TROIS QUESTIONS À – Claire Buis, psychiatre, responsable du Centre référent de l’arc alpin (TC3A) au CHU Grenoble-Alpes (Chuga), participe à l’organisation de la journée porte ouverte ce jeudi 28 septembre sur les troubles du comportement alimentaire (anorexie, boulimie…). Partant de la description de leurs ressorts, elle explique le principe et les objectifs du Centre au service des patients de l’Isère, de la Savoie et de la Haute-Savoie.
PLACE GRE’NET – La journée porte ouverte organisée ce jeudi par le Centre référent de l’arc alpin porte sur les troubles du comportement alimentaire [voir encadré]. Quelles sont les personnes les plus à risque et comment reconnaître les premiers signes de ces maladies ?
CLAIRE BUIS – Les adolescents et les jeunes adultes sont les personnes les plus à risque pour l’anorexie et la boulimie. Alors que nous vivons dans une région où il y a de nombreuses sections sportives, on aimerait pouvoir alerter les parents et les jeunes sur le risque élevé encouru par la population des jeunes sportifs. Le sport de haut-niveau implique en effet compétition et recherche de la performance. Et dans certains sports tels l’escalade, le judo ou encore la danse classique, la question du poids entre beaucoup en compte dans les performances. Les conduites de régime, de restriction alimentaire qui peuvent commencer très jeune avec le sport, augmentent le risque de déclencher des troubles du comportement alimentaire (TCA).
L’un des principaux facteurs précipitant les TCA est bien le régime amaigrissant. Voilà pourquoi on retrouve aussi ces troubles chez des femmes plus âgées qui, suite à une grossesse ou un autre événement de vie avec prise de poids, ont commencé un régime. S’il s’y ajoute une vulnérabilité psychologique comme une mésestime ou un manque de confiance en soi, cela peut déclencher la pathologie.
On doit s’alerter quand la question de la nourriture devient omniprésente dans l’existence, d’autant plus si celle-ci est couplée à une estime de soi dégradée lorsque l’on prend du poids. On doit également s’alerter en cas de perte de poids rapide avec risque de mise en danger si la personne concernée nie celle-ci et affirme être en pleine forme, très puissante etc. Ou encore en cas de dysmorphophobie, lorsque l’on pense être, à tort, toujours trop gros.
Il est possible de guérir des troubles du comportement alimentaire. Actuellement, un tiers des patients parvient à une guérison complète. Un autre tiers connaît une amélioration sensible mais avec risque de rechute. Pour le tiers restant, la pathologie trop enkystée, demeure chronique.
Les facteurs pronostics favorables sont la précocité ainsi que la pluridisciplinarité de la prise en charge, avec l’implication du médical et du psychiatrique, comme nous la proposons au centre Centre référent de l’arc alpin.
Quelles sont les spécificités du Centre référent de l’arc alpin ? Qu’apporte-t-il de plus ou de différent aux patients ?
Le centre se veut un lieu facilement accessible aux personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire. Bien qu’il faille normalement une orientation – au moins par le généraliste –, les patients peuvent aussi nous appeler directement pour obtenir un premier rendez-vous. Certains d’entre eux peuvent en effet éprouver de la honte à en parler à leur médecin généraliste ou avoir l’impression de ne pas être compris, voire craindre les jugements ou les critiques. Pour ces personnes, il est plus facile de rencontrer directement des professionnels qui connaissent bien les TCA.
Lors du premier rendez-vous, les patients rencontrent, selon leur choix, un médecin psychiatre ou un médecin somaticien (spécialisé dans les pathologies du corps). Ils bénéficient ensuite d’une journée complète d’évaluation de leur trouble du comportement alimentaire. Pour les accompagner au mieux, ils rencontrent différents professionnels formés à ces pathologies qui réalisent un bilan complet somatique et psychiatrique afin d’affirmer ou d’infirmer le diagnostic de troubles du comportement alimentaire, d’évaluer la gravité des troubles et de spécifier d’éventuelles comorbidités (ou troubles associés).
Ce bilan inclut une évaluation médicale, des examens biologiques, psychologiques au moyen d’échelles et questionnaires standardisés validés et d’autres évaluations, si nécessaire. Ensuite grâce à notre réseau de professionnels dans les trois départements – Isère, Savoie et Haute-Savoie –, nous adressons les patients aux professionnels les plus proches de chez eux pour une prise en charge pluridisciplinaire personnalisée.
