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Le Conseil départemental de l'accès au Droit ouvre les portes de la maison de justice et du droit de Grenoble pour répondre aux questions du public.

« Madame Belloubet, ministre de la Justice, vous n’êtes pas la garde des Sots »

« Madame Belloubet, ministre de la Justice, vous n’êtes pas la garde des Sots »

TRIBUNE LIBRE* – Nicole Belloubet, garde des Sceaux, était en dépla­ce­ment à Grenoble les 22 et 23 octobre der­niers. Cette visite minis­té­rielle et les pro­pos tenus à la presse à cette occa­sion ont fait réagir le Groupe d’a­na­lyse métro­po­li­tain, en par­ti­cu­lier sur les moyens alloués à la jus­tice, l’in­dé­pen­dance du par­quet et la sim­pli­fi­ca­tion de la pro­cé­dure pénale.

Mme Nicole Belloubet, ministre de la Justice, a com­mencé sa visite gre­no­bloise dimanche soir par le dîner du Crif consa­cré, nous dit-on, à « la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et pour la paix ». Attention, nous n’a­vons rien contre le Crif, bien au contraire ! C’est une orga­ni­sa­tion com­mu­nau­taire par­fai­te­ment légi­time, rele­vant de la société civile.

C’est que nous pen­sons qu’il est de mau­vais aloi que des res­pon­sables poli­tiques, et à plus forte rai­son des ministres, s’af­fichent au sein d’or­ga­ni­sa­tions com­mu­nau­taires confes­sion­nelles dans une République laïque, et ce quelle que soit la confes­sion. Par prin­cipe, parce que ce sont ceux de la République, nous nous refu­sons à seg­men­ter nos conci­toyens selon des lignes confes­sion­nelles, eth­niques, de genre, de pré­fé­rence sexuelles etc.

« C’est parce que la République a des prin­cipes qu’on peut avoir des valeurs différentes »

Tribune libre du groupe d'analyse métropolitain suite à la visite de Nicole Belloubet, garde des Sceaux et ministre de la Justice, à Grenoble. Statut de Thémis, déesse de la Justice, de la Loi et de l'Équité, tenant d'une main un glaive, de l'autre les plateaux d'une balance avec laquelle elle pèse les arguments des parties adverses.

Statut de Thémis, déesse de la Justice, de la Loi et de l’Équité, tenant d’une main un glaive, de l’autre les pla­teaux d’une balance avec laquelle elle pèse les argu­ments des par­ties adverses. DR

Car oui !, la République a des prin­cipes (et non pas des valeurs, le pro­chain qui parle des valeurs de la République nous le pas­sons par la fenêtre) consi­gnés par écrit, gra­vés dans le marbre dans la Déclaration uni­ver­selle des Droits de l’Homme et notre Constitution. Et c’est jus­te­ment parce que ces prin­cipes existent qu’on peut avoir des “valeurs” très dif­fé­rentes sans se sau­ter à la gorge.

Tenez, il y a chez nous, au Gam, les intel­li­gents, qui n’aiment pas le bro­coli, ni les ver­rines qui­noa-bet­te­rave, ni faire du vélo. Et puis il y a les autres, qui vivent dans l’er­reur et le déni. C’est dur mais on dépasse ces dif­fé­rences pour tra­vailler ensemble même si c’est sou­vent très éprouvant.

Ce limi­naire fait, pen­chons-nous donc sur ce qu’a dit Mme la garde des Sceaux.

Non, parce que c’est fon­da­men­tal, la jus­tice étant le troi­sième pou­voir de toute démo­cra­tie et celui vers lequel le citoyen peut se tour­ner en der­nier recours quand les deux autres – l’exé­cu­tif et le légis­la­tif – faillent.

1 – Mme Belloubet nous dit qu’elle va créer 1 000 emplois en 2018

Bon, c’est mieux que rien mais, 1 000 “emplois” de quoi ? De magis­trats ? Cela ne per­met­tra pas de rat­tra­per le retard avec, par exemple, l’Allemagne, qui compte deux fois plus de magis­trats par tête de pipe que la France.

2 – Mme Belloubet affirme, à rai­son, « qu’il y a par­fois une dif­fi­culté à atti­rer les magis­trats vers la fonc­tion de parquetier »

Parce que les condi­tions de tra­vail et la sou­mis­sion au pou­voir poli­tique en sont la cause. Sans par­quet tota­le­ment indé­pen­dant, sans nomi­na­tion des par­que­tiers de manière indé­pen­dante, non pas en conseil des ministres, cela ne chan­gera pas et il n’y aura pas de jus­tice à pro­pre­ment par­ler. Nos voi­sins trans­al­pins, eux, l’ont compris.

3 – Mme Belloubet nous répète son « obses­sion et sa volonté que la jus­tice soit plus claire, plus lisible et plus acces­sible pour le justiciable »

Nous applau­dis­sons des deux mains et des deux pieds. Sauf que, quand Mme la garde des Sceaux nous parle de sim­pli­fi­ca­tion de la pro­cé­dure pénale, puisque nous nous sommes bien échauf­fés en applau­dis­sant de tous nos membres, l’en­vie irré­pres­sible de pro­je­ter ces mêmes membres avec ciné­tique et au sens figuré sur la par­tie la plus char­nue de son ana­to­mie – non, ce n’est pas du har­cè­le­ment ni du sexisme, juste de la tru­cu­lence rablai­sienne – nous prend !

