ENQUÊTE - La Ville de Grenoble a signé en novembre dernier deux conventions d'occupation temporaire avec des SDF pour les reloger dans des maisons vides préemptées par la mairie et vouées à une démolition ultérieure. Une expérimentation sur laquelle elle a largement communiqué dans les médias locaux et nationaux. Beaucoup de squatteurs et associations de soutien aux mal-logés et aux migrants y voient surtout une opération de communication « opportuniste ».
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Des articles dans Ouest-France, Rue89 et Le Dauphiné libéré, des reportages sur France Bleu et France 3… Si la délibération du conseil municipal du 6 novembre dernier avait été adoptée quasiment en catimini, la Ville de Grenoble s'est depuis largement rattrapée, communiquant tous azimuts sur son nouveau dispositif, par médias interposés.
Partout, les mêmes titres – à quelques mots près – informant que « la mairie de Grenoble propose des logements vides gratuitement aux SDF ». Des articles abondamment relayés par le maire et ses soutiens sur les réseaux sociaux.
Au pays de @CCastaner, patron d'@enmarchefr ,"certains #SDF refusent d'être logés"... En #France le nombre de SDF a augmenté de 50% en 10 ans. A #Grenoble nous mettons à leur disposition des logements vacants #Solidarité #Modernité ⬇️ https://t.co/BALbAzzFm4
— Éric Piolle (@EricPiolle) 30 décembre 2017
À l'origine de cet emballement médiatique, les deux conventions signées par la Ville avec les associations Le Tremplin et Les Passeurs, permettant à des sans-abri d'occuper temporairement des bâtiments vides, voués à être détruits ultérieurement.
Les maisons en question, situées respectivement rue Argouges et chemin des Tournelles, ont en effet été préemptées par la commune, en vue de projets immobiliers à plus ou moins long terme, et étaient donc inoccupées dans l'attente de leur future démolition.
Sur ce point, le texte est d'ailleurs très clair : la convention, d'une durée d'un an et renouvelable deux fois, « cessera de plein droit sans aucune indemnité ni engagement de relogement en fonction du projet d’aménagement qui sera décidé par la Ville ».
Le fruit « d'un an et demi de contacts »
Les deux associations concernées « sont venues nous voir avec des projets qui dépassent les “simples” besoins d'hébergement », explique Alain Denoyelle, adjoint à l'action sociale. Ainsi, Le Tremplin a été créé par Bobby et Plume, deux des trois occupants de la maison rue Argouges, dans le but d'héberger des personnes à la rue avec des chiens. Ils pourront accueillir durant quelques jours jusqu'à cinq personnes dans leur nouveau logement.
L'accord conclu avec Le Tremplin est le fruit « d'un an et demi de contacts, entre la rencontre avec eux, l'identification puis l'obtention de la maison, qui était la propriété de l'EPFL [Établissement public foncier local du Dauphiné, ndlr] », précise Alain Denoyelle.
Avec cette association, poursuit-il, on a affaire à « des jeunes en difficulté sociale, avec peu de ressources. La question qui se pose, c'est “comment on va les accompagner ?” » Le second cas est légèrement différent : « pour Les Passeurs [s'adressant plutôt à des artistes, ndlr], on a une réflexion plus large sur l'usage temporaire des lieux. »
« L'objectif, estime l'adjoint à l'action sociale, est de parvenir à un usage autorisé par la Ville et de fixer les limites de la responsabilité de chacun. On se reconnaît les uns et les autres comme légitimes. » Mais quid du contenu concret de cette convention ? À première vue, cela semble aussi simple que classique : en contrepartie du relogement, les occupants doivent prendre une assurance et s'acquitter des factures d'eau et d'électricité.
Des mises à disposition "obtenues par la lutte et la pression"
Dans les faits pourtant, de nombreux collectifs de soutien aux mal-logés et de squatteurs se montrent très critiques, voire carrément hostiles. Benjamin*, un militant associatif fin connaisseur du dossier et directement concerné, regrette en préambule que la mairie « ne contextualise pas » ces mises à disposition de bâtiments : « Elles ont été obtenues par la lutte et la pression. Pour la maison Argouges, Bobby et Plume faisaient partie de l'Assemblée des mal-logés. »
Quant à la nature de la convention, il ne la juge « vraiment pas terrible », égrenant une litanie de reproches. Premier point : « L'association doit prendre en charge toutes les responsabilités et dépenses qui devraient incomber au propriétaire en terme de sécurité et salubrité, comme les frais d'assurance et la responsabilité civile. Par exemple, si la foudre tombe sur la maison, c'est l'association qui est responsable, la mairie se défausse complètement sur elle. »
Le texte remet également en cause, selon lui, « le principe du domicile car le propriétaire peut rentrer à tout moment dans le bâtiment » pour effectuer des travaux ou pour tout autre chose. Autre sujet de crispation, le fait que la convention soit dénonçable à tout moment par l'une des deux parties (avec un préavis), d'où un « risque d'expulsion ».
Sur bien des points, celle-ci n'est ainsi pas très sécurisante pour les occupants. « C'est juste une mise à l'abri temporaire, la mairie ne s'engage pas à reloger les personnes derrière : Bobby et Plume n'ont aucune garantie », ajoute Benjamin.
« Pas le droit de fumer chez toi »
Le militant dénonce en outre « le refus de la mairie de prendre en charge les factures d'énergie » et une convention « infantilisante et liberticide », qui fixe des règles particulièrement surprenantes, pour ne pas dire choquantes : « Les gens n'ont pas le droit de fumer ni de boire de l'alcool à l'intérieur du bâtiment. »
Andrea, ancienne habitante du 72 avenue Léon Blum (squat expulsé le 25 octobre 2017), a manqué de s'étrangler en découvrant ces conditions : « Tu te rends compte ? Tu es chez toi mais tu n'as pas le droit de fumer ! Même Carignon et Destot n'ont pas osé proposer des conventions aussi pourries ! »
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