FOCUS – Assurés depuis le 21 décembre de pouvoir rester hébergés sur le campus durant les vacances de Noël, la soixantaine de demandeurs d’asile et leurs soutiens militants ont malgré tout maintenu le rassemblement prévu le lendemain devant le Patio. À cette occasion, ceux-ci ont exprimé à la fois leur soulagement et leur souhait de bénéficier d’une solution de relogement pérenne pour les mois à venir. De leur côté, les représentants de l’Université Grenoble-Alpes ont réaffirmé leur refus de faire évacuer les lieux, tout en rappelant que l’Université ne pouvait se substituer à l’État.
Quinze jours de répit. Voilà ce qu’ont obtenu la soixantaine de demandeurs d’asile actuellement hébergés sur le campus depuis deux semaines et demie, après toute une série de rebondissements.
Occupation de l’amphi G le 4 décembre, installation le lendemain au Patio, un bâtiment inoccupé de l’Université Grenoble-Alpes (UGA), rendez-vous infructueux en préfecture, communication parfois contradictoire de l’Université et de la préfecture…
Le tout avec une date-butoir initiale fixée au 22 décembre par la présidence de l’UGA, au-delà de laquelle elle ne pourrait laisser ouverts ces locaux. C’est donc peu dire que le revirement opéré jeudi 21 décembre par l’Université a fait office de bouffée d’oxygène pour les résidents du Patio.
Patrick Levy, président de la Communauté Université Grenoble Alpes, et Lise Dumasy, présidente de l’UGA, ont ainsi donné leur accord pour que les demandeurs d’asile puissent rester au Patio durant les vacances de Noël. Une décision prise à l’occasion d’une assemblée générale tenue en compagnie des migrants, militants et représentants d’associations d’étudiants et de personnels.
« L’Université ne peut se substituer durablement à l’État »
Dans un communiqué commun, tous deux relatent le déroulé de cette assemblée générale, destinée à l’origine à « présenter les possibilités de mise à l’abri proposées par la préfecture ». Au cours de celle-ci, écrivent-ils, les présidents « ont précisé qu’il existait un véritable risque sanitaire à loger une soixantaine de personnes dans 120 m² sans douche, sans cuisine et avec des sanitaires en nombre insuffisant. »
Un message entendu lors de leur rencontre avec le préfet, mardi 19 décembre dernier. Avec à la clé des engagements, de la part des services de l’État, « pour mettre à l’abri dans de meilleures conditions ces personnes : mise à disposition de gymnases, ouverts jour et nuit et sans contrôle d’identité jusqu’au 31 mars prochain ».
« N’ayant pas obtenu l’assurance d’un engagement écrit du préfet, poursuit le communiqué, les migrants et les représentants des associations d’étudiants et de personnels mobilisés ont demandé aux deux présidents l’autorisation de rester au Patio durant les vacances de fin d’année voire au-delà de cette période. »
S’ils « regrettent qu’un compromis n’ait pas été trouvé », Patrick Levy et Lise Dumasy affirment qu’ils « ne souhaitent pas faire évacuer le bâtiment ». En effet, concluent-ils, les présidents « se refusent à mettre à la rue les personnes hébergées au Patio, par devoir de solidarité et d’humanité », tout en rappelant que « l’Université ne peut se substituer durablement à l’État ».
« Les personnes se méfient des gymnases »
Rassemblés devant le Patio, ce vendredi midi, migrants et militants avaient les traits tirés mais la mine réjouie par le sursis obtenu. Un répit qu’ils savent provisoire, mais qui leur permet de souffler un moment, en prévision de la longue et rude bataille à venir.
Car tous en sont conscients, la question du maintien sur le campus se reposera dès la rentrée et il faudra de nouveau lutter pour décrocher une solution d’hébergement pérenne.
Sur place, beaucoup ont tenu à expliquer leur refus de l’accueil en gymnase proposé par la préfecture. « Nous ne sommes pas prêts à loger dans des gymnases car cela peut permettre d’identifier les gens qui sont en procédure Dublin ou déboutés du droit d’asile », indique un étudiant africain en Master de sociologie, dans l’attente de sa demande d’asile. « Du coup, il y a une crainte d’être expulsés pour beaucoup de gens. »
Anne, militante associative, précise : « Les personnes se méfient des gymnases à double titre. D’une part car le 31 mars [date de la fin de la trêve hivernale], les gymnases ferment et elles n’ont droit ensuite qu’à trois nuits d’hôtel maximum attribuées par l’État, avant de se retrouver à la rue. D’autre part, à cause de la nouvelle circulaire Collomb : est-ce que les lieux d’accueil vont devenir des lieux de tri humain ? »
Reportage vidéo : Clémentine Robert
Assurer une présence et maintenir l’attention médiatique
Quid alors de l’après-31 mars ? Pour Denis Fabre, de la Ligue des droits de l’homme (LDH), « il y a des solutions, il y a de l’argent, on sait en trouver pour certaines opérations. Cela ne poserait pas de problème majeur d’héberger ces gens dans des conditions décentes et conformes aux engagements internationaux que la France a signés. »
L’étudiant en sociologie résidant au Patio a quant à lui du mal à se projeter aussi loin : « Ce ne sera pas possible pour la fac d’assumer ce logement jusqu’au 31 mars, c’est une fac, pas un centre pour les migrants. C’est l’État qui a l’obligation de loger les demandeurs d’asile. Il s’agit de droit, ces lois n’ont pas été imposées, elles ont été votées. L’Université ne peut pas se substituer au préfet. »
Pour les résidents du Patio et les militants des différents collectifs, la priorité est en tout cas d’assurer une présence autour des locaux durant les deux semaines de vacances universitaires, tout en maintenant l’attention médiatique focalisée sur leur situation. Car tous ne sont pas totalement rassurés, certains craignant que « la préfecture profite d’un campus désert pour lancer une intervention policière ».
Manuel Pavard