REPORTAGE – Le Collectif pour la sauvegarde de la Cité de l’Abbaye a donc perdu la bataille. Le quartier ouvrier typique avec ses volets verts, de par son architecture, labellisé “patrimoine du XXe siècle”, va subir un profond renouveau. Disparaître en partie même : trois immeubles sur quinze sont en cours de démolition. Et ce n’est que le début. Réaction à chaud d’anciens habitants venus voir le chantier.
Les immeubles 2, 4 et 6 de la Cité de l’Abbaye construite dans les années 20, seront progressivement démolis d’ici décembre.
La pelleteuse a démarré le travail d’écrêtage sur l’immeuble n°4 de la place Joseph Riboud. C’est dans cet immeuble précisément, dans un T3, qu’ont vécu les grands-parents, puis les parents de Robert et ses quatre frères. Lui a quitté le quartier, il y a vingt-six ans.
Hasard ou coïncidence, il se trouve là aujourd’hui, dans son ancien quartier, au moment même où la pelleteuse éventre l’ancien logement où il a grandi. Une vision qui lui provoque un pincement au cœur.
« J’ai habité ici, et je m’en suis sorti »
« Je viens d’un milieu ouvrier. C’est comme cela qu’on s’est retrouvés ici, dans ce quartier populaire avec des Gitans, des Pieds noirs, des Algériens, se remémore Robert, le regard rivé sur la pelleteuse, et son ancien logement au n°4. Nous étions cinq frères à dormir dans une pièce […] et, malgré tout, on a été heureux. »
Enfin, tout était loin d’être rose. Robert a quand même souffert de la mauvaise réputation du quartier. Il n’était pas bien vu d’habiter la Cité de l’Abbaye. « On disait qu’on habitait derrière la patinoire [devenue la Halle Clémenceau, ndlr.] C’était suffisamment vague. »
Et de lâcher : « J’ai habité ici, et je m’en suis sorti, ce qui n’est pas le cas de tous les gens que j’ai côtoyés à l’école à cette époque. Mais notre famille n’a jamais eu de soucis. Il ne fallait pas se mêler de ce qu’il se passait. Par contre, je n’aurais pas souhaité un tel contexte pour mes enfants. »
La démolition moins chère que la rénovation
Mobilisé durant des mois pour préserver ce patrimoine remarquable dans son intégralité, le Collectif pour la sauvegarde de la Cité de l’Abbaye a donc perdu la partie. Cet ensemble d’immeubles constitué de plusieurs blocs agencés en U, chacun autour d’une petite place, ne peut être entièrement rénové.
En cause : le coût et la complexité de la rénovation. A savoir 110 000 environ euros par logement à rénover, aurait estimé le bailleur Actis. De fait, ce dernier et la Ville de Grenoble ont opté pour une démolition partielle dans un premier temps, qui commence par 54 logements sur les 240 que totalise la cité de l’Abbaye.
De ces logements labellisés « patrimoine du XXe siècle » seront tout de même conservés quelques éléments remarquables : volets, cheminées, fenêtres d’escaliers, portes palières et portes de halle. Robert n’a pas entendu parler de ce collectif. Fallait-il démolir, selon lui ? Sans tergiverser, il répond que « oui, c’est mieux ainsi. Les murs se fissuraient déjà quand j’y habitais. L’immeuble repose sur des fondations en bois », semble-t-il savoir.
L’isolation sonore n’était pas non plus des plus optimales : « Quand le voisin du quatrième toussait, on l’entendait au premier étage. » Robert préfère se dire que de meilleurs logements seront construits pour les habitants : « Même si nous avions de grandes pièces à l’époque », tient-il à souligner. Pour autant, il conçoit que les gens puissent demeurer très attachés à cette cité. C’était le cas de sa grand-mère décédée en 2014. « Elle n’a jamais voulu quitter le quartier alors qu’on le lui a proposé à plusieurs reprises. Elle était très contrariée par le projet de rénovation en cours. »
Les anciens locataires seront prioritaires pour les nouveaux logements
Un peu plus loin, Mathilde une jeune mamie, et son petit-fils dans la poussette, viennent observer la pelleteuse à l’ouvrage, accompagnés de leur ami Jérémie.
Ces deux anciens habitants regrettent leur vie dans la cité. « Ça fait quelque chose ! », lance Mathilde. Ils ont tous les deux été relogés dans le secteur, il y a quelques mois.
Jérémie habite le nouveau quartier qui se construit à côté de la Cité, et Mathilde a emménagé dans un logement, dans l’ancien par contre.
Et cela ne lui convient pas du tout, car elle doit désormais débourser un loyer plus élevé. Les allocations personnalisées au logement (APL) n’ont-elles pas été réévaluées ? « Eh bien non, puisque mes APL étaient déjà au maximum », se lamente-t-elle. Jérémie comme Mathilde espèrent revenir habiter dans le quartier « avec les mêmes voisins, et la même ambiance ». La Ville et Actis leur ont promis qu’ils seraient prioritaires. « J’attends toujours de signer ce papier d’Actis », s’impatiente-t-elle.
Le devenir du reste de la cité, encore inconnu
Mathilde et Jérémie ont quitté leur logement de la place Joseph Riboud, tandis que d’autres appartements sont encore habités dans la Cité Abbaye.
Quel est le devenir de ces logements ? Il faut s’attendre à d’autres démolitions.
Au micro de France 3, Thierry Chastagner, adjoint secteur 5, se contente d’une réponse mi-figue, mi-raisin : « On va vers un scénario sans doute mixte, associant la réhabilitation et la rénovation. » Début 2018, la Ville et Actis devraient dévoiler la suite de leur projet.
Séverine Cattiaux