FOCUS – Réussir à mettre au point un traitement efficace pour les patients atteints de la maladie de Crohn, tel est l’objectif du projet européen NewDeal. Un projet auquel collaborent l’Institut de biosciences et biotechnologies de Grenoble (BIG) du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ainsi que le CEA-Leti, institut de CEA Tech. La stratégie ? Développer une nanothérapie ciblée, délivrée par voie orale.
Maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI), la maladie de Crohn peut atteindre tout le tube digestif et même gagner d’autres organes – la peau et les yeux – ainsi que les articulations.
Cette affection d’origine méconnue touche de 15 à 20 nouvelles personnes par an pour 100 000 habitants. Plus de 200 000 patients en sont actuellement affectés en France.
Les malades, notamment victimes de terribles douleurs abdominales, vont-ils bientôt pouvoir être soulagés de leurs maux ?
C’est tout l’espoir des chercheurs engagés dans le projet européen NewDeal auquel participent l’Institut de biosciences et biotechnologies de Grenoble (BIG) du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) ainsi que le CEA-Leti, institut de CEA Tech, l’accélérateur d’innovation au service de l’industrie du CEA.
Une dégradation ciblée des ARN messagers
Partant du constat que certaines enzymes – protéines accélérant les réactions chimiques – des cellules intestinales sont impliquées dans la maladie de Crohn – les kinases JAK 1 et JAK 3 –, les chercheurs travaillent à en réduire le nombre.
Comment ? En bloquant transitoirement, spécifiquement et localement leur fabrication dans les cellules intestinales, par la technique de l’« ARN* interférence ».
Son principe est simple. Il consiste à “stopper” les copies des gènes – les ARN messagers – codant pour JAK 1 et JAK 3 au moyen de petits ARN interférents qui viennent se “coller” à eux. Leur nom ? Les siRNA. En s’accrochant ainsi aux ARN messagers, ils provoquent leur dégradation par la cellule.
Résultat ? L’information nécessaire à la fabrication des protéines kinases JAK 1 et JAK 3 contenue dans les ARN messagers disparaît. Privée d’informations techniques, la cellule ne parvient plus à fabriquer de nouvelles enzymes JAK aux effets inflammatoires.
Une biotechnologie d’échelle nanométrique
La mise en œuvre de cette biotechnologie d’échelle nanométrique qui permet de rendre les gènes « silencieux », est à la convergence de multiples savoirs-faire. Alors que le Centre clinique de Barcelone a contribué à identifier les cibles biologiques – JAK 1 et JAK 3 –, l’Institut grenoblois de biosciences et biotechnologies (BIG) va mettre au point les siRNA.
Le CEA-Leti s’est d’ores et déjà chargé de la fabrication des transporteurs d’ARN, des particules lipidiques de taille nanométrique (10-9 m) qui, par affinité avec les lipides de la barrière intestinale et de la membrane plasmique délimitant les cellules, permettent d’acheminer sans encombre les siRNA au cœur de la cible. À l’intérieur même des unités intestinales responsables de l’inflammation.
Quant à la tâche d’élaborer une coque nanométrique englobant le tout, elle est dévolue à un groupe pharmaceutique, pour l’heure très discret. Dotée d’un revêtement protecteur à base de polymères, cette coque sera capable de résister à l’acidité stomacale tout autant qu’à sa dégradation par les enzymes digestives.
Vous l’aurez deviné, le traitement sera administré par voie orale. Le projet n’en étant toutefois qu’à ses débuts, les patients atteints de la maladie de Crohn vont encore devoir patienter plusieurs années avant de trouver le traitement dans les officines. Le protocole d’autorisation de mise sur le marché (AMM) nécessite en effet de valider d’abord toutes les étapes qui précédent les essais cliniques, dont la phase 1** devrait débuter d’ici quatre ans.
Véronique Magnin
* ARN : Acide ribonucléique, molécule biologique chimiquement très proche de l’ADN, présente chez pratiquement tous les êtres vivants et également chez certains virus.
** Les essais cliniques de phase 1 correspondent à la première administration d’un médicament à l’homme. Ils incluent en général un petit nombre de malades, entre 10 et 40. Ces essais visent principalement à étudier la tolérance au médicament et à définir la dose et la fréquence d’administration qui seront recommandées pour les études suivantes. Un essai de phase 1 dure habituellement entre un et deux ans.