ENTRETIEN – En pleine semaine de l’entrepreneuriat au féminin et de la journée internationale des droits des femmes, Meaghan Major, nouvelle présidente de la délégation iséroise de l’association Femmes chefs d’entreprises (FCE), nous explique l’importance de l’entrepreneuriat féminin et ses spécificités. L’occasion de revenir sur la toute récente création de Réselle, le « réseau des réseaux » au féminin en Isère.
Directrice générale de l’agence Witty, élue à la Chambre des métiers et de l’artisanat, photographe, jeune mère de famille, la franco-américaine Meaghan Major vient de prendre la tête de la délégation iséroise de Femmes chefs d’entreprises (FCE). Elle succède ainsi à Séverine Werquin-Matton jusqu’alors présidente de l’organisation interprofessionnelle, l’un des quatre réseaux des femmes entrepreneurs implantés en Isère.
Comment appréhendez-vous votre fonction de présidente de la délégation iséroise de FCE ?
C’est un grand honneur de représenter une association qui, depuis 1945, a toujours œuvré à valoriser la place de la femme dans le milieu économique. Il est extrêmement important de mettre en avant les initiatives féminines et le fait qu’il y a toujours eu des femmes chefs d’entreprises car on n’en entend pas beaucoup parler.
J’apprécie la diversité des profils au sein de l’association. Parce qu’il y a autant de femmes chefs d’entreprises dans l’industrie ou les services que dans les domaines financier ou juridique. Certaines sont toutes seules dans leur entreprise, d’autres gèrent des dizaines d’employés.
Une immense tâche s’offre à moi avec cette présidence. Quand on est chef d’entreprise, on voit souvent le bout de son nez, son entreprise, ses problématiques… Là, j’ai une perspective plus large. Je me rends compte de comment on s’inscrit en tant que femme chef d’entreprise sur un territoire, dans un tissu économique composé de beaucoup d’acteurs.
Je découvre les interactions entre ces acteurs économiques et comment, en tant que réseau féminin, nous pouvons apporter une pierre à l’édifice et consolider ou créer des passerelles entre eux. Cela permet aussi de mieux voir comment valoriser notre territoire. Personnellement, je ne suis pas originaire d’ici, mais je trouve qu’en Isère et plus particulièrement à Grenoble, il y a énormément de richesses économiques. Grenoble s’inscrit au niveau mondial dans une vraie dynamique.
Comment définiriez-vous l’entrepreneuriat féminin ?
Pour moi, c’est une réelle opportunité sociétale parce qu’on crée de la valeur ajoutée au niveau économique, on crée de l’emploi et on le fait avec des dynamiques différentes de celles des hommes. C’est alors une richesse de plus pour le monde économique, pour le territoire.
Aujourd’hui, seuls 30 % des créateurs d’entreprises sont des femmes. Pourtant, des études montrent que les entreprises managées par des femmes affichent en moyenne une rentabilité supérieure de 36 % et offrent de meilleures conditions de travail. La Banque mondiale estime ainsi que si plus de femmes se lançaient, la productivité française augmenterait de 25 %.
Une des raisons à cela est que les femmes n’ont pas la même écoute. Une femme chef d’entreprise ne va pas aborder l’interaction entre ses collaborateurs ou le management de la même manière qu’un homme. La différence physique joue dans la façon d’aborder les gens.
Autre point important qui ressort des études : les femmes ont plus de mal à déléguer. Elles vont se surcharger encore plus de travail. D’autant qu’en tant que femme chef d’entreprise on a un peu cette étiquette de super woman. On doit être une super maman, super copine, super épouse…
Y a‑t-il une dynamique particulière de l’entrepreneuriat féminin en Isère ? Quel est le rôle des réseaux de femmes entrepreneures ?
On constate une forte présence féminine en Isère dans les entreprises de services, notamment à la personne, ou bien encore dans les cabinets d’avocats. Il y a par ailleurs une forte dynamique dans l’entrepreneuriat féminin, avec quatre réseaux fondateurs qui œuvrent dans ce domaine : les Femmes chefs d’entreprises Isère, Les Inform’elles, le réseau Entreprendre au féminin et le Réseau Mampreneures Isère).
