FOCUS – Dans le collimateur de la Commission européenne depuis une dizaine d’années pour non-respect des seuils de la qualité de l’air, la France est déférée devant la Cour de justice de l’Union européenne. À Grenoble, ville qui fait partie des douze zones concernées par les dépassements au dioxyde d’azote, une condamnation de la France pourrait bien ouvrir la porte à des actions en justice pour mise en danger de la vie d’autrui. Dans le viseur ? L’opération de piétonnisation Cœurs de ville, cœurs de métropole.
La France est déférée devant la Cour de justice de l’Union européenne pour non-respect des seuils réglementaires de dioxyde d’azote concernant la qualité de l’air, a annoncé la Commission européenne ce jeudi 17 mai.
Après plusieurs années d’avertissements et de mises en demeure, Bruxelles saisit donc la justice, en raison du « dépassement des valeurs limites de qualité de l’air fixées et manquement à l’obligation de prendre des mesures appropriées pour écourter le plus possible les périodes de dépassement ». De fait, Paris avait jusqu’à 2010 pour se conformer à la législation européenne en vigueur.
La décision de la Commission européenne était attendue depuis plusieurs mois. Annoncée pour fin mars, elle avait été reportée au mois d’avril puis au mois de mai alors que les États membres dans le collimateur* étaient sommés de rendre une feuille de route susceptible de convaincre Bruxelles. Le 13 avril à Grenoble, Nicolas Hulot avait à cette occasion fait l’éloge des actions mises en place dans l’agglomération grenobloise.
Des avertissements et mises en demeure restés dix ans sans effet
Mais visiblement, la feuille de route tracée par le préfet de l’Isère n’a pas convaincu Bruxelles. Comme elle n’avait guère convaincu les élus, de la Ville de Grenoble et ceux de la Métropole, face à ce qui ressemblait davantage à un empilement de mesures à l’efficacité pas prouvée.
Après la Pologne et la Bulgarie, condamnées par la Cour de justice, la France et cinq autres États membres de l’Union européenne sont sur la sellette. La sentence de la Commission européenne est sans appel.
« Les États membres qui sont aujourd’hui renvoyés devant la Cour se sont vu accorder suffisamment de « dernières chances » d’améliorer la situation au cours des dix dernières années, a souligné Karmenu Vella, commissaire chargé de l’environnement. Je suis convaincu que la décision d’aujourd’hui se traduira par des améliorations pour les citoyens dans un laps de temps beaucoup plus court. Mais une action en justice seule ne résoudra pas le problème. C’est pourquoi nous insistons sur l’aide concrète que la Commission peut apporter aux autorités nationales pour soutenir les efforts déployés en vue d’améliorer la qualité de l’air dans les villes européennes. »
Les constructeurs automobiles mis à l’amende par Bruxelles
Début mai, plusieurs villes, dont Paris, tentaient de tirer leurs dernières cartouches en attaquant à leur tour la Commission européenne en justice, reprochant à Bruxelles d’avoir cédé aux lobbies automobiles. Une ultime salve qui a conduit la commissaire européenne pour le marché intérieur, l’industrie, l’entrepreneuriat et les PME à lever le ton.
« Nous ne pourrons lutter efficacement contre la pollution atmosphérique urbaine que si le secteur automobile y met du sien, a souligné Elżbieta Bieńkowska. Les véhicules à émission zéro sont l’avenir mais, en attendant, la législation sur les émissions doit impérativement être respectée. Les constructeurs qui continuent d’enfreindre la loi devront assumer les conséquences de leurs actes. »
Déferée devant la Cour de justice, Paris risque une amende de 11 millions d’euros. Sans compter les astreintes journalières, au moins 240 000 euros par jour, jusqu’à ce que les normes soient respectées. Avec le risque aussi de condamnations en chaîne. Une condamnation par la Cour de justice pourrait en effet être la porte ouverte à des procédures au pénal.
Le Gam prêt à saisir la balle au bond à Grenoble
Or Grenoble est l’une des douze zones en France concernées par les dépassements réguliers de dioxyde d’azote. Et les mesures mises en œuvre ces derniers mois dans la capitale du Dauphiné – pastille Crit’air, prime air-bois, zone à circulation restreinte et opération de piétonnisation – sont aujourd’hui encore bien en peine de présenter des résultats probants et suffisants.
La vignette automobile n’a pas (encore ?) eu l’effet escompté, pas plus que le dispositif d’aides pour renouveler les appareils de chauffage au bois, que beaucoup trouvent très limité.
Quant à l’opération controversée Cœurs de ville, cœurs de métropole (CVCM), qui devait contribuer à faire baisser les niveaux de pollution dans le cœur du centre-ville, on ne connaît pas encore ses résultats, la campagne de mesures officielle ayant été seulement lancée en janvier dernier… En attendant, Atmo, l’organisme chargé de mesurer la qualité de l’air a juste relevé une « coïncidence » entre la mise en œuvre de CVCM et la reprise à la hausse de la pollution.
Pour certains, il n’en faudra pas plus pour pousser davantage la porte entrouverte par Bruxelles. Après avoir lancé une campagne de dépôt de plaintes contre X pour mise en danger de la vie d’autrui, le groupe d’analyse métropolitain (Gam), qui ferraille depuis deux ans contre CVCM, entend faire de même sitôt la condamnation de la France prononcée. En visant cette fois les promoteurs de l’opération de piétonnisation, élus de la ville et de la Métro en tête.
Patricia Cerinsek
* La Commission européenne a saisi la Cour de recours contre l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni pour non-respect des valeurs limites fixées pour le dioxyde d’azote (NO2). La Hongrie, l’Italie et la Roumanie font l’objet de recours à cause de concentrations élevées persistantes de particules (PM10). Les limites fixées par la législation de l’Union sur la qualité de l’air ambiant (directive 2008/50/CE) pour ces deux polluants devaient être respectées respectivement en 2010 et en 2005.