Nous voilà encore dans le dogme des coupes bud­gé­taires où l’on essaie de nous faire pas­ser une sim­pli­fi­ca­tion pour une pana­cée qui abou­tira inévi­ta­ble­ment à la sup­pres­sion de cer­tains des néces­saires garde-fous et méca­nismes contra­dic­toires de véri­fi­ca­tion, fon­da­men­taux au bon fonc­tion­ne­ment de l’ins­ti­tu­tion judi­ciaire dans un sys­tème inqui­si­toire. Mécanismes qui évitent bien des décon­ve­nues, à com­men­cer par les erreurs judiciaires.

Non Madame Belloubet, la pro­cé­dure judi­ciaire ne se sim­pli­fie pas, elle s’a­mé­liore ! Ce qui est dif­fé­rent. On a l’exemple d’un pays voi­sin, la Belgique, qui en 2001 a “sim­pli­fié” ses pro­cé­dures judi­ciaires pour des rai­sons pure­ment bud­gé­taires et c’est la foire du slip (connecté) la plus totale, l’in­sé­cu­rité juri­dique trop généralisée.

La jus­tice étant le troi­sième pou­voir en démo­cra­tie, on ne doit tout sim­ple­ment pas regar­der à la dépense pour qu’elle fonc­tionne bien ! Regardez par exemple les jus­tices alle­mande, scan­di­nave, ita­lienne ou amé­ri­caine. Comparez les moyens. C’est la misère en France. Le minis­tère de la Justice est indi­gent (bud­get infé­rieur à celui de l’environnement, belle preuve d’at­ta­che­ment à la démo­cra­tie) et l’ins­ti­tu­tion judi­ciaire est à l’os.

Donc, acte, Mme la garde des Sceaux ! On vous regar­dera vous battre lors des arbi­trages – ah mince, ça c’est trop tard – et à l’Assemblée.

4 – Mme Belloubet nous assure « qu’au­cun lieux de jus­tice ne sera fermé »

Chère Madame la Ministre, nous sommes à Grenoble très échau­dés dès qu’on uti­lise le mot “lieu” pour décrire une fonc­tion et un ser­vice public, parce qu’à Grenoble on ferme des biblio­thèques pour en faire des (tiers) lieux, donc plus des bibliothèques !

Ce n’est pas un palais de jus­tice qui dit le droit, mais des cours, com­po­sées de chambres, peu­plées de magis­trats et de juges et de tout ce per­son­nel fon­da­men­tal à la bonne exé­cu­tion de la jus­tice. La réa­lité de la réforme de la carte judi­ciaire que vous por­tez est là, et cette réforme est mau­vaise, parce que conçue sur de seules bases comptables.

5 – Mme Belloubet pré­tend « [ne pas être] pro­fes­seur de droit public, [connaître] un peu le monde de la magistrature »

Permettez-nous de nous esclaf­fer. Quand on est prof de droit public, on connaît la magis­tra­ture admi­nis­tra­tive, et encore peu puisque quand on est prof on ne pra­tique pas le droit.

On en vient à la ques­tion fon­da­men­tale de ce qui qua­li­fie pour être garde des Sceaux et s’il est bon de nom­mer des légistes à ce poste. A notre avis, la réponse est non. Pour les mêmes rai­sons qu’il serait de mau­vais aloi de nom­mer un mili­taire ministre de la Défense.

Par ailleurs, la magis­tra­ture n’est pas un “monde”, mais un ensemble de citoyens fonc­tion­naires qua­li­fiés et for­més pour rendre la jus­tice au nom du peuple fran­çais. Les magis­trats, comme nous tous, sont par­tie inté­grante de la société et, eux, comme les poli­ciers et les gen­darmes, voient au quo­ti­dien une par­tie de la réa­lité de notre société que la plu­part d’entre nous ne voient pas.

Si le cor­po­ra­tisme de la magis­tra­ture est une réa­lité, elle trouve son ori­gine dans

(a) la défiance du pou­voir en son égard ;

(b) la néces­saire dis­tance à l’exercice de la fonc­tion de magis­trat ou de juge.

« Le fait du Prince en matière de jus­tice a la peau dure en France »

En conclu­sion, met­tons en lumière un fait his­to­rique par­ti­cu­liè­re­ment saillant. En France, dès qu’il y a une alter­nance poli­tique, on voit immé­dia­te­ment sur­ve­nir la réforme (la France est un pays en réforme per­ma­nente depuis 1970) de la jus­tice et des forces de l’ordre. Afin de s’as­su­rer que ces ins­ti­tu­tions qui relèvent en théo­rie, selon notre Constitution, d’un pou­voir indé­pen­dant des deux autres, soient avant tout au ser­vice du pouvoir.

Emmanuel Macron et son gou­ver­ne­ment ne dérogent nul­le­ment à cette règle. Et cela va encore plus loin, puis­qu’on cherche à mettre au pas les armées fran­çaises qui n’ont nul besoin de l’être, car vis­cé­ra­le­ment républicaines.

Carl Schmitt défi­nis­sait le Prince comme étant celui qui dit l’ex­cep­tion. Force est de consta­ter que le fait du Prince a, en France, par­ti­cu­liè­re­ment en matière de jus­tice, la peau dure. Ce qui est délé­tère en matière de justice.

***

Rappel : Les tri­bunes publiées sur Place Gre’net ont pour voca­tion de nour­rir le débat et de contri­buer à un échange construc­tif entre citoyens d’o­pi­nions diverses. Les pro­pos tenus dans ce cadre ne reflètent en aucune mesure les opi­nions des jour­na­listes ou de la rédac­tion et n’engagent que leur auteur.

Vous sou­hai­tez nous sou­mettre une tri­bune ? Merci de prendre au préa­lable connais­sance de la charte les régis­sant.

Place Gre'net

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