REPORTAGE – Opération “Salon improvisé” dans le local d’Actis, cours Jean-Jaurès à Grenoble, ce mardi 7 novembre. Un locataire en fauteuil, soutenu par l’Alliance citoyenne,
a symboliquement élu domicile dans l’agence. Il entendait ainsi protester contre l’aide de portage, jugée insuffisante, que lui propose le bailleur social durant les trois semaines d’immobilisation de l’ascenseur de son immeuble.
Une tente Quechua déployée sur des tapis au sol, un tabouret servant de table pour une lampe de chevet, une plante verte et un étendoir à linge… Les locaux de l’agence du bailleur social grenoblois Actis cours Jean-Jaurès avaient une étrange physionomie, ce mardi 7 novembre au matin. Et pour cause : un locataire avait symboliquement décidé d’y élire domicile.
Soutenu par l’Alliance citoyenne, « association de gens qui s’organisent pour plus de justice sociale », Rachid Sengouga entendait ainsi dénoncer les « mauvais traitements d’Actis pour les personnes à mobilité réduite ».
En cause ? Des travaux devant immobiliser l’ascenseur de son immeuble durant trois semaines fin novembre, alors que ce locataire en fauteuil roulant habite au premier étage. Une nouvelle que l’ancien imam de la mosquée des Balladins, privé de l’usage de ses jambes après un AVC en 2011, a appris en juin.
Un locataire en fauteuil qui se dit « séquestré »
Ayant sollicité une assistance d’Actis pour lui permettre de sortir de chez lui durant cette période, le locataire apprend en septembre par un « courrier froid » qu’une aide de portage d’une heure par jour, entre 8 et 9 heures du matin, lui sera apportée. Un chiffre réévalué à deux heures par la suite.
Aux yeux du locataire, cette aide est largement insuffisante. Lui demande quatre ou cinq heures par jour pour lui permettre d’amener sa fille à l’école, d’aller à ses séances de kinésithérapie ou de piscines, ou simplement de sortir avec sa femme.
Et Rachid Sengouga de déclarer ne pas comprendre « comment Actis peut froidement lui annoncer qu’il sera séquestré chez lui trois semaines ».
« Maltraité du point de vue psychologique »
Dans les locaux d’Actis, l’ambiance est tendue, voire houleuse. Bertrand Robinet, le responsable de l’agence Mistral Eaux-Claires, tente de convaincre la dizaine de manifestants : « La communication n’a jamais été rompue », assure-t-il.
« Je veux vivre une vie normale, comme un être humain. Ils sont en train de négocier ma liberté ! », clame Rachid Sengouga de son côté.
Les membres de l’Alliance citoyenne enchérissent volontiers. « On est dans un rapport de force : il y a des objectifs financiers et on presse de plus en plus les locataires. On croule sous les plaintes », affirme l’un d’eux.
Pour les militants, Rachid Sengouga a été « maltraité du point de vue psychologique ». « On lui donne des heures comme on sort un petit chien pour faire son pipi et caca et rentrer à la maison ! », entend-on encore.
« Nous sommes mieux-disants que ce que propose la Loi », répond Actis
Pierre Bourgey, directeur de l’agence Centre-ville, précise, pour sa part, que les ascenseurs sont des dispositifs qui ont besoin d’être entretenus, et donc mis à l’arrêt. Et Bertrand Robinet de préciser que la loi ne prévoit aucune disposition particulière pour les locataires handicapés : « Nous sommes mieux-disant que ce que propose la loi, et nous essayons de trouver des solutions ! »
« Dans le privé, ils auraient mis une affiche pour dire que l’ascenseur serait arrêté, et M. Sengouga aurait saisi la justice pour avoir une réponse un an après, nous confiera encore Bertrand Robinet. Le courrier de l’avocat de M. Sengouga ne fait référence à aucun texte de loi : ça veut bien dire qu’il n’en a pas trouvé ! »
Adapter ses horaires ou trouver des solutions d’aide alternatives et complémentaires ? Les deux responsables d’agence essayent de chercher des terrains d’entente auprès de Rachid Sengouga, sans succès.
« On est là pour parler de mon cas ! »
« Je demande quatre à cinq heures. Ça coûterait 1 476 euros exactement, et ça réglerait mon problème, ce n’est pas une somme énorme », juge-t-il. « C’est de l’argent qu’on ne pourra pas mettre pour d’autres locataires », rappelle de son côté Pierre Bourgey.
« Ça c’est autre chose. On est là pour parler de mon cas ! », lui rétorque Rachid Sengouga. Qui consent, au final, à s’isoler avec Pierre Bourgey pour essayer de trouver une solution.
Le locataire ressortira du bureau avec le sourire : il a obtenu quatre heures de sortie par jour, ainsi que le règlement prochain des problèmes d’accessibilité au sein de son appartement. Mais Pierre Bourgey ne le cache pas : c’est bien sous la « pression » que l’accord a été convenu.
« On aurait aimé que cela se passe d’une autre manière. Pour nous, deux heures c’était suffisant, cela permettait de faire deux allers-retours dans la journée, mais Monsieur Sengouga considère qu’il a plus de besoins… Au niveau des budgets, cela va nous coûter 1 400 euros, et nos budgets ne sont pas illimités… », déclare-t-il aux journalistes présents.
Et le responsable d’agence de craindre d’autres pressions du même ordre à l’avenir, auxquelles il explique que le bailleur aura du mal à répondre. « D’habitude, on ne met pas ce type de processus en place, ajoute-t-il. Certains locataires patientent, fonctionnent avec leur famille ou trouvent des solutions alternatives. Visiblement, ça n’a pas été possible… »
Un cahier des doléances… toujours plein
Rassemblés devant l’agence après avoir évacué le local, les membres de l’Alliance citoyenne rangent leurs affaires, replient péniblement la tente, mais ne se réjouissent qu’en demi-teinte de la réussite de leur opération.
« C’est le mois de l’Accessibilité. La mairie fait une exposition à Grand’Place, mais se montre maltraitante à l’égard des personnes handicapées ! », juge ainsi un militant, qui rappelle que le maire de Grenoble est également le président d’Actis.
Tandis que d’autres personnes présentes évoquent de leur côté leurs propres difficultés de logement. Dégâts des eaux non réparés, halls d’immeuble quartier Léon Jouhaux squattés par des jeunes, crainte d’un incendie mortel causé par un acte d’imprudence ou de malveillance… Le cahier des doléances reste décidément bien rempli.