Quels sont les objectifs de la journée porte ouverte du 28 septembre ? A quels publics s’adresse-t-elle ?
Cette journée porte ouverte a pour objectif de mieux faire connaître le Centre référent de l’arc alpin*. Relativement récent, il a ouvert en janvier 2016 porté par la volonté de l’Agence régionale de santé (ARS) de créer dans les trois départements, aux centres universitaires hospitaliers (CHU) de Saint-Étienne, de Lyon et de Grenoble, des centres référents facilement accessibles aux personnes. La prise en charge débute dès l’âge de 2 ans pour les patients souffrant de troubles de l’oralité ou plus tard, de troubles du comportement alimentaire. Le centre étant en capacité de recevoir et d’orienter plus de 300 personnes par an.
Cette journée porte ouverte est donc l’occasion pour les personnes souffrant de troubles du comportement alimentaire de s’informer sur les TCA. Tous les professionnels du centre seront présents pour échanger, répondre aux questions et expliquer plus en détail le fonctionnement du centre. Notamment les modalités de la prise en charge et de traitement. L’occasion pour les futurs patients de rencontrer l’équipe médicale constituée d’une pédopsychiatre, d’une gastro-pédiatre, d’un médecin nutritionniste, d’une psychiatre d’adulte, de psychologues cliniciennes, d’un neuropsychologue, d’une psychomotricienne, d’une diététicienne et de trois infirmières.
Nous ouvrons aussi nos portes aux professionnels – médecins généralistes ou spécialisés – intéressés par les TCA. L’idée étant que, petit à petit, par la formation, le réseau de professionnels pluridisciplinaire connaissant bien les TCA s’étoffe pour optimiser la couverture du territoire.
Propos recueillis par Véronique Magnin
* Journée porte ouverte au Centre référent de l’arc alpin : jeudi 28 septembre,11 heures – 17 heures, Porche Hôpital civil de Grenoble, entrée de droite, rez-de-chaussée, site de l’Hôpital Couple enfant.
Les principaux troubles du comportement alimentaire (TCA)
En France, les troubles du comportement alimentaire affectent 2,5 % de la population.
Anorexie : une pathologie qui peut être mortelle
L’anorexie mentale est la pathologie la plus rare. Elle est plutôt féminine, touchant neuf femmes pour un homme. En France, elle affecte 1 % de la population féminine. Soit pas moins de 12 000 femmes en Rhône-Alpes. Elle est toutefois la plus médiatisée à cause d’un taux de mortalité assez élevé – pour cause de dénutrition ou d’infections – de l’ordre de 5 à 10 % dans les dix ans suivant le diagnostic. C’est en outre l’une des pathologies psychiatriques pour lesquelles le taux de suicide est le plus haut.
Boulimie : les femmes plus concernées
La boulimie est légèrement plus fréquente, touchant 1,5 % de la population. Là encore, les femmes sont davantage concernées que les hommes. Entre 15 et 45 ans, 3 à 5 % des femmes en seraient atteintes, soit 30 000 personnes en Rhône-Alpes. La boulimie est un trouble moins visible car, contrairement aux patientes anorexiques, elles conservent la plupart du temps un poids normal, tout en étant dans une recherche de minceur. Elle développent ainsi des comportements compensatoires à type de conduites des purges (vomissements, laxatifs), de jeun….
Hyperphagie boulimique : un trouble qui passe moins inaperçu
L’hyperphagie boulimique est un trouble du comportement alimentaire plus fréquent mais qui passe encore souvent inaperçu car peu recherché par les médecins chez les patients en surpoids. Les personnes atteintes connaissent, comme les boulimiques, de grosses crises de compulsions hyperphagiques pendant lesquelles elles vont manger énormément et se remplir. Mais, principale différence, elles n’adoptent pas de comportements compensatoires. Les personnes atteintes d’accès hyperphagiques sont donc souvent en surpoids. Cette pathologie touche 3 à 5 % de la population. Elle est fréquente chez les patients obèses qui en sont affectés à plus de 50 % avec, cette fois-ci, une parfaite égalité homme-femme.
Il est assez fréquent qu’au cours de leur vie, les patients passent d’une forme de trouble du comportement alimentaire à une autre. Par exemple, de l’anorexie à la boulimie.