« Pour que Grenoble devienne la capi­tale de l’intelligence artificielle »

« Pour que Grenoble devienne la capi­tale de l’intelligence artificielle »

TRIBUNE LIBRE – Voitures sans chauf­feur, diag­nos­tic du can­cer sans méde­cin, métiers, homme géné­ti­que­ment modi­fié, cer­veau aug­menté… les avan­cées de l’intelligence arti­fi­cielle et de la tech­no­mé­de­cine vont bou­le­ver­ser l’humanité. Mais aussi affec­ter pro­fon­dé­ment la manière de vivre ensemble à l’é­chelle de la cité, selon Alain Carignon. L’ancien maire de Grenoble appelle ainsi à voir plus loin pour faire de la ville la capi­tale intel­lec­tuelle de l’intelligence artificielle.

Alain Carignon. © Nils Louna

Alors que les pré­cé­dentes révo­lu­tions indus­trielles s’étendaient sur des décen­nies, la « neu­ro­ré­vo­lu­tion » – comme la nomme Laurent Alexandre [chi­rur­gien, neu­ro­bio­lo­giste et fon­da­teur de Doctissimo​.fr et de plu­sieurs entre­prises de high-tech, ndlr] – va trans­for­mer notre monde en une poi­gnée d’années. Personne ne sait jusqu’où mais cha­cun mesure l’accélération.

Malheureusement, la France et l’Europe sont à l’écart de la créa­tion des bases de don­nées géantes et trans­ver­sales sur les­quelles il se bâtit. La Californie et la Chine ont gagné cette bataille.

Les tech­niques changent la vie des hommes plus for­te­ment qu’un pro­gramme politique

Ce futur proche va exi­ger des réponses éthiques, juri­diques, humaines d’une nou­velle dimen­sion. Davantage que les pré­cé­dentes trans­for­ma­tions, il va chan­ger la vie plus fon­da­men­ta­le­ment que n’importe quelle idéologie.

À chaque étape de l’évolution des socié­tés, les tech­niques nou­velles ont tou­jours gagné sur la conser­va­tion du monde ancien. Elles ont, chaque fois, méta­mor­phosé l’existence des hommes plus for­te­ment qu’aucun pro­gramme poli­tique : méca­ni­sa­tion, élec­tri­cité, élec­tro­nique, internet…

Ces sauts dans l’inconnu de plus en plus rapides et bru­taux échappent au débat public. Mais au fur et à mesure que les pen­sées, les mœurs, les intui­tions, les res­sorts les plus per­son­nels de trois mil­liards d’individus de la pla­nète sont confiés aux moyens de com­mu­ni­ca­tion qui ont la capa­cité de les ana­ly­ser et de les res­ti­tuer, l’esprit humain lui-même va être confronté à l‘intelligence arti­fi­cielle, à ses poten­tia­li­tés et à ses risques.

À l’é­chelle de la vie de la cité, elle affec­tera le manière de vivre ensemble

Qui pour­rait pré­tendre anti­ci­per com­plé­te­ment les consé­quences de cette tran­si­tion humaine ? Qui peut affir­mer ce que seront les emplois, les res­sources, les dépla­ce­ments, les modes de vie, les conflits, les injus­tices, même si ça et là des cher­cheurs éclai­rés défrichent l’inconnu et tracent des pistes ? Mais per­sonne ne peut nier non plus qu’à l’échelle de la cité elle affec­tera pro­fon­dé­ment la manière de vivre ensemble.

Le silence des poli­tiques, à quelques excep­tions près, est assour­dis­sant sur ces enjeux. À l’échelle natio­nale*, comme locale. À Grenoble, depuis qu’un dogme s’est sub­sti­tué au prag­ma­tisme et à toute vision de pro­grès, nous vivons même un véri­table lavage de cer­veau qui pré­tend impo­ser à cha­cun des solu­tions clés en mains à des pro­blé­ma­tiques qui ne se pose­ront peut-être plus à très court terme.

Les élus locaux savent à l’u­nité près com­ment on se dépla­cera en 2030

Pour prendre un seul exemple concret : des élus locaux exposent doc­te­ment les règles dras­tiques que des habi­tants doivent adop­ter en matière de modes de dépla­ce­ment car ils savent, eux, à l’unité près ce qu’il en sera en 2030.

Quartier de la presqu'île de Grenoble © Chloé Ponset - Place Gre'net

Quartier de la pres­qu’île de Grenoble © Chloé Ponset – Place Gre’net

Ainsi, selon ces oracles, sur la Presqu’île, on pas­sera de 50 000 dépla­ce­ments par jour aujourd’hui, dont 55 % réa­li­sés en voi­ture, à 120 000 en 2030, mais tou­jours avec 50 000 en voi­ture, dont la part modale sur ce sec­teur des­cen­dra à 20 %.

