FOCUS – Avec les révisions et les partiels, la tension retombe d’un cran sur le campus de Saint-Martin-d’Hères. Mais les étudiants qui s’opposent au Plan universités du gouvernement comptent toujours mener des actions de blocage, en ciblant les unités de formation et de recherche (UFR) qui refusent des aménagements de partiels. Tandis que la guerre des nerfs entre bloqueurs et anti-blocages perdure…
« Nous sommes sur un changement de modèle au sein du mouvement », explique Joris Rouillon. Si le président du syndicat étudiant Unef Grenoble refuse de parler de « détente », force est de constater qu’avec les révisions et les partiels, les étudiants mobilisés contre le Plan universités du gouvernement peinent à tenir le rythme des blocages de ces dernières semaines – avec parfois des interventions policières musclées à la clé – sur le campus de Saint-Martin-d’Hères.
Pour autant, les manifestants comptent bien continuer à porter leurs revendications, notamment sur l’aménagement des partiels, quitte à tenter d’empêcher de nouveau la tenue d’examens. « Ont été décidées des actions plus ponctuelles sur certaines épreuves, pour continuer à mettre la pression sur les UFR [unités de formation et de recherche, ndlr] qui refusent les aménagements », prévient Joris Rouillon.
Certaines UFR en ligne de mire des bloqueurs
Jean-Loup de Saint-Phalle, du syndicat Solidaires étudiants, confirme. « On va essayer de prioriser les blocages dans toutes les UFR qui n’appliquent pas d’aménagement… et surtout celles qui nous envoient la police ! », précise le syndicaliste. En ligne de mire ? Le Département de la Licence sciences et technologies (DLST), accusé de refuser tout dialogue avec les militants et de « préférer la manière forte ».
D’autres départements de l’Université Grenoble-Alpes (UGA), tels Stendhal ou l’UFR Sciences de l’Homme et de la société pourraient être concernés. Mais pas l’Arsh (Arts et sciences humaines), qui a accepté le principe d’aménagement des partiels. Techniquement, les étudiants pourront retirer leur sujet le matin et auront cinq heures pour mener leur examen sans surveillance, seuls ou en groupe selon leur préférence.
« Il y a moyen de réfléchir à des systèmes alternatifs », juge ainsi Jean-Loup de Saint-Phalle. Qui concède que les aménagements doivent se discuter en fonction des disciplines, le contrôle des connaissances n’étant pas le même pour une dissertation en sciences humaines que pour un examen portant sur les sciences dures. Cependant, le militant l’affirme, de telles dispositions permettraient de préserver l’égalité des chances sans nuire à la qualité du diplôme obtenu.
L’attitude du président de l’université amèrement critiquée
Une autre revendication demeure d’actualité : après les opérations policières menées sur le campus, les militants demandent la démission du président de l’UGA Patrick Lévy. « Dans les faits, la démission a probablement peu de chance d’advenir, mais c’est aussi un symbole pour montrer que la colère est réelle et que l’on ne traite pas les gens comme ça », juge-t-on côté Solidaires étudiants.
Jean-Loup de Saint-Phalle ne retient pas ses coups : « L’UGA, qui se présentait comme une université en avance, progressiste et ouverte au dialogue sous plein d’aspects, montre un visage plutôt réactionnaire. » Et le syndicaliste de regretter la présidence de Lise Dumasy. « Elle a une vision politique qui ressemble à celle de Patrick Lévy, mais je pense qu’elle n’aurait jamais envoyé la police sur le campus pour débloquer un bâtiment ! », considère-t-il.
Guerre des nerfs entre bloqueurs et anti-blocages
Les blocages n’irritent pas que la présidence de l’UGA… ou les CRS chargés de les réprimer. Des groupes opposés au blocage se sont créés et fédérés via les réseaux sociaux, notamment Résistance UGA et Contre les blocages à l’UGA. Ce dernier s’amuse même à détourner l’acronyme anarchiste Acab*, le transformant en Alliance des comités anti-blocages.
Les militants du campus décrivent des « groupes fascisants » et redoutaient même, dans la nuit du dimanche 13 au lundi 14 mai, une action « armée » contre le Centre de langue vivante (CLV), toujours occupé. Une crainte qui avait donné lieu à une mobilisation qui, selon Joris Rouillon, a dissuadé le groupe de finalement passer à l’acte. « On savait de source sûre qu’il y avait une volonté de venir en découdre, et on a réussi à éviter ce genre d’événement », assure-t-il.
Côté Solidaires étudiants, Jean-Loup de Saint-Phalle évoque plutôt une sorte de guerre des nerfs, à travers des « fausses alertes lancées par des personnes mal intentionnées » dans le but d’épuiser les bloqueurs. Une « stratégie de déstabilisation » qui n’en demeure pas moins des attaques réelles, juge le syndicaliste. Non sans ironiser sur le manque d’organisation de ces groupes qui n’auraient pas une culture militante suffisante pour mener des actions concrètes.
La violence « du côté des bloqueurs », juge un opposant aux blocages
Des opposants au blocage « fascisants » ? « Pas du tout, nous ne sommes pas ce genre de groupuscules ! », rétorque Bastien, étudiant en chimie. Ce membre des groupes anti-blocages décrit des étudiants venant de « différents horizons et de différentes filières », qui partagent le même « ras-le-bol général des blocages » et se sont organisés sur Facebook pour « embêter les bloqueurs ».
Le jeune homme ne nie pas, en revanche, le recours à la guerre des nerfs. « Eux nous usent en bloquant nos facs et en nous empêchant d’aller en cours, alors nous avons organisé une opération fantôme pour voir comment ils réagiraient », détaille-t-il. Résultat ? « Ils ont mobilisé du monde pour se préparer à un affrontement, alors qu’on ne veut pas la violence et qu’on ne veut pas que ça dégénère. »
Et Bastien de raconter une version des faits bien différentes de celle de ses “adversaires”, revenant notamment sur les heurts entre pro et anti-blocages dans la nuit du mercredi 9 au jeudi 10 mai. « Nous sommes arrivés les mains dans les poches et eux s’étaient préparés comme à la guerre », dénonce-t-il. Pétards, lacrymogènes, coups de bâtons, jets de bouteilles de verre… « On a montré que la violence était de leur côté ! »
Une reprise du mouvement dès le 1er octobre ?
Les anti-bloqueurs ont-ils des arrières-pensées politiques ? « Personnellement, je suis pour cette loi, reconnaît Bastien. Par contre, manifester, montrer son mécontentement, c’est un droit. Mais on peut s’exprimer sans entraver la liberté de l’autre. » Pour l’étudiant, le vrai problème est bel et bien le blocage des partiels, pour lesquels il s’oppose à tout aménagement. « Ça décrédibilise notre diplôme. On va entrer dans le monde du travail, et on va nous dire que notre examen ne vaut rien… », redoute-t-il.
Des considérations qui n’entament pas la volonté des militants opposés au projet du gouvernement. Leur intention ? Lancer un référendum à la mi-octobre pour inviter les étudiants et le personnel à se prononcer sur la loi tant décriée. Une initiative grenobloise que les étudiants mobilisés espèrent voir se propager sur d’autres campus. Par anticipation, les syndicats se sont déjà donnés rendez-vous le 1er octobre pour une assemblée générale de rentrée. Et de nouvelles actions de blocage ?
Florent Mathieu
* Pour « All cops are bastards » (« Tous les flics sont des salauds »)