Au sein de ces réseaux, il y a beaucoup de solidarité, d’entraide, d’écoute… On sort de l’isolement, premier problème rencontré par des chefs d’entreprise, hommes et femmes confondus. Cela donne beaucoup de force lorsqu’on rencontre des difficultés. Le fait d’en parler ensemble nous rebooste vraiment.
Ces quatre réseaux travaillent ensemble depuis plusieurs années. Nous créons des évènements en commun, mutualisons nos compétences et nos connaissances. Chaque réseau a sa spécificité et on essaie d’allier tout ça. C’est pour cela que le 1er mars, nous avons lancé un nouveau projet de coopération, une sorte de « réseau des réseaux féminins », nommé Réselle, en partant du principe que le mot “réseau” est masculin, sans équivalent féminin.
Nous sommes parties du constat qu’aujourd’hui 30 % des créateurs d’entreprises sont des femmes mais que, dans les médias, moins de 30 % des experts interviewés sont des femmes. Il y a un décalage entre la place des femmes en tant que chefs d’entreprise et leur représentation en tant qu’expertes dans les médias. Quel que soit le sujet traité, il y a un vrai manque.
C’est pour cela qu’entre autres actions, nous allons mettre à disposition des journalistes un fichier des femmes expertes avec leurs compétences. Nos quatre réseaux réunissent plus de 240 chefs d’entreprise en Isère. Un autre objectif pour nous est de montrer à des jeunes femmes, à des étudiantes qu’elles peuvent se lancer, qu’elles ont des forces, des compétences et qu’il ne faut pas qu’elles hésitent à entreprendre.
Quels sont les principaux défis de l’entrepreneuriat au féminin aujourd’hui ?
Pour moi, le principal défi, c’est de se faire confiance et de prendre des risques. Seuls 10 % de femmes créateurs d’entreprise se lancent dans le domaine de l’innovation. Or, je pense que les femmes ont tout intérêt à valoriser leurs compétences dans ce domaine, notamment à Grenoble qui a un pôle scientifique très développé.
C’est le vrai challenge aujourd’hui : que les femmes osent se lancer dans les entreprises scientifiques, numériques et high-tech. Il y a un vrai défi à aller vers les réseaux sociaux, à utiliser le numérique comme un tremplin pour développer nos entreprises.
L’axe du numérique est très important pour moi. C’est un grand axe de travail de la Chambre des métiers et de l’artisanat de l’Isère et je m’inscris vraiment dans cette dynamique. Certaines entreprises ont encore de grosses difficultés à se lancer dans ce secteur, à saisir qu’il représente vraiment un atout pour se développer et non une menace.
Je pense aussi que le numérique crée des liens. Même à une échelle personnelle : 95 % de ma famille vit dans d’autres pays, particulièrement aux États-Unis. Aujourd’hui, sans les outils numériques, je perdrais des contacts, n’ayant pas le temps d’appeler chaque personne de manière régulière.
Comment trouver un équilibre entre son entreprise et sa vie de famille ?
Homme ou femme chef d’entreprise, il faut avoir un bon partenaire pour être à la fois épanoui dans son travail et dans sa vie familiale. Sans le soutien de son partenaire de vie, je pense que ce n’est pas possible. En tout cas pour moi. Mon conjoint est en même temps mon associé. C’est lui qui va me dire « oui, vas‑y » là où je vais avoir tendance à douter.
Quand j’ai eu l’intention de me présenter à la présidence de FCE alors que j’étais enceinte de huit mois, élue à la chambre des métiers et de l’artisanat avec une entreprise à gérer, il aurait pu me dire « cela va faire trop ». Au lieu de cela, il m’a dit : « Fonce car ce sera une super expérience ! Tu vas te régaler et t’enrichir de plein des choses, autant sur le plan humain que sur la connaissance de notre territoire au niveau économique. »
Je suis une toute jeune maman. Je vais donc voir comment concilier tout cela mais mes amis adhérentes FCE m’ont convaincue en tant que chef d’entreprise de ne pas hésiter à être mère. Il faut juste faire la part des choses. Dans la journée, il y a du temps pour travailler et développer son entreprise et, le soir, du temps pour ses enfants, sa famille et pour soi aussi. Il faut également parfois prendre du recul, quand on est submergé par tout ce qu’il y a à gérer. Je pense en fait que tout est faisable, à condition d’être organisé.
Propos recueillis par Yuliya Ruzhechka