Deux muni­ci­pa­li­tés suc­ces­sives ont débattu des dan­gers des camé­ras de vidéo-pro­tec­tion pour les liber­tés indi­vi­duelles alors qu’à tra­vers leurs smart­phones, leur ordi­na­teur, WhatsApp, Instagram… les mêmes confient leurs centres d’intérêt les plus intimes à des socié­tés qui les accu­mulent afin de s’en ser­vir dans des buts mer­can­tiles ou de pou­voir. Comme le résume Laurent Alexandre : la Californie a les Gafa, nous avons la Commission infor­ma­tique et liberté…

Grenoble, une grande ville par sa modernité

Certes, une seule Métropole ne fait pas le poids dans cette bataille de géants. Mais Grenoble a tou­jours été une grande ville par sa moder­nité. Elle ne doit pas emprun­ter des sen­tiers sans issue, se lais­ser domes­ti­quer par des idéo­lo­gies obso­lètes avant même d’avoir servi.

Sa masse cri­tique en matière de recherche, ses per­son­na­li­tés à la renom­mée mon­diale dans les neu­ros­ciences, ses atouts de sou­plesse et d’adaptabilité devraient la pla­cer au pre­mier rang des villes euro­péennes qui veulent comp­ter dans ces domaines.

D’autant que le champ des bases de don­nées publiques est encore ouvert et la France dis­pose des ver­rous lui per­met­tant de les maîtriser.

En finir avec une lec­ture muni­ci­pale de la vie en société

Plutôt que des socio­logues répé­ti­tifs ou des pro­cu­reurs hai­neux, Grenoble devrait deve­nir une capi­tale intel­lec­tuelle de l’intelligence arti­fi­cielle en invi­tant les per­son­na­li­tés les plus poin­tues du monde afin de réflé­chir ensemble aux réponses éthiques, sociales, humaines, juri­diques, poli­tiques à appor­ter. La ville serait le théâtre d’un autre débat que ces sem­pi­ter­nels col­loques et expo­si­tions dési­rant impo­ser la lec­ture muni­ci­pale dépas­sée de la vie en société.

Cérémonie d'ouverture des Jeux Olympiques de Grenoble le 6 février 1968. © AMMG

Cérémonie d’ou­ver­ture des Jeux olym­piques de Grenoble le 6 février 1968. © AMMG

Il y a cin­quante ans, Grenoble, par la volonté du géné­ral de Gaulle et de Georges Pompidou, orga­ni­sait les pre­miers Jeux olym­piques de la nou­velle ère. Ils ont apporté à la capi­tale des Alpes un élan, un souffle et des infra­struc­tures qui ont accom­pa­gné notre cité pen­dant des décen­nies. Les Jeux qui ont suivi ont connu le meilleur et aussi le pire, mais Grenoble est demeuré un exemple.

Se sai­sir de l’a­ve­nir pour glo­ri­fier le passé de Grenoble

Aujourd’hui, une “tran­si­tion humaine” se pré­pare. Elle va mobi­li­ser des éner­gies, des capi­taux, des pas­sions et des com­pé­ti­tions inéga­lées dans l’histoire des hommes. Quelles que soient les issues de ce com­bat, une ville qui veut rayon­ner doit y par­ti­ci­per à sa manière. Attacher l’étendard de cette nou­velle fron­tière à son nom est un fac­teur de syner­gies fortes et des images attractives.

Même si per­sonne ne peut écrire la suite de l’histoire, Grenoble, comme elle l’a fait avec les JO, peut ambi­tion­ner d’être l’un des modèles où l’avenir se défi­nit. Mieux, elle dis­pose et peut atti­rer à elle des res­sources nou­velles pour répondre aux ques­tions ver­ti­gi­neuses que pose ce monde inconnu.

Cette ambi­tion doit fédé­rer et per­mettre de sor­tir enfin de ce cli­mat puni­tif, de ces leçons d’école élé­men­taire, de ces mesures à la petite semaine qui s’accumulent sur les Grenoblois. La ville a besoin de l’air du large, d’objectifs éle­vés, de confron­ta­tions de haut niveau, en phase avec son his­toire et ses atouts. Se sai­sir de l’avenir avec audace est une autre manière de glo­ri­fier le passé de Grenoble.

Alain Carignon

* Tribune par­ve­nue à la rédac­tion le 27 mars, soit deux jours avant qu’Emmanuel Macron ne lance son plan Intelligence arti­fi­cielle à par­tir du rap­port sur le sujet remis la veille par le député et mathé­ma­ti­cien Cédric Villani.

***

Rappel : Les tri­bunes publiées sur Place Gre’net ont pour voca­tion de nour­rir le débat et de contri­buer à un échange construc­tif entre citoyens d’o­pi­nions diverses. Les pro­pos tenus dans ce cadre ne reflètent en aucune mesure les opi­nions des jour­na­listes ou de la rédac­tion et n’engagent que leur auteur.

Vous sou­hai­tez nous sou­mettre une tri­bune ? Merci de prendre au préa­lable connais­sance de la charte les régis­sant.

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