REPORTAGE – Une dizaine de militants de la Confédération paysanne ont “investi” les locaux de la Direction des territoires de Grenoble, ce mercredi 21 mars. Objectif ? Transmettre à la directrice une lettre à destination du ministère de l’Agriculture, où les agriculteurs expriment leur colère et leur inquiétude face à une diminution des aides pour les Surfaces pastorales ligneuses.
« Je suis nouvelle, il y a 280 personnes qui travaillent ici, je ne connais pas tout le monde ! » Le moins que l’on puisse dire, c’est que la secrétaire de la Direction départementale des territoires (DDT) est mal à l’aise face à la dizaine de militants de la Confédération paysanne qui patientent dans le hall. Eux souhaitent remettre une lettre à la directrice Marie-Claire Bozonnet. Impossible : elle est en rendez-vous. D’autres responsables ? Silence radio.
Il est vrai que le syndicat agricole prend la DDT par surprise : ce mercredi 21 mars au matin, son objectif est de faire remonter jusqu’au ministère de l’Agriculture ses doléances concernant une révision de la politique agricole commune (Pac) prévue pour 2020. Et, plus précisément, la baisse annoncée des aides pour les Surfaces pastorales ligneuses (SPL), autrement dit les surfaces difficiles d’accès, comportant des obstacles naturels tels qu’un massif ou certains types de végétations dûment inscrits dans la nomenclature.
Finalement, au sortir de son rendez-vous, Marie-Claire Bozonnet improvisera une réunion avec les agriculteurs, secondée par Luc Lebreton, chargé de l’Agriculture et du Développement durable. La directrice de la DDT se penchera avec sincérité sur les demandes des militants, non sans prendre le temps de houspiller la méthode en préambule. Côté presse ? « Je ne préfère pas de photos », prévient-elle. Un sens aiguisé de la pudeur.
Un modèle agricole en voie de disparition ?
En Isère comme dans d’autres régions de France, la Confédération paysanne veut faire remonter au ministère de l’Agriculture sa profonde inquiétude. En envisageant une baisse de 5 à 10 % des surfaces admissibles, soit les surfaces ligneuses qu’un agriculteur peut déclarer pour percevoir une aide, c’est tout un modèle pastoral qui serait mis en péril. Et même environnemental.
« Sur ces zones difficilement “travaillables”, l’agriculteur va mettre ses animaux à pâturer, ça va passer sous les arbres, autour des buissons. En faisant cela, ils entretiennent le paysage, c’est l’environnement paysager de ces endroits difficiles d’accès qui est menacé », explique ainsi Nadège Azarias, maraîchère bio et membre de la Confédération paysanne.
Au final, la baisse des aides sur les surfaces ligneuses serait une remise en cause du modèle agricole des petites fermes ou des exploitations familiales et traditionnelles. Et ceci au profit de grandes exploitations. Une « préférence pour des terres faciles qui peut conduire à privilégier une agriculture productiviste », redoute Olivier Cussac, exploitant en poules pondeuses.
De plus, la Confédération paysanne exige une égalité de traitement entre tous les exploitants. Dans certains départements en effet, les agriculteurs ne peuvent simplement pas déclarer de SPL, au motif que leur territoire serait moins concerné par des obstacles naturels. C’est le cas en Auvergne-Rhône-Alpes pour la Loire et le Puy-de-Dôme. Luc Lebreton précisera que le préfet de région a d’ores et déjà alerté l’État sur cette situation.
Des subventions à l’emploi plutôt qu’à l’hectare
Pourquoi une telle baisse ? Elle répond à une exigence de la Commission européenne, qui reproche à la France de mal évaluer les prorata sur les surfaces, ainsi que de mal les contrôler. Pour le syndicat, la réponse n’a rien d’adapté : « Une baisse de vitesse ne va pas améliorer la conduite ! », écrit-il. Avant de plaider pour « une amélioration de la méthodologie des contrôles », notamment en matière de formation des contrôleurs.
La Confédération paysanne préconise surtout de remettre la nature même des aides sur la table. « Ce que nous proposons, c’est de ne plus faire des aides à la surface mais des aides à l’actif, afin que l’on puisse avoir des emplois de créés sur une petite surface », explique Nadège Azarias. Une “prime à l’embauche”, nantie d’un plafonnement pour éviter les abus, qui « permettrait de développer des petites fermes, et pas des fermes de plusieurs centaines d’hectares avec un seul agriculteur sur son tracteur », ajoute-t-elle.
La Confédération paysanne est bien seule dans son combat : la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) n’affiche clairement pas la même ligne, et l’État semble jouer la sourde oreille. « On avait été séduit par le discours de Macron à Rungis, reconnaît Nadège Azarias, mais entre les paroles et les actes il y a un écart… ».