financière maximum, l’Union européenne ne soutenant financièrement que les activités réellement réalisées selon le principe du « use it or lose it ».
« Ni la France, ni l’Italie, ni l’Europe ne peuvent afficher les disponibilités des financements du tunnel transfrontalier et encore moins celles des accès au tunnel, pointe Daniel Ibanez, un des principaux opposants au projet. Ceux qui prétendent le contraire doivent en apporter la preuve ».
Reste que le gouvernement, via le ministère de la Transition écologique et solidaire et non le ministère des Transports, s’est un minimum engagé sur la question début mai. En signant avec l’Agence de financement des infrastructures de transport de France et Telt, le promoteur de la section transfrontalière, la convention relative à la réalisation et au financement des travaux définitifs de la construction des ouvrages de la partie commune franco-italienne**.
Patricia Cerinsek avec Giovanna Crippa
- Plus vraisemblablement fin 2018, voire début 2019. Article mis à jour le 24 mai 2018.
** Article mis à jour le 24 mai 2018 avec la précision de la signature de cette convention.