FOCUS – Cherchant à attirer de nouvelles recrues, l’imprimerie Deux-Ponts a organisé une visite de ses locaux en présence de Jean-Charles Colas-Roy, député LREM de l’Isère, Pierre Streiff, président du Medef Isère, et Jérôme Lopez, président de la Confédération des PME de l’Isère. Le dirigeant a insisté sur les dangers pesant sur les métiers de l’imprimerie alors que les formations dans ce domaine disparaissent.
La réputation des Deux-Ponts dans le haut de gamme n’est plus à faire. Non seulement elle collabore avec des marques de luxe comme Vuitton, Dior et Saint-Laurent mais la marque américaine Supreme utilise ses services pour mettre en avant ses produits dans des catalogues.
Tout n’a pourtant pas été toujours rose pour la manufacture d’histoires iséroise. L’entreprise a même connu des difficultés financières telles qu’elle a divisé par deux son chiffre d’affaires. Malgré cela et en dépit de la forte concurrence italienne, l’imprimerie a décidé de garder son ancrage dans le département.
Ayant du mal à trouver des apprentis formés pour les nombreux métiers spécifiques de l’imprimerie, Deux-Ponts a décidé de communiquer et de mettre en avant ses atouts. La direction a ainsi reçu dans ses locaux ce lundi 14 mai, à Bresson, Jean-Charles Colas-Roy, député LREM de l’Isère, Pierre Streiff, président du Medef Isère, et Jérôme Lopez, président de la Confédération des PME de l’Isère.
Une entreprise familiale et labellisée
André Caillat, le grand-père de l’actuel dirigeant a fondé l’entreprise en 1935 lorsqu’il avait 23 ans. Nous en sommes aujourd’hui à la quatrième génération, avec Laurent Caillat, président de la société, son frère Renaud, directeur général, son fils Stellio, directeur commercial et Cécile Kebbal (née Caillat), chargée des ressources humaines. Une affaire familiale en somme !
L’entreprise compte aujourd’hui 150 salariés mais, comme le reconnaît Laurent Caillat, « on a été malade ». Avant la crise des subprimes de 2008, Deux-Ponts comptait en effet 300 salariés.
Outre la crise économique, la crise écologique et la révolution numérique sont les prochaines menaces. D’où les virages du haut de gamme et de l’export pris par l’entreprise. « Dès 1996, nous avons commencé à collaborer avec Vuitton, puis en 2001 avec Dior et Saint-Laurent », affirme le dirigeant.
L’entreprise se targue aussi d’avoir reçu en 2012 et 2017 le label d’État Entreprise du patrimoine vivant, une marque de reconnaissance du ministère de l’Économie mise en place pour distinguer des entreprises françaises aux savoir-faire artisanaux et industriels d’excellence. « C’est l’une des seules manufactures qui assure toute la chaîne de production », précise Laurent Caillat.
Une entreprise fière de son « made in Isère »
« On est le menuisier du designer », résume Renaud Caillat pour décrire l’entreprise. Qui précise : « On est confronté à des demandes de créateurs qui nous provoquent. Nous devons constamment rivaliser de créativité pour répondre à la demande. »
Face à la crise économique, à la forte concurrence, l’entreprise a tenu bon : « Les banquiers nous incitaient à changer notre modèle économique, le jugeant mauvais. Ils voulaient que l’on sous-traite le maximum des activités à l’étranger et qu’on ne fasse que l’impression ici. Nous avons refusé et nous avons maintenu notre ancrage dans le territoire. Nous n’avons pas renoncé à notre base sociale locale. » Un choix qui, d’après le dirigeant, a donc conduit la famille à renoncer à des profits. De 30 millions d’euros avant la crise, le chiffre d’affaires est ainsi aujourd’hui tombé à 17 millions d’euros.
Nous faisant visiter la salle des prototypes et des maquettes, le directeur ajoute : « Un financier qui viendrait dans cette salle nous dirait d’enlever toutes les machines, d’enlever ce superflu, mais on perdrait notre âme ».
Alors que le gouvernement lance une réforme de l’apprentissage et que le projet de loi Pacte prévoit des changements pour aider les PME, Renaud Caillat a profité de la présence Jean-Charles Colas-Roy, député LREM, pour interpeller l’élu. « Nous avons fait le choix de conserver 34 corps de métier différents au sein de l’entreprise. Mais il faut que l’écosystème extérieur nous aide également. »
Plus que le made in France, c’est le “made in Isère” que veut promouvoir le chef d’entreprise. « Il est important pour moi de visiter les entreprises, a répondu le député de la majorité. Dans le cadre du projet de loi Pacte, il faut être performant et comprendre les entreprises locales. »
Un manque de formation et des métiers en danger
Aujourd’hui, sept apprentis sont en alternance ou en contrat d’apprentissage dans l’entreprise. Ces derniers à l’image de l’entreprise proiviennent d’horizons divers, aspirant à devenir attaché commercial, conducteur offset, pilote de ligne de production ou encore technicien supérieur en exploitation logistique.
Cécile Kebbal, directrice des ressources humaines, admet « des difficultés à trouver des apprentis ». « Les jeunes ne sont pas au fait des métiers de l’imprimerie. Comme c’est un secteur peu développé au niveau national, les jeunes en région ne le connaissent pas. » Pourtant, affirme-t-elle, « l’alternance est le meilleur moyen d’entrer dans la vie professionnelle. Selon le niveau d’étude et la formation, les salaires s’étalent de 500 à 2 000 euros par mois pour les apprentis. »
« Je n’ai rien foutu à l’école, mais l’école ne forme pas non plus », affirme sans complexe Laurent Caillat dont le rapport à l’institution scolaire semble plus tendu. Pour le président, l’école ne forme plus des artisans. « Ils veulent tous être ingénieurs et ne sont pas attirés par l’imprimerie ».
Relieur, sérigraphe, les métiers de la finition sont sous tension. Et l’entreprise manque cruellement de professionnels formés. « Ce qu’on reproche aux écoles, c’est qu’elles ne forment plus à tous ces métiers. On a dû faire revenir des retraités pour qu’ils nous éclairent sur certaines techniques », affirme Laurent Caillat.
Pour lui, pas de doute, « il faudrait rendre l’apprentissage obligatoire. » Et le PDG d’ajouter cet argument : « 50 % des chefs d’entreprise allemands sont issus de l’apprentissage. »
Alors que 2018 va marquer les 550 ans de la mort de Gutenberg, à l’origine de la naissance de l’imprimerie, Deux-Ponts entend bien rappeler que celle-ci a encore de beaux jours devant elle si elle innove.
Édouard Merlo