REPORTAGE – « Les droits de l’Homme. Pourquoi et comment les combattre ? » Tel était le thème de la conférence donnée par Hugues Petit, professeur d’histoire du droit proche des milieux d’extrême droite, qui s’est déroulée ce mercredi 11 avril au prieuré Saint Pierre-Julien Aymard de Meylan. Une conférence qui, ne serait-ce que par son intitulé, a suscité la polémique. En cause la « complémentarité substantielle » qui existerait entre les extrêmes droites, la religieuse et la politique.
Une cinquantaine de personnes patientent dans la cour de l’école privée et prieuré Saint Pierre-Julien Aymard à Meylan tenus par les prêtres traditionalistes de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X. À l’extérieur, aucun rassemblement de manifestants. Seule une voiture de gendarmerie fait un court passage devant le prieuré avant de quitter les lieux, constatant que rien ne se passe.
Tous attendent que débute la conférence d’Hugues Petit, professeur d’histoire du droit, connu pour ses accointances étroites avec l’extrême droite puisqu’il fut notamment membre de l’Action française, ou encore président du Conseil scientifique et membre du bureau politique du Front national.
Le thème de cette conférence ? « Les droits de l’Homme. Pourquoi et comment les combattre ? » Une conférence au titre sans ambiguïté très discrètement annoncée puisque seul le bulletin paroissial en a fait mention… Ce qui n’a pas empêché un fort mouvement d’indignation, de réprobation et d’émoi de la part de citoyens et d’élus meylanais, d’organisations antifascistes locales dont le Réseau de lutte contre le fascisme (RLF) et Ras L’Front, tout autant que de l’instance métropolitaine de la Ligue des droits de l’Homme (voir encadré).
« Que les choses soient claires, mes paroles n’engagent que moi-même »
Leur crainte ? Celle de voir l’école et le prieuré traditionalistes – « intégristes » pour certains – devenir « le camp de base de l’extrême droite ». Ces mouvements « citoyens et antifascistes » mettent ainsi en avant la « complémentarité substantielle » qui existerait entre la Fraternité sacerdotale Saint Pie X et le parti national-catholique Civitas dont elle serait « l’interface ». Avec d’une part, la dévolution spirituelle, de l’autre la dévolution politique.
Des inquiétudes exacerbées par le récent dépôt en mairie de Meylan d’un projet d’extension du prieuré combattu par l’opposition municipale. « Le permis de construire avait été accepté sans rechigner par la mairie dirigée par la droite », dénoncent les militants antifascistes.
La conférence se déroule dans une salle de classe de l’école privée, décorée de dessins et de planches pédagogiques et spécialement aménagée pour la circonstance. Au pupitre, Hugues Petit compulse ses notes tandis que le brouhaha ambiant s’apaise peu à peu. « C’est vrai que, dans cette conférence qui a fait un peu de bruit, je vais pouvoir dire des mots qui pourront en choquer certains, encore qu’ils me paraissent relever du bon sens. Mais que les choses soient claires, mes paroles n’engagent que moi-même ! », prévient-il, espérant ainsi dédouaner son hôte, en l’occurrence la fraternité sacerdotale.
« Nous allons défendre des idées largement en opposition avec l’idéologie dominante »
Selon Hugues Petit, c’est bien d’une chasse aux sorcières qu’il s’agit. « Cette affaire a été instrumentalisée. Le prieuré a demandé à pouvoir construire une chapelle et des élus de gauche, avec l’esprit large qu’on leur connaît, ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour empêcher l’obtention du permis de construire. Et si ceux-là trouvent à redire sur ce que je vais avoir l’occasion d’exprimer ici, s’ils veulent s’en prendre à quelqu’un, qu’ils s’en prennent à moi et non au prieuré ! », lance le conférencier.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, Hugues Petit tient à souligner « la hauteur de vue » d’Emmanuel Macron, le président de la République lors d’un récent discours sur le catholicisme et la laïcité, en citant quelques extraits. En substance ? « Ce que j’attends que l’Église nous offre, c’est aussi sa liberté de parole », a‑t-il déclaré.
Juste avant d’affirmer : « Il faut être très libre pour oser être paradoxal et il faut être paradoxal pour être vraiment libre. » Du pain béni pour le professeur d’histoire du droit qui a trouvé là son enchaînement. « Nous allons donc être paradoxaux, dans la mesure où nous allons défendre des idées très largement en opposition avec l’idéologie dominante », avertit Hugues Petit.
« Pourquoi combattre les droits de l’Homme, voilà une question paradoxale ? »
Puis, revenant sur le thème, l’historien du droit justifie sa légitimité : il a prodigué à la faculté de Droit, rappelle-t-il, « un cours sur la critique des droits de l’Homme, sur lesquels il a réfléchi pendant des années et dont il livre le résultat lié à sa foi religieuse ». Le ton est donné. « Pourquoi combattre les droits de l’Homme, voilà une question paradoxale ? », questionne-t-il. Avant de répondre au cours d’un long argumentaire développé en trois points.
