TROIS QUESTIONS À – Élisabeth Giraud Baro, psychiatre et coordinateur médical à la Clinique du Dauphiné de Seyssins, participe à l’organisation de la 1re journée scientifique de l’établissement le 21 septembre sur le thème « Dépression, émotions, addictions : créer des liens médicaux, psychologiques et sociaux ». Elle nous en explique le principe, tout en revenant sur le positionnement de cette clinique psychiatrique privée et conventionnée du groupe Sinoué, inaugurée le 17 novembre 2016.
PLACE GRE’NET – Le thème de la journée scientifique qu’organise la Clinique du Dauphiné le 21 septembre est « Dépression, émotions, addictions ». Quelles sont les réalités derrière ces trois notions, et quels liens entre elles ?
ÉLISABETH GIRAUD BARO – Le titre de cette journée, c’est aussi comment faire des liens ! Ce sont trois thématiques souvent associées : nous avons tous une manière de gérer nos émotions, et quand cette gestion est dépassée, c’est là que l’on peut devenir dépressif. Et l’on a souvent la tentation de gérer ses émotions avec des produits, des addictions… C’est un moyen. Pas un bon moyen, mais un moyen que l’on rencontre fréquemment.
On ne naît pas égaux par rapport à la gestion de nos émotions. Certaines personnes par exemple sont plus anxieuses que d’autres. Le moindre petit stimulus émotionnel va devenir une catastrophe. On a une cognition spéciale qui fait que l’on va être hyper vigilant pour repérer tout ce qui peut amener de l’eau au moulin de l’anxiété. Et l’on comprend bien que certaines personnes très anxieuses vont vouloir calmer cette anxiété par l’utilisation d’un produit.
On est en addiction à partir du moment où la recherche de ce produit envahit notre vie, que tout est tourné vers la recherche de ce produit, que l’on ne fait plus attention aux autres pans de la vie et que l’on perd le contrôle. Ce produit, ça peut être l’alcool, les médicaments, les drogues… Mais aussi le jeu, ou une dépendance affective avec une recherche de l’autre. Il y a beaucoup de types d’addictions.
Quant à la dépression, nous sommes tous exposés un jour à en éprouver une. Cela dépend bien sûr des facteurs de protection que l’on a, mais c’est une maladie excessivement répandue. Il y a ce premier modèle de gestion des émotions, quand on s’use biologiquement à essayer de répondre au stress. Et puis il y a d’autres dépressions, plus liées à des prédispositions génétiques, mais le modèle reste le même : il y a rupture avec le fonctionnement d’avant, on a une perte d’élan vital et l’on ressent les choses comme péjoratives. En stade plus avancé, on a une perte d’appétit, des troubles du sommeil…
Heureusement, on en guérit. La plupart des gens retrouvent leur joie de vivre, retournent à l’état initial ou reprennent leur travail. On a des médicaments efficaces et des intervenants psychothérapiques, mais le traitement est long. Il faut au moins six mois pour guérir d’une dépression. Et c’est une maladie chronique : il faut être vigilant car le risque de rechute est important. D’où les programmes psychothérapiques de méditation ou de gestion du stress.
Qui va participer à cette journée scientifique, et quels sont au final ses objectifs ?
On attend aux alentours de 150 personnes. Et comme nous voulons faire des liens médicaux, psychologiques et sociaux, on attend des acteurs des parcours de soin. Donc, bien sûr, les médecins généralistes et les psychiatres adresseurs, mais aussi des psychologues, des médecins du travail, des infirmiers…
L’intérêt de cette réunion, c’est de montrer que ce n’est pas forcément judicieux de répondre sur une thématique particulière, juste la gestion des émotions ou juste les addictions. L’approche transversale est souvent intéressante : cela existe séparément mais c’est souvent lié et l’approche est globale.
On espère donc que les personnes puissent saisir cette vision de soin global qui est la nôtre : comprendre les troubles et leurs interactions, mais aussi avoir des réponses psychothérapiques en mobilisant les facteurs de protection. Cela correspond à nos objectifs de travail à la clinique : une psychiatrie globale, positive, rééducative, qui s’occupe de la personne et de son environnement.
C’est pourquoi il y a une première partie théorique et une deuxième partie d’échanges, où l’on veut justement que la salle puisse participer avec les experts et poser ses questions, pour arriver à trouver des solutions ensemble.
Et l’autre objectif, c’est aussi de nous faire connaître. La clinique n’est ouverte que depuis un an, et l’on veut pouvoir partager avec nos interlocuteurs notre façon de travailler sur les pathologies que l’on rencontre le plus fréquemment. C’est-à-dire beaucoup de troubles anxieux, de troubles dépressifs et de comorbidité addictive. C’est vraiment un échange avec les gens avec qui nous travaillons, ou sommes susceptibles de travailler.
La Clinique du Dauphiné, anciennement Le Coteau, a fait peau neuve. Quelles sont ses nouvelles orientations ? Apporte-t-elle quelque chose de plus, ou de différent, par rapport à d’autres établissements de soins psychiatriques ?
Il y a une volonté de changement, de rupture avec ce qu’a pu être Le Coteau. La nouvelle équipe médicale, complètement renouvelée, partage ces valeurs d’une psychiatrie globale, positive, où l’on est beaucoup plus sur des approches psychothérapiques, avec des psychologues, des neuropsychologues, des ergothérapeutes…
Les soins ne s’arrêtent pas à la sortie de la clinique. On travaille sur le retour à la vie, à la réhabilitation psychosociale. Nous avons beaucoup de modules d’éducation thérapeutique qui font du patient un interlocuteur à part entière : il n’est pas l’objet de soins, mais prend ses soins en main. Nous faisons en sorte qu’il comprenne au mieux les troubles dont il souffre et qu’il puisse se saisir des outils pour ne pas rechuter.
Ailleurs, ce sont des soins ponctuels. Le CHU, par exemple, a une expertise dans le diagnostic des troubles, ou dans des thérapies très particulières. Chez nous, la personne reste en moyenne moins d’un mois hospitalisée, mais bénéficie de soins élargis et de beaucoup d’approches, de manière intensive, en étant vue tous les jours en entretiens médicaux. Je ne dis pas que cela n’existe pas ailleurs, mais pas sur la région grenobloise.
De plus, nous avons reçu l’autorisation de l’ARS [Agence régionale de santé, ndlr] d’ouvrir les trente premiers lits de gérontopsychiatrie sur le bassin. Et, là, c’est une offre unique, il n’y en a pas ailleurs sur le territoire. Depuis juin dernier, nous avons donc une trentaine de lits ouverts aux personnes présentant une fragilité liée au vieillissement, ou qui développent des troubles nouveaux. Il y a une prise en charge spécifique avec tout un programme d’éducation thérapeutique, de gestion du stress ou de remédiation cognitive.
Enfin, le cadre aussi est thérapeutique. Il est magnifique. Les locaux sont neufs et très confortables. Jusqu’à ces dernières années, les malades mentaux avaient ce qui se faisait de plus moche. Nos patients méritaient bien d’avoir un cadre aussi joli !
Propos recueillis par Florent Mathieu
Le docteur Philippe Cléry-Merlin, psychiatre et directeur général du groupe Sinoué, fera partie des intervenants lors de la Journée scientifique du 21 septembre, aux côtés du professeur d’addictologie Maurice Dematteis, du psychiatre Marc Masson et de la maître de conférences en Psychologie Rebecca Shankland.