ENTRETIEN – Dans deux ans, l’Université Grenoble Alpes deviendra l’Université de l’innovation. Un ensemble intégrant les trois universités grenobloises fusionnées mais aussi trois grandes écoles, cinq organismes de recherche et le CHU Grenoble Alpes. Objectif : rivaliser avec les meilleurs campus mondiaux. Il s’agit de la dernière ligne droite pour Patrick Lévy et Lise Dumasy qui, à mi-mandat, viennent de permuter leurs postes à la tête des deux principales instances universitaires grenobloises. Et se sont taillé un boulevard pour appliquer leur politique.
Janvier 2016 : Patrick Lévy et Lise Dumasy sont respectivement élus président de la Communauté d’universités et d’établissements (Comue) et présidente de l’Université Grenoble Alpes (UGA), les deux instances nées de la fusion des universités grenobloises chargées de faire de la future université un pôle de recherche de rang mondial.
Janvier 2018 : à mi-mandat, Lise Dumasy devient la présidente de la Comue, Patrick Lévy de l’UGA. Sans guère de contestations au sein des instances universitaires, les deux candidats étant seuls en lice. En huit ans, le tandem s’est taillé un boulevard pour appliquer sa politique et surtout atteindre le but ultime : édifier en 2020 l’université intégrée.
L”« Université Grenoble Alpes, université de l’innovation », labellisée initiative d’excellence avec ses cent millions d’euros à la clé, est sur les rails. Reste deux ans pour mettre tout le monde dans le rang : les trois universités fusionnées, trois grandes écoles, cinq organismes de recherche et le CHU Grenoble Alpes.
Pourquoi cette permutation de postes ?
Patrick Lévy. Quand on a construit la fusion des universités en 2014 – 2015, on a d’abord voulu ne pas établir l’équilibre des disciplines sur la seule base du poids numérique. Si on faisait cela, il est clair qu’à Grenoble on défavorisait les sciences humaines et sociales (SHS) au profit des sciences. Pour qu’il y ait ce type d’équilibre au niveau de la présidence, on a suggéré que ce soit deux ans-deux ans. Par galanterie et par symbolique, c’est Lise (Dumasy, ndlr) qui a commencé. Cette permutation, c’était notre engagement politique mutuel.
Lise Dumasy. Les communautés SHS étaient les plus inquiètes de rentrer dans de grands ensembles. Elle le sont partout, sur tous les sites. On a donc fait un rééquilibrage numérique dans les conseils, une première présidence SHS…
Patrick Lévy. On a écrit une feuille de route politique en 2012 et on s’y tient. Lise et moi restons les deux acteurs à en être les garants et on aura jusqu’en 2020 la chance d’avoir huit ans de stabilité politique. A l’université, c’est assez rare.
On est condamnés à réussir l’université intégrée. C’est le projet phare des deux années qui viennent. L’université intégrée est aujourd’hui dans notre viseur puisqu’on va dans une quinzaine de jours donner une feuille de route, fruit d’un accord entre les directeurs des écoles et des organismes concernés*.
Cette feuille de route va se discuter pendant des mois avec les organisations syndicales, les conseils, l’ensemble de la communauté. On aura un texte fondateur à faire voter par les conseils fin juin avant de construire des statuts. Cet objectif, qui sera progressif, sera vraiment l’objectif crucial des deux années à venir.
Quel est le défi majeur à relever aujourd’hui pour aboutir à cette intégration ?
Patrick Lévy. Aujourd’hui, le code de l’éducation ne permet pas de faire ce que l’on veut proposer : mettre ensemble des composantes qui ont une personnalité morale et juridique (Grenoble INP, Sciences Po) et des composantes sans personnalité morale et juridique (l’UGA). On n’est pas une exception.
Tous les sites français qui sont dans la logique de l’Initiative d’excellence demandent au gouvernement une modification du code de l’éducation pour pouvoir le permettre. Une ordonnance a été prise pour permettre en 2018 de modifier le code de l’éducation et donc justement permettre ce genre d”“expérimentation”.
En 2020, on aura donc une nouvelle entité et une seule présidence ? Finies l’UGA et la Comue ?
Lise Dumasy. C’est une nouvelle entité mais elle ne se superpose pas aux autres. Elle contiendra à la fois les composantes actuelles de l’UGA, les écoles, etc. Et la Comue, qui actuellement assure des missions de coopération et de coordination sur un certain nombre de services et de missions pour les établissements, disparaîtrait. Ses missions seraient réintégrées dans ce nouvel ensemble. Au final, on simplifierait assez considérablement la structuration de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Patrick Lévy. Ce que l’on a voulu éviter, c’est un mille-feuilles, une superposition et des conflits de légitimité. Au fond, cette nouvelle université remplacera en quelque sorte à la fois l’Université Grenoble Alpes, la Comue et elle regroupe l’ensemble. Cet accord-là n’est pas si facile parce qu’il faut que chacun se fasse confiance. Il faut que Grenoble INP ait confiance dans le fait que le maintien de sa personnalité morale et juridique lui garantit l’autonomie. Pour nous, l’autonomie, l’identité de Grenoble INP, c’est une chance pour le site.
Il s’agit de construire une entité qui parle pour les autres. Elle ne supprime pas les autres. Quand vous allez à San Francisco, à Berlin ou à Shanghaï, vous croyez que c’est important que ce soit Grenoble INP, l’UGA ou la Comue ? D’ailleurs, personne ne comprend. On va non seulement donner une visibilité à l’international mais aussi un point fixe, stable et de développement dans une métropole qui en a grand besoin.
Lise Dumasy. Et on simplifie considérablement les choses, y compris ne serait-ce que pour les étudiants aussi qui veulent intégrer l’université. Ils rentrent dans un même ensemble. On a une offre globale. Pour tout le monde, l’université est beaucoup plus compréhensible. Et on constitue un seul interlocuteur pour tout le territoire.
Patrick Lévy. Dans ce projet, on a voulu faire en sorte que les prises de décision soient collectives. Je ne peux pas dire aujourd’hui si on va réussir mais on devra convaincre nos communautés qu’il faut le faire. Il en va de la cohérence de la trajectoire.
Quel sera demain le statut de l’université de Savoie, aujourd’hui simple associée à l’UGA ?
Lise Dumasy. L’université de Savoie ne souhaite pas être plus qu’associée à l’université intégrée. Une convention décrira les domaines et les modes de coopération. Cette université se construit sur le consensus. Si les votes dans les conseils se feront à la majorité, entre établissements, on ne fait pas des votes à la majorité. On construit parce que tout le monde est d’accord. Si quelqu’un n’est pas d’accord, il n’est pas dans la construction. La construction institutionnelle n’est pas le but, elle est juste l’outil.
Patrick Lévy. C’est une des principales leçons que nos prédécesseurs ont tirées des échecs de l’Initiative d’excellence en 2011 – 2012. Quand les établissements ne sont pas complètement d’accord (entre Grenoble INP et l’UJF à l’époque, ndlr), on ne peut pas faire. Sans confiance, il n’y a pas de projet.
Bien que l’université de Savoie ne soit pas un partenaire à part entière de l’université d’excellence, nous avons invité ses représentants à chaque comité de pilotage de l’Idex. La transparence de ce point de vue et la fluidité de nos relations en dépend.
Patricia Cerinsek
- * L’UGA (fusion des universités Joseph-Fourier, Stendhal et Pierre-Mendès-France en 2015), Grenoble INP, Sciences Po, l’Ensa, le CHU de Grenoble, le CNRS, l’Inria, le CEA, l’Inserm et l’Irstea.