« Parce que les droits de l’Homme c’est une idée fausse », explique Hugues Petit ; parce que « cette idée a corrompu la société » et, enfin, parce que « les droits de l’Homme ne constituent pas seulement une philosophie mais une véritable religion », affirme sans ambages l’historien du droit. La preuve ? Dès qu’il a été su que cette conférence allait avoir lieu, un certain nombre de voix se sont élevées contre « pour affirmer qu’on allait fourbir nos armes pour aller tuer je ne sais qui et affirmer je ne sais quoi », raille-t-il, déclenchant ainsi des rires dans l’assemblée.
Une croisade orale nourrie de thématiques traditionalistes
Vont s’ensuivre, près de deux heures durant, nombre de considérations sur les droits de l’Homme revisités et étayés par les « convictions de foi chrétienne » affichées par Hugues Petit. Une croisade orale nourrie de thèmes, bien connus d’un public conquis d’avance, chers aux nostalgiques de la tradition chrétienne voire de l’Ancien régime et véhiculés par les mouvements d’extrême droite, les intégristes catholiques, les tenants de la Manif pour tous et tous les partisans d’une hiérarchie sociale bien établie, de l’autorité et de l’ordre.
Le mariage pour tous, le droit à l’avortement, la famille, la politique, la propriété, l’éducation, l’immigration… Autant de sujets à travers lesquels Hugues Petit va s’attacher à méthodiquement prouver, avec de nombreux exemples à l’appui, pourquoi et comment les droits de l’Homme doivent être combattus.
« Nous devons les combattre, non pas par méchanceté et par haine de l’Homme, mais par amour de l’Homme », souligne le professeur de droit, pour qui religion et droits de l’Homme ne font pas bon ménage.
Comment ? « D’abord, se battre contre eux sans peur parce que nous pouvons gagner », assure-t-il. Ensuite, « se battre de façon pratique car les considérations théoriques n’ont guère de portée », poursuit le conférencier, avant d’affirmer combien il est important de faire prévaloir, en toutes circonstances, la liberté d’opinion.
Joël Kermabon
DAMIEN GUIGUET, L’ANCIEN MAIRE DE MEYLAN, ALERTE LE GOUVERNEMENT
Les réactions sur la tenue de cette conférence sur comment combattre les droits de l’Homme, de surcroît au sein d’une enceinte religieuse ne cachant pas son fondamentalisme catholique, n’ont pas manqué.
Sans surprise, les premières salves sont parties des lignes des militants antifascistes. Ces derniers n’hésitent en effet pas à fustiger « ces curés d’un genre très spécial qui utilisent leurs locaux religieux pour que des mouvements fascisants y prêchent leur venin ». Tout en rappelant au passage que des conférences de Civitas ou encore d’Égalité et Réconciliation, le mouvement de l’essayiste et idéologue « antisémite et négationniste » Alain Soral, s’y sont déroulées.
Damien Guiguet, l’ancien maire et conseiller municipal centriste de Meylan, a lui aussi réagi. La veille de la conférence, ce dernier s’est fendu de deux courriers, destinés respectivement à Gérard Collomb, ministre de l’Intérieur et du Culte, et à Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale.
Ces correspondances disent toute son inquiétude au sujet d’une probable collusion entre la Fraternité sacerdotale Saint Pie X et le parti Civitas. L’ancien maire demande même au ministre de l’Intérieur l’ouverture d’une enquête.
« Combattre les droits de l’Homme c’est revenir à l’ordre ancien des choses »
La Ligue des droits de l’Homme (LDH) a également réagi via sa section de Grenoble – Métropole. « Ce n’est pas d’aujourd’hui que les droits de l’Homme sont débattus et parfois critiqués. Et pourquoi pas, d’ailleurs ? Mais nous devons rappeler que ces critiques sont presque toujours portées du même bord, non pas pour les faire progresser, les consolider, les enrichir, mais purement et simplement pour, en effet, les combattre, c’est-à-dire revenir à l’ordre ancien des choses », relève l’organisation.
La LDH considère par ailleurs que, certes, les défis posés à l’humanité sont aujourd’hui considérables et que leur issue n’est pas écrite. Pour autant, rappelle-t-elle, « ils appellent au contraire, plus que jamais, plus de libertés, d’égalité et de fraternité, plus de solidarité et de coopération pour trouver le chemin de l’émancipation des hommes et la fin des servitudes économiques, sociales ou religieuses », conclut Pierre Gaillard, son délégué régional.