FOCUS – La date du 19 décembre a scellé la fin de la négociation du plan social frappant les salariés de GE Hydro. Un jalon important pour l’intersyndicale CFDT, CFE-CGC et CGT qui organisait ce vendredi 22 décembre une conférence de presse en forme de bilan. Un bilan des cinq mois de lutte menés pour conserver les 345 emplois menacés sur les 800 que compte le site grenoblois. Amertume, sensation d’avoir été « menés en bateau », les salariés en ont manifestement gros sur le cœur et s’en sont expliqué.
Les fêtes de fin d’année laisseront un goût bien amer aux 345 salariés de GE Renewable Energy (GE Hydro) menacés de perdre leur emploi et qui luttent depuis le 4 juillet contre le plan social (PSE) qui les frappe.
Ce n’est pourtant pas faute d’avoir tout tenté, avec le soutien de l’intersyndicale CFDT, CFE-CGC et CGT, pour obtenir la suspension du projet de restructuration envisagé par le groupe. Médiatisation du conflit, grèves, occupation et blocage du site de production grenoblois, tentatives de dialogue avec une direction jugée inflexible, interventions de nombreuses personnalités politiques et syndicales ou encore interpellation du ministère de l’Économie…
Las, rien n’y aura fait. La date fatidique de la fin de la négociation du plan social fixée au 19 décembre étant dépassée, venait, ce vendredi 22 décembre, l’heure pour l’intersyndicale de présenter le bilan de cinq mois de luttes acharnées et pour l’heure infructueuses.
« La direction a manqué à son obligation de franchise et de loyauté »
C’est dans une salle prêtée pour l’occasion par Grenoble-Alpes Métropole – qui a largement soutenu les salariés tout le temps du conflit – que s’est déroulée la conférence de presse organisée par l’intersyndicale. Les mines étaient graves. En face des journalistes, quatre représentants des salariés : Nadine Boux, déléguée CFE – CGC, Alfred-Pierre Santelli, CFDT, Frédéric Strappazon et Claude Villani, tous les deux représentant la CGT. À leurs côtés, Christophe Ferrari, le président de la Métropole, Éric Piolle, le maire de Grenoble et Guillaume Gontard, sénateur de l’Isère.
Frédéric Strappazon a ouvert le ban. « Notre dernière réunion de négociation remonte au 8 décembre. C’était la dernière possibilité pour les organisations syndicales de pouvoir échanger avec la direction et, depuis, le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), n’a pas pu remettre d’avis », déplore le syndicaliste.
Qui précise qu’il en a été de même pour les avis du Comité central d’entreprise (CCE) ainsi que du Comité d’entreprise. Pour quelles raisons ? Notamment en cause, « des carences graves dans l’information fournie à l’expert, l’absence d’analyse de la charge de travail et des risques professionnels, ainsi qu’en dernière minute, un bouleversement des catégories professionnelles non précisées et, de plus, en anglais… », liste Frédéric Strappazon. Lequel fait un autre constat, à savoir l’impact tout particulier du PSE sur le personnel féminin.
L’intersyndicale menée en bateau ?
En l’occurrence, le syndicaliste dénonce le manquement de la direction « à son obligation de franchise et de loyauté », lui reprochant « une attitude pernicieuse consistant à se dire ouverte au dialogue tout en éludant en permanence les sujets gênants ». Quant aux derniers documents fournis, s’ils font état de la création de deux postes – « à la marge », selon les termes de la direction – ces derniers non seulement ne concernent que les week-ends, mais de plus « ils n’avaient jusqu’alors jamais été évoqués lors des différents échanges », ajoute Frédéric Strappazon.
Là où l’intersyndicale en a vraiment gros sur le cœur, c’est qu’elle estime avoir été menée en bateau par sa direction.
« Nous savons que ce projet de restructuration a été pensé au moins depuis septembre 2016. Nous savons aussi qu’en janvier 2017 des prises de contacts ont eu lieu avec des cabinets d’avocats pour lancer le projet », révèle-t-elle.
« Et tout ça alors qu’elle n’a cessé d’annoncer aux différentes instances représentatives du personnel qu’aucun plan de suppression d’emplois n’était envisagé ! », s’indignent-ils. D’ailleurs, précisent-ils, « aujourd’hui encore, la direction n’a toujours pas pu justifier concrètement comment elle en était arrivée à ces 345 suppressions de postes ».
Des échanges stratégiques en « off » tendant à contourner l’intersyndicale
Comme si cela ne suffisait pas, l’intersyndicale rappelle que le 14 décembre, Jérôme Pécresse, le directeur du secteur renouvelable de General Electric, a déclaré sous serment devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale que l’atelier de mécanique lourde ne serait pas complètement fermé. Ce qui étonne les syndicats, qui ne comprennent pas « que la direction ait persisté à deux reprises à leur présenter un projet prévoyant la suppression totale de l’atelier de mécanique lourde ».
Les salariés de GE Hydro reprochent également des « manœuvres de contournement » tendant à écarter leurs délégués syndicaux d’échanges stratégiques. De quoi parle-t-on ? De discussions « en off » initiées par Éric Fénart-Beghin, le directeur général des ressources humaines Hydro Europe, qui avait pris langue avec les responsables départementaux des trois syndicats CFDT, CFE-CGC et CGT.
Dans quel but ? Organiser des entretiens entre eux tous et Bill Amstrong, le directeur de GE Europe « sur les enjeux présents et à venir et de la situation du site de Grenoble ». Avec une injonction : qu’elles puissent se dérouler « hors négociateurs directement impliqués sur le terrain ». De quoi faire bondir l’intersyndicale, qui précise qu’en la matière « bon nombre d’autres exemples pourraient être cités ».
Des propositions détaillées « balayées d’un revers de main » par General Electric
Les représentants de l’intersyndicale accusent également la direction d’avoir voulu chercher à « monter les salariés contre les organisations syndicales ». Comment ? Le 8 décembre, la hiérarchie de GE Hydro a adressé un mail à tout le personnel, lequel indiquait « qu’un PSE plus favorable leur serait appliqué en cas de signature d’un accord ». Les termes de ce contrat ? De meilleures indemnités de licenciement et un portage de trois ans jusqu’à la retraite.
Dans la foulée, le 15 décembre, la direction a proposé des « exemples de packages chiffrés » [groupes de services, ndlr] jugés choquants. Notamment parce qu’ils comportaient « des différences notables d’indemnisation, en cas d’accord et sans accord, sous la forme d’additions mises en évidence en caractères gras », explique Claude Villani.
Une attitude aussitôt dénoncée auprès de la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, du travail et de l’emploi (Direccte). Tout ceci n’a cependant pas empêché les représentants du personnel de remettre « des propositions détaillées basées sur des expertises, tout autant que sur de nombreux groupes de travail organisés spontanément par les salariés », poursuit Claude Villani.
Des propositions reposant sur trois piliers : la conduite de projets, la fabrication et le service. Toutes choses susceptibles, estime-t-il, de permettre « une organisation viable de l’entreprise qui ne peut s’envisager qu’avec un effectif variant entre 650 et 700 postes de travail ». Mais, là encore, déception, puisque « ce travail, mis de côté dès le début des discussions, n’a jamais trouvé un écho favorable et a été balayé d’un revers de main par les représentants de General Electric », regrette amèrement le délégué CGT.
« Ouvrir les voies d’un dialogue transparent en vue d’une solution négociée »
Et maintenant ? L’intersyndicale et les représentants du personnel ne changent pas de braquet. Ils continuent à espérer que General Electric suspende son projet de restructuration et « ouvr[e] les voies d’un dialogue transparent en vue d’une solution négociée », explique Nadine Boux. Qui invoque l’État – tout particulièrement Emmanuel Macron, le président de la République – et le ministère de l’Économie afin qu’ils puissent « user de leur influence sur General Electric pour amener le groupe à de meilleures considérations », les prie-t-elle instamment.
Sans pour autant se perdre dans les illusions… « Tout démontre que General Electric ne respectera pas ses engagements de maintien et de développement de l’emploi à fin 2018 », relativise-t-elle.
C’est pourquoi les organisations syndicales réitèrent leur demande d’organisation d’une table ronde avec tous les acteurs concernés.
C’est bien là tout l’objet de la lettre ouverte que les représentants des salariés ont envoyée, ce jeudi 21 décembre, à la direction de GE Hydro. Mais pour autant, pas question de baisser la garde.
« Le combat n’est pas terminé. Nous le reprendrons l’année prochaine. Avec les salariés, nous avons lancé ensemble un pavé dans la mare […] Combien de temps allons-nous accepter cette mascarade écologique ? Combien de temps allons-nous accepter de vivre sous le dictat de la performance, de la finance et des banques ? », interroge Nadine Boux en guise de conclusion.
Joël